Volkswagen et Peugeot
Cet article écrit en 2014 relate une expérience vécue en M&A quelques vingt années auparavant (il y avait prescription). Quel chemin parcouru lors depuis par Peugeot !
Volkswagen et Peugeot, une occasion manquée
En cherchant un appui chinois, Peugeot fait montre de courage. De désespoir aussi, car en procédant ainsi le groupe s'expose à bien des incertitudes. La connivence des ingénieurs pèse de peu de choses dans un pays où les règles du jeu de la politique, de l'économie et du droit se confondent. Le rapport de force avec le partenaire chinois n'est pas en faveur du groupe français, dès lors à la merci de décisions unilatérales voire d’une mise à l’écart brutale.
Tout a été dit sur le problème de Peugeot et notamment son manque d'internationalisation. Le diagnostic est ancien. Depuis plus de vingt ans, les banquiers d'affaires murmurent à l'oreille des propriétaires les avantages d'une fusion avec tel ou tel groupe automobile mondial. A toutes les propositions de mariage, ces derniers ont toujours opposé un niet catégorique.
Les PDG des groupes, à l'instar des premiers ministres, incarnent le pouvoir mais ne le détiennent qu’en partie. Les vrais décideurs sont les propriétaires-actionnaires. Les patrons successifs de Peugeot ont probablement tous milité dans le "bon" sens d'un rapprochement trans-frontière. A eux comme aux banquiers d'affaires, la famille a dit non, parfois sans douceur.
Il faut imaginer la vie des familles de propriétaires-héritiers. Les discussions âpres, les divisions, l'irruption des sentiments. En l'absence de leader déterminé, le compromis et la loi du plus petit dénominateur commun s’imposent. La recherche d’un accord préservant la paix l'emporte sur la préoccupation du futur.
Les membres de la famille en faveur d'une fusion n'ont jamais pu ou su imposer leur point de vue sur la nécessité d’un rapprochement. Pourquoi maintenant ? Pourquoi ce mouvement surprenant vers la zone de tous les dangers ? L’argent y est probablement pour beaucoup. Le groupe perd chaque mois des millions d'euros et la « famille » ne veut pas ou plus combler le trou. Les conditions de sa marginalisation sont à présent remplies. L’avenir de Peugeot pourrait bien se jouer sans les Peugeot.
Il est intéressant de mettre en parallèle le destin de cette famille et celui des Porsche-Piech, ses homologues d’outre-Rhin. Entre le bureau d'études de Ferdinand Porsche des années trente, l'usine Volkswagen des années noires qu'il a conçue et dirigée, et le puissant groupe Volkswagen-Porsche d'aujourd'hui, quel chemin parcouru. Ferdinand Piech, l'actuel Président de Volkswagen, petit-fils du fondateur, est parvenu à imposer ses vues à ses cousins Porsche. Avec une patience d'orfèvre, ce grand ingénieur a réuni dans un ensemble cohérent des marques aussi différentes qu'Audi, Volkswagen, Skoda, Man, Seat, Scania ou Bentley. Présent en Chine depuis trente ans, le groupe y a conquis la position de leader. L'intégration réussie de chacune des entités du groupe est le fruit d'un immense travail technique, industriel, politique et psychologique. On doit imaginer le combat de titan qui a précédé l'intégration récente du bijou Porsche dans la galaxie Volkswagen. Les déchirements du clan Porsche confronté à la volonté du cousin Piech. Les combats boursiers d'arrière-garde, la recherche des appuis politiques, les menaces de procès. Aujourd'hui, le résultat est là, la validité du concept s'est imposée à tous.
L'histoire de Peugeot aurait pu s’écrire il y a une vingtaine d’années dans une alliance entre égaux avec les Piech-Porsche. La famille Peugeot n'a pas voulu ou pu dire oui. On en saura peut-être un jour les vraies raisons.
Alain Lemasson – Ancien cadre de Banque INDOSUEZ