Capital - L'Allemagne doit s'endetter
UNE CHRONIQUE
d’Alain Lemasson
(Capital.fr le 10 mars 2024)
L'Allemagne doit s'endetter (titre original)
La crise du covid a contraint la France et ses partenaires à un soutien urgent et massif de l’économie, entraînant la hausse générale des ratios d’endettement. La rediscussion des accords de Maastricht provisoirement contournés a été engagée en 2024 et il est dorénavant question d’exceptions et de délais possibles quant au respect des règles. On peut imaginer le changement profond d’atmosphère qui a entouré de tels compromis.
A l’ordre ancien de l’affrontement presque moral entre pays dits « frugaux » et « dépensiers », s’est certainement substituée une discussion dépassionnée des nouveaux besoins d’endettement touchant les pays de la zone euro, et notamment le premier d’entre eux, l’Allemagne.
L’amplitude et l’urgence de nouveaux besoins d’investissements allemands sont en effet apparus dans le domaine militaire, mais aussi sur le plan industriel du fait de la rupture de ses échanges avec la Russie. L’Allemagne n’a pas eu d’autre choix que d’accepter le desserrement relatif des contraintes de Maastricht, d’autant que sa constitution lui impose déjà de sévères restrictions d’endettement.
Cette situation nouvelle, fruit de circonstances elles-mêmes exceptionnelles, invite à une double réflexion, sur le changement du rapport politique de la France et de l’Allemagne, mais aussi sur le bien-fondé économique des accords de Maastricht.
L'Allemagne moins endettée mais en retard d'investissements
La France a fait longtemps l’objet de critiques appuyées concernant son endettement et son déficit, supposé résulter de dépenses sociales trop élevées. Force est de constater aujourd’hui qu’une part importante de la dépense publique française concernait le domaine militaire et nucléaire, dont l’importance stratégique pour l’Europe est aujourd’hui perçue.
On a découvert par contraste, l’immense retard de l’Allemagne dans ce domaine et, autre surprise, le sous-investissement public dans d’autres domaines comme le transport ferroviaire ou le numérique. On peut espérer que cette remise en perspective de l’endettement français conduise au rééquilibrage de la relation entre les deux pays, condition d’un travail efficace pour contrer la menace russe actuelle et celle, possible, de l’OTAN privée de la participation des États-Unis.
Toute aussi importante est la prise de conscience du caractère contre-productif des accords de Maastricht sur le plan économique. Focaliser l’attention sur la dette et uniquement sur cela n’a pas de sens si l’on fait abstraction de sa contrepartie, son usage. Comment ne pas ressentir aussi la contradiction entre la condamnation du niveau de la dette de la France et l’intérêt soutenu des prêteurs pour l’achat des obligations françaises. La notation AA actuelle, voire AA- comme certains le prédisent reste en effet le marqueur d’une dette à faible risque, car il est tenu compte des investissements que cette dette a financés.
Les commentateurs étrangers s’étonnent parfois du silence des Français sur leurs propres réussites en matière d’attractivité, de réindustrialisation ou de taux d’emploi, lesquelles sont le résultat d’investissements publics ciblés. Ce qui apparait ainsi est que plus que son niveau, ce qui compte est l’affectation de l’endettement au développement des secteurs productifs de l’économie.
S’il est vain d’espérer la rénovation en ce sens des accords de Maastricht dans un avenir proche, nous pouvons compter sur la reprise prochaine des achats d’obligations par la BCE et peut-être même sur un nouvel emprunt de l’UE pour contourner les limites économiquement pénalisantes de ces accords. C’est seulement ainsi que l’Europe pourra faire face aux défis de l’heure. Alain Lemasson Centrale & Insead - ancien banquier fondateur d’Infofi2000 (e-learning) |
Voir la chronique sur le site de Capital
(cliquer sur l'image - le titre a été changé)
|
||