mémoire long
VIN, CULTURE ET OENOTOURISME
DANS LA VALLÉE DU HAUT-RHIN
Un exemple pour la Bourgogne ?
(mémoire de Alain Lemasson)
Turner – Vallée du Rhin
Introduction
Les vins de Bourgogne l'emportent sans conteste, en notoriété, sur les vins allemands. C'est ainsi que de Shanghai à Chicago, de Singapour à Moscou, il est toujours possible de déguster les Corton, Chambolle-Musigny, Montrachet et autre Volnay.
L'Allemagne est relativement connue pour ses vins blancs, ses Rieslings notamment, et pour ses Vins de Glaces. Bien rares cependant sont les consommateurs capables d'énumérer les principales régions vinicoles. Et plus rares encore sont les connaisseurs des vins rouges allemands. Les vins de Höllenberg, d'Assmanshausen, deux des meilleurs pinots noirs cultivés sur les bords du Rhin, sont peu ou pas connus en France. Et pourtant, leur région de production, la Rheingau, - l'équivalent en surface de la Côte de Nuits - connaît une prospérité vinicole que pourrait lui envier mainte région française.
Cette prospérité doit beaucoup au développement de l'oenotourisme. La région, inscrite en partie au patrimoine mondial de l'UNESCO, dispose il est vrai d'atouts naturels et culturels remarquables, à défaut de grands crûs de renommée mondiale. Les initiatives coordonnées des particuliers, des organismes professionnels et des administrations régionales ont permis d'intégrer l'oenotourisme dans une démarche globale de valorisation du patrimoine local.
Cette situation invite à une double réflexion. Le première concerne l'application possible à la Bourgogne des méthodes employées dans cette petite région d'Allemagne. La seconde, qui en découle, concerne la "cible" de l'oenotourisme bourguignon. C'est en effet précisément la clientèle allemande que pourrait viser en priorité la démarche bourguignonne. Ce serait la première étape d'une action visant à développer les ventes vers l'Allemagne et à réduire à terme la dépendance actuelle des marchés anglais et américains, largement responsables de la chute des ventes bourguignonnes depuis 2007.
I - Le Vin en Allemagne: une réalité et un marché sous-estimés
L'Allemagne, c'est 100 000 hectares de vignes - 1/8ème du vignoble français, soit un peu moins que le vignoble bordelais - et une production de vin d'environ 10 millions d'hectolitres - ce qui place ce pays au 8ème rang mondial. Ici comme ailleurs, le monde viti-vinicole est complexe. Son évolution est le reflet des mouvements politiques, économiques et sociaux ayant affecté cette partie de l'Europe depuis deux mille ans.
Les Allemand consomment deux fois plus de vin qu'ils n'en produisent. La consommation - 20 millions d'hectolitres - représente les 2/3 de la consommation française (30 millions d'hectolitres). L'Allemagne est donc structurellement un pays importateur de vin. Dans la vie courante comme dans l'économie, le vin joue un rôle non négligeable outre Rhin.
Les chiffres de l'Institut Allemand du Vin font apparaître plusieurs éléments pouvant surprendre.
Le premier est l'importance croissante du vin rouge dans la consommation. Cette tendance est ancienne et profonde. Ainsi entre 1993 et 2008 par exemple, les parts relative du vin blanc et du vin rouge dans la consommation se sont inversées:
1993 58% (vin blanc) - 32% (vin rouge)
2008 38% (vin blanc) - 52% (vin rouge)
Le deuxième élément est la profonde modification du vignoble. Pour suivre la tendance, la surface plantée en vin rouge a doublé, de 18% de la surface totale en 1993 à 36% en 2008. Le vignoble allemand planté en Pinot Noir est en surface le 3ème du monde. Corrélativement, la proportion du vignoble consacrée au vin blanc a baissé de 82% à 64%.
L'évolution de la production n'a pas suffit à couvrir la demande en vin rouge, qui constitue par conséquent l'essentiel des importations. A noter que si les vins français sont les premiers vins étrangers importés en Allemagne, la part des vins bourguignons est faible: selon le BIVB, 5 millions de bouteilles ont été vendues en 2008 sur le marché allemand, soit moins qu'en Belgique (9 mio) ou en Hollande (6 mio) !
Régions viti-vinicoles allemandes
Le troisième élément concerne l'amélioration qualitative de la production. La recherche oenologique progresse en Allemagne comme ailleurs, sous l'égide de deux Institutions réputées situées, l'une en Vallée du Rhin (Rheingau) et l'autre en Bavière. La qualité des vins rouges, notamment, ne cesse de s'améliorer. Certains Pinots Noirs ont ainsi leur place dans les exportations allemandes de vins « haut de gamme », à coté de certains Rieslings et des Vins de Glace - l'équivalent, en prix, de nos Romanée-Conti. A noter que la France, avec 1,25 millions de bouteilles figure au 7ème rang des importateurs de vins allemands.
II - La Vallée du Rhin-Moyen
L'essentiel du vignoble allemand est situé dans la zone tempérée de la vallée du Rhin, dont la partie centrale, appelée le « Haut Rhin moyen", est depuis 2002 inscrite au Patrimoine Mondial de l'UNESCO .
Un paysage naturel et culturel exceptionnel
Le Rhin parcourt l'Allemagne sur une distance d’environ 700 kilomètres en suivant un axe Sud-Nord légèrement infléchi vers l’Ouest.
Entre Mayence (Mainz) - capitale du Palatinat jumelée avec Dijon - et Coblence, deux villes distantes de 70 kilomètres, le fleuve traverse des massifs schisteux aux fortes pentes, dont la partie inférieure est couverte de vignes. Son parcours sinueux se rétrécit et son courant s’accélère.
La beauté du site en canyon et la navigation redoutable sur cette partie du fleuve ont inspiré d'anciennes légendes et un important courant artistique.
Le romantisme rhénan
"Le Rhin réunit tout. Le Rhin est rapide comme le Rhône, large comme la Loire, encaissé comme la Meuse, tortueux comme la Seine, limpide et vert comme la Somme, historique comme le Tibre, royal comme le Danube, mystérieux comme le Nil, pailleté d'or comme un fleuve d'Amérique, couvert de fables et de fantômes comme un fleuve d'Asie"
Victor Hugo
Le Rhin a fortement marqué la culture allemande. Il a longtemps été considéré avec crainte et respect par les peuples germaniques, d'où proviennent des légendes peuplées de géants et de nains, de dragons et de héros, de fées et de nixes. Ainsi la légende des Nibelungen, reprise par Wagner dans sa Tétralogie « L’Anneau du Nibelung » , laquelle met en jeu des ondines - les filles du Rhin – et des nains du « monde d’en bas » (les Nibelung»).
Le personnage mythique de la Lorelei - une mystérieuse déesse blonde des bords du Rhin dont le chant et la beauté ensorcelaient les marins - a inspiré, entre autres, le poème célèbre de Heine, scrupuleusement enseigné aux écoliers allemands.
Ce qu'on appelle le romantisme rhénan est apparu au début du 19ème siècle. Des poètes, comme Goethe, Brentano et von Arnim, ont remis au goût du jour de vieilles chansons populaires allemandes de la vallée du Rhin et exalté la beauté de la nature. Dans leur sillage, de nombreux écrivains et artistes ont fait le voyage du Rhin, comme Lord Byron, le conteur Andersen ou Victor Hugo. Turner y a peint plus de cinquante aquarelles. Schumann, a mis en musique des textes de Goethe, Schiller et Heine inspirés des contes rhénans, avant de passer lui même les dernières années de sa vie dans la vallée du Rhin.
Patrimoine mondial de l'UNESCO
Par son inscription au Patrimoine du site "La Vallée du Haut Rhin-Moyen », l'UNESCO a ainsi reconnu la richesse de cette région aux plans naturel, historique - frontière de l'Empire Romain -, et culturel. Le vignoble de la Vallée du Haut Rhin est l'une des composantes importantes de ce Patrimoine.
L'une des particularités du site réside dans la quarantaine de châteaux répartis sur 65 kilomètres entre Bingen/Rüdesheim et Coblence, une densité unique au monde. Ces châteaux ont été construits au 10ème-12ème siècle par les seigneurs locaux et les archevêques de Cologne, Mayence et Trêves, attirés par le climat tempéré, et .. les revenus du péage fluvial.
La plupart de ces châteaux ont été détruits ensuite, notamment lors de l’avancée des armées révolutionnaires françaises en 1793. Ils ont été reconstruits à partir du 19ème siècle grâce au regain d'intérêt suscité par le courant romantique.
III - La Rheingau, Bourgogne du Rhin
La Vallée du Haut Rhin-Moyen est la plus ancienne région viticole d’Allemagne. La viticulture y est arrivée au plus tard à l’époque romaine. Le climat y est exceptionnellement tempéré.
Les vignes ont d'abord été plantées sur sol plat, comme l'ont montré des fouilles archéologiques effectuées en aval de Coblence. Au Moyen Age, les coteaux entre Coblence et Bingen ont été progressivement aménagés en terrasses. La ville de Bacharach créée en 920, à mi-parcours, est devenue le marché aux vins le plus important de la région.
A noter que depuis 1960, Rüdesheim et Bingen, situées à l'extrème sud du site, de part et d'autre du Rhin, sont jumelées l'une avec Meursault, l'autre avec Nuits-Saint-Georges.
La Rheingau
La Rheingau - le mot Gau désigne la région en vieil allemand - est située sur la rive droite du Rhin, entre deux coudes, à un moment où le fleuve prend brusquement un cours Est-Ouest. Elle s’étend de Wiesbaden (le premier coude) à Rüdesheim (le deuxième coude), et remonte jusqu’à Lorch. à une douzaine de kilomètres plus au nord. Ces deux localités, et leurs vignobles appartiennent au site du Patrimoine mondial de l’UNESCO.
A noter que Wiesbaden (280.000 habitants), la capitale du Land de Hesse, est géographiquement très proche de sa « consoeur » Mayence-Mainz (200.000 habitants) située exactement en face, sur l'autre rive du Rhin. On trouve ici une caractéristique de l'Allemagne, pays à forte densité démographique: à la différence de la France, les espaces inter-urbains y sont très réduits .
Le vignoble, situé sur la partie moyenne et basse des collines, occupe une surface de 3200 hectares, une étendue comparable à celle de la Côte de Nuits (3700 hectares).
Le plus grand domaine est celui de l'Abbaye d'Eberbach (200 hectares). A coté d'une dizaine d'autres grands domaines, comme le Château de Johannisberg, on compte environ 600 exploitations de taille petite et moyenne, la majorité ne dépassant pas 10 hectares. Les vins blancs (80% de la production) et surtout les vins rouges produits en Rheingau sont considérés comme les meilleurs d'Allemagne.
Climat et sol
Le climat de la vallée du Rhin est caractérisé par des étés tempérés et secs, et par des hivers doux. Avec la vallée, qui protège des vents froids, le fleuve est un facteur important de ce micro-climat favorable, jouant le double rôle de réflecteur des rayons solaires le jour et de régulateur thermique la nuit. La température moyenne quotidienne est proche de 20° en été et de 1° en hiver.
La pluviosité sur les coteaux est modérée, grâce à l'effet « barrage » des plateaux dominants. Les précipitations annuelles en Rheingau sont ainsi comprises entre 450 mm le long du Rhin et plus de 1000 mm sur les hauteurs du massif de la Taunus, à 10 kilomètres de distance seulement.
Selon la légende, Charlemagne, observant que la neige fondait plus rapidement sur les versants de l’actuelle Rheingau, y aurait ordonné la culture de la vigne. A la différence des autres vignobles de la Vallée du Rhin, la Rheingau est en effet exposée vers le Sud, et bénéficie d'une plus grande durée d'ensoleillement. La vigne de se développe ici dans des intervalles de température proches de ceux que l’on trouve en Bourgogne.
Au plan géologique, le massif de la Taunus est constitué de schistes argileux de l'époque du dévonien (- 400 millions d'années). La Rheingau représente une grande diversité de sols: quartz, schistes, lœss, marnes, calcaires, ardoises, limons.
Similitudes avec la Bourgogne
La Bourgogne et la Vallée du Rhin, deux régions distantes d'à peine 400 kilomètres, sont marquées l'une et l'autre par une histoire dense, une forte identité culturelle et une tradition viti-vinicole ancienne. La ressemblance est particulièrement marquée en Rheingau. Cette région est unique en Allemagne par la diversité de ses sols et la variété de ses crus. C'est aussi la région qui compte la plus forte proportion de vignerons indépendants.
- Le Pinot Noir
La Rheingau est réputée pour la qualité de ses Rieslings, les meilleurs au plan national et pour certains au plan international (Steinberger, Château Johannisberg).
L'unique cépage utilisé en rouge est le Pinot Noir, appelé « Spätburgunder », le « bourguignon tardif ». Il représente 13% du vignoble, soit 386 hectares (Institut du Vin DWI). Les meilleurs vins rouges d'Allemagne sont obtenus dans la partie la plus occidentale de la région: les 22 hectares des vignobles de la commune d'Assmanshausen, entre Lorch et Rüdesheim sont exclusivement plantés en Pinot Noir. Ces vignobles appartiennent pour la plupart à l'Abbaye d'Eberbach, située à une dizaine de kilomètres.
- Les Cisterciens
L'Abbaye d'Eberbach est la première abbaye cistercienne en Allemagne et la 22ème de l'Ordre. Créée en 1136 par Saint Bernard, elle s'est affirmé au Moyen-Age comme un centre d'économie viti-vinicole, propriétaire de vignobles et d'une flotte de transport de vins. Reconstruite plusieurs fois, l'Abbaye et son vignoble exceptionnel de 200 hectares appartiennent aujourd'hui à l'Etat régional, le « Land » de Hesse.
- Oenologie
L’Institut du Vin de Geisenheim, créé en 1872 sur les bords du Rhin, possède son propre vignoble de 24 hectares. C'est ici qu'en 1882 a été mis au point un cépage très répandu en Allemagne, le Müller-Thurgau, un mélange de Riesling et de Sylvaner à maturité précoce, bien adapté aux régions les plus froides. L'Ecole du vin, couplée à l'Institut, est depuis 2005 rattachée à l'Université de Wiesbaden. Comme l'IUVV de Dijon, elle délivre les diplômes de niveau Licence et Master.
IV - L'Oenotourisme en Rheingau
Longue de 25 kilomètres et large de 3 kilomètres, la Rheingau est un peu plus petite que la Côte de Nuits. L'intégralité du vignoble ou presque se déploie sur les coteaux pentus caractéristiques des bords du Rhin, de sorte que, quelque soit son mode de transport - voiture, train ou bateau - le voyageur peut en embrasser le contour quasiment d'un seul regard.
L’activité oenotouristique en Rheingau est intense, comme le révèlent la densité des structures d’accueil ainsi que la variété et la régularité des animations locales. Des interviews de responsables du secteur public ont permis de cerner l’élément « invisible » mais bien réel que représente l’implication de l’administration régionale et des municipalités dans le développement de cette activité.
Des vignerons restaurateurs
La Rheingau, c’est quelques dizaines de villages et de petites villes dans un maillage dense. Partout, comme en Bourgogne, d'innombrables pancartes fléchées indiquent les noms et adresses des vignerons.
A y regarder de près toutefois, ces villages paraissent plus vivants que leurs homologues bourguignons. Les hôtels et les tavernes abondent. La plupart des vignerons sont également restaurateurs. Mr Boyer-Martenot, adjoint au maire de Meursault en charge du jumelage avec Rüdesheim, résume la situation par une formule: "La-bas, chaque vigneron a deux métiers".
L'un des ses collègues allemands rencontré sur place précise en effet que son métier d'aubergiste commence chaque jour à 16 heures. La grande salle de restaurant aménagée chez lui sert à la convivialité. Ses vins sont vendus en tant que boissons accompagnant les repas ou occasionnellement offerts en dégustation. Les clients qui le souhaitent peuvent naturellement passer commande après leur repas, voire partir directement avec leurs achats. Le caveau du sous-sol est réservé à la dégustation « professionnelle », avec des clients ou collègues étrangers.
Cette activité, la "Strausswirtschaft", est favorisée par une législation autorisant les vignerons à recevoir jusqu'à 40 personnes pendant une durée maximum de 4 mois sans autorisation réglementaire et en exonération de taxes.
Une offre de vins "lisible"
Les étiquettes des vins allemands comportent au minimum six indications légales, comme le lieu de production, le millésime, le degré d'alcool, etc.. L'indication de qualité comporte quatre niveaux possibles.
Le niveau le plus élevé, l'équivalent des AOC, est à son tour subdivisé en six catégories de qualité croissante, dont les critères ne sont pas des plus clairs pour le profane.
Depuis 2003, un nouveau système de classification d'une grande simplicité a été superposé au précédent. Les vins de qualité peuvent être « estampillés » en deux catégories, "Classic" et "Selection".
Les vins "Classic", soigneusement sélectionnés, sont obligatoirement des vins secs issus des meilleurs cépages de la région. Ils doivent satisfaire à des conditions précises de vinification et présenter des qualités "harmonieuses".
Le label "Selection" s'applique aux vins d'excellence, produits selon un cahier des charges très rigoureux avec, notamment, un rendement limité, des vendanges manuelles, un degré d'alcool minimum. Chaque région fixe les cépages autorisés.
Ce système, destiné à attirer de nouveaux consommateurs, a permis également de la diffusion de vins régionaux de grande qualité.
Richesse et continuité événementielle
On ne vient pas a priori en Rheingau pour une dégustation de vin et une visite de cave. On y vient d'abord pour participer à une manifestation qui entraînera une consommation de vin et, éventuellement, une dégustation. Le flux régulier de touristes en Rheingau et dans les tavernes des vignerons-restaurateurs résulte d'une organisation méthodique de l'attractivité de la région.
Des manifestations de toute nature se déroulent en effet tout au long de l'année, dans toutes les villes, tous les villages, dans les lieux les plus variés. Ces manifestations d'ordre culturel ou festif associent un événement ou un thème, voire deux, avec le vin.
Associer le vin à la gastronomie, à la musique, à la fête, aux rencontres, n'a rien d'original en soi. Ce qui est particulier en Rheingau, c'est l'abondance et la régularité des « Semaines des Gourmets », l'abondance et la régularité des Festivals de musique, musique classique ou jazz, des Concerts, des Conférences, des croisières gastronomiques (Bacchus sur le Rhin), des Rencontres à thème ou des réunions d'associations privées dont les membres partagent un intérêt culturel ou autre lié au vin. Ces événements réguliers sont ponctués de spectacles festifs, comme les "Spectacles du Rhin en Flammes", ou l'élection des Reines de La Vigne. Toutes ces manifestations sont fortement médiatisées, par le biais de la presse locale – la diversité des journaux locaux est plus grande qu'en France - et grâce à de multiples sites internet, tri- ou quadrilingues, des municipalités des acteurs privés ou des organismes professionnels.
Ces manifestations ont lieu partout, chez les vignerons équipés en tables d'hôtes, dans les hôtels, dans les châteaux ou dans les Abbayes de Rheingau. L'Abbaye d'Eberbach a développé un programme culturel de très haut niveau associant, sous la devise «Ars et vinum», les Beaux-Arts et la Culture du vin. Son Festival Musical, programmé chaque année jouit d'une réputation internationale. Pas moins de 150 manifestations sont prévues de Juin à Août 2010. Le répertoire comprend des concerts de chambre, des récitals, des concerts symphoniques mais aussi quelques soirées cabaret dans certains domaines viticoles ainsi que des balades romantiques en bateau sur le Rhin. L'Abbaye est par ailleurs le siège de l'Académie Allemande du Vin, une association de plus de huit cents membres triés sur le volet qui se réunissent tous les mois par petits groupes chez les vignerons ou dans les hôtels. L'Association possède des représentations à Berlin et à Munich.
Il faut enfin citer le fait particulier des croisières touristiques sur le Rhin. Le Rhin joue à cet égard le rôle d'une véritable autoroute et les ponts des navires constituent autant de balcons offrant aux touristes une vue panoramique privilégiée sur le vignobles des bords du Rhin.
L'implication du secteur public
Wiesbaden, capitale du Land de Hesse, héberge le Gouvernement régional et le Parlement du Land. Dans la constitution allemande, la régionalisation est plus poussée qu'en France, et des domaines comme le Tourisme, la Culture et l'Education sont décentralisés. C'est ainsi que le Land de Hessen a "ses" Ministres de la Culture et du Tourisme, un facteur de proximité utile pour les décideurs du domaine public et du domaine privé.
- Le Land de Hesse propriétaire de l'Abbaye d'Eberbach - donc propriétaire indirect de 200 hectares de vignes - joue un rôle singulier, puisque il est à la fois l'incarnation de la puissance publique et acteur du monde vinicole. L'Etat régional dispose donc de tous les atouts pour exercer un leadership efficace dans le domaine de l'oenotourisme. Sous sa houlette, « Kloster Eberbach » est devenu le navire amiral de la promotion culturelle du Land.
- La Municipalité de Wiesbaden, très impliquée dans la promotion du tourisme régional et notamment de l'oenotourisme, a adopté une attitude résolument "offensive". Pour des raisons d'efficacité commerciale et budgétaire, une partie de son administration a été "privatisée" et transformée en centre de profit. C'est ainsi qu'en 2003, le Département Tourisme de la ville a été transformé en SARL, et le personnel de direction a été recruté dans le secteur touristique privé. La société constituée, la Wiesbaden Marketing GmbH commercialise dorénavant son savoir-faire dans l'organisation de manifestations, et pratique la vente directe de packages touristiques. L'efficacité du nouveau dispositif provient de la qualité de son personnel, et de la richesse du réseau de correspondants dans le monde du tourisme et parmi les organisations professionnelles
- Les Municipalités locales jouent également le jeu de l'animation sur le thème du vin et de la convivialité. Comme partout en Allemagne, les municipalités sont très impliquées dans l'animation festive et musicale des villes et des villages. A noter que Mayence, de l'autre côté du Rhin dans une région qui n'est plus la Rheingau, est membre de Great Wine Capitals.
En résumé
Le développement oenotouristique de la Rheingau repose sur un ensemble de facteurs techniques:
- la densité de l'équipement hôtelier
- l'implication directe des vignerons dans la restauration
- la richesse événementielle dans le temps (tout au long de l'année) et dans l'espace (dans chaque ville ou village) permettant la régularité du flux touristique
- l'association systématique du vin avec un autre événement
- l'implication profonde et durable des autorités
- la densité de la communication médiatique (presse écrite, net)
Il apparaît aussi que ce dispositif oenotouristique s'appuie sur certains éléments relevant de la culture allemande:
- l'importance donnée à la Musique, musique classique, chant choral, ou jazz
- la coutume de la table d'hôte, la « Stammtisch », creuset de la convivialité, et dans une certaine mesure, de l'affectivité
- le sens de la fête, plus marqué et plus spontané qu'en France
- le sens différent donné au repas, où la priorité est donnée à la convivialité et au vin plus qu'au nombre de plats, ce que ne contredit pas l'intérêt occasionnel pour la gastronomie.
V - Un exemple et une cible pour la Bourgogne
La problématique bourguignonne
En 2008, selon les statistiques du BIVB, la situation était la suivante:
- les ventes globales de vins de Bourgogne ont été de l’ordre de 1,2 milliards d’EUROS
- 50 % de ces ventes ont été réalisées à l’exportation, pour un montant de 635 M EUROS
- 43 % des exportations ont été faites en Grande Bretagne et aux Etats-Unis, pour un montant de 271 M Euros
Par ailleurs
- la baisse des ventes globales entre 2008 et 2007 est directement imputable aux exportations, le marché français étant resté à peu près stable sur cette période
- la baisse des exportations (- 81.9 M EUROS) est due en quasi totalité à la baisse des marchés américains et anglais (- 79,6 M EUROS)
Pour 2009, la tendance est une aggravation de la situation globale, puisqu'à une nouvelle détérioration de l'export, principalement aux Etats-Unis et en Grande Bretagne, s'ajoute la dégradation du marché national. La baisse des volumes export était de 26% au dernier trimestre 2008, et de 30% au premier trimestre 2009.
Ces chiffres montrent
- le poids relatif important – presque 25% - des marchés américains et anglais dans les ventes de vins de Bourgogne,
- l’impact des fluctuations de ces marchés, très sensibles aux facteurs diplomatiques et financiers (taux de change)
La Bourgogne a clairement un problème de diversification de ses exportations.
Par ailleurs, le rapport du BIVB fait état du faible impact de l'oenotourisme bourguignon sur les ventes de vins en propriété, puisque le nombre de "cols" vendus sur place est estimé à 5 000 bouteilles seulement, dont 1000 à des acheteurs étrangers. Même en considérant les volontés d'achats induites par les visites en propriété et concrétisées dans les autres circuits de distribution, ces chiffres demeurent faibles.
L'offre oenotouristique comparée
A première vue, l'attractivité oenotouristique de la Bourgogne peut paraître supérieure à celle de la Rheingau. Certes le Terroir Bourguignon ne bénéficie pas (encore) du label « Patrimoine Mondial » de l'UNESCO, mais comme en Rheingau, les atouts historiques et culturels de la région - et notamment l'apport à la civilisation des Grands Moines et des Grands Ducs – sont d'une grande richesse. Et surtout la Bourgogne possède à travers ses Grands Crus, des joyaux incomparables.
La comparaison avec l'Allemagne fait cependant apparaître l'insuffisance de visiblité des principaux atouts bourguignons.
Si l'on considère la mise en valeur des paysages, il est certain que la RN74 souffre difficilement la comparaison avec le Rhin en tant que moyen de circulation et d'observation du paysage viti-vinicole et des terroirs. La Bourgogne n'a pas d'élément naturel emblématique. Solutré, bien loin de la Côte de Nuits, dont elle prolonge le sous-sol géologique, n'a pas le charme ou la puissance évocatrice de la Lorelei. Et surtout, si les vignobles bourguignons sont d'une grande beauté, cette beauté n'a pas fait l'objet d'une « mise en scène » préalable dans les esprits comme c'est le cas pour les vignobles du Rhin, inscrits en filigrane des nombreuses évocations artistiques ou littéraires de la Vallée du Rhin.
Il en est de même de la richesse historique de la Bourgogne, une richesse difficile à entrevoir. L'épopée des Grands Ducs de Bourgogne des 14 et 15èmes siècles, pour ne pas dire leur rêve centrifuge, celui de reconstituer la Lotharingie, ne figure pas au premier plan des livres d'histoire français. Quant aux Grands Moines du Moyen-Age, les vestiges de leur présence sont rares – Cluny et Champmol ne sont plus- ou très éparpillés entre le Nord et le Sud de la Bourgogne. L'Abbaye de Citeaux, autrefois « lumière du monde » n'est plus qu'une ombre, alors qu'Eberbach, sa 22ème fille, à 380 kilomètres de là, est ô combien vivante.
Ainsi l’écrin historique et culturel du vignoble allemand est sans égal au plan touristique parce que « visible ». L’approche des richesses culturelles bourguignonnes suppose en revanche une recherche opiniâtre et une connaissance préalable de l’histoire et du développement de l’art dans la région.
La comparaison avec l'Allemagne fait apparaître entre outre l'insuffisance de l'offre oenotouristique actuelle de la Bourgogne, une insuffisance quantitative et qualitative.
La Bourgogne -dans ses villages surtout - paraît très en retard au plan de l'équipement de base en hôtellerie, restauration et lieux de convivialité. Il semble aussi que le scénario des rencontres « touriste-vigneron », quand elles ont lieu, se limite le plus souvent à la visite commentée de caves qui se ressemblent toutes, avec le point d'orgue d'une dégustation-crachoir hâtive axée sur l'achat immédiat de vins de la propriété. Tout repose alors sur la personnalité du vigneron, son talent de conteur, son charisme et ses capacités linguistiques.
On ne bâtit pas une offre oenotouristique sur la seule attractivité des talents( supposés) des vignerons.
L'exemple de la Rheingau montre l'intérêt de l'association du vin et d'un autre élément d'attrait. On est loin de cette situation en Bourgogne. Si de nombreux organismes privés et publics font la promotion de l'oenotourisme bourguignons, les « packages » proposés paraissent le plus souvent monoproduits, centrés sur le vin. Les randonnées diverses ou les circuits organisés proposent ainsi la « visite des vignes », la « découverte des terroirs », les "promenades en route des vins", et la conclusion inévitable en « visite de cave et dégustation ».
Il y a certes en Bourgogne des événements « phares », manifestations culturelles ou rencontres de prestige dans des lieux exceptionnels (Clos Vougeot, Hospices de Beaune) mais de tels événements sont épisodiques, quand ils ne sont pas à caractère (trop) élitiste.
S'inspirer du « modèle » germanique
La mise en place d'une offre oenotouristique structurée en Bourgogne, à l'image de ce qui est observable en Rheingau, représente certainement un chantier de longue haleine.
Trois objectifs principaux devraient être fixés:
- le renforcement de l'infrastructure hôtelière
- le développement d'une chaine événementielle dense et de qualité
- la formation des vignerons
Les conditions de cette mise en place ne sont certainement pas remplies aujourd'hui, à aucun niveau.
On peut en effet douter de la motivation des vignerons à suivre la voie de l'acquisition d'un « deuxième métier » et d’une ou deux langues étrangères. La génération qui a tiré un profit mérité des « Glorieuses » compte sans doute sur la suivante pour faire les adaptations nécessaires. On vit encore très bien du vin en Bourgogne, même si on a conscience de la fin prochaine de l'Age d'Or.
On peut douter aussi de la capacité politique et financière des autorités régionales bourguignonnes à exercer un leadership en la matière. Le Conseil Régional, en sa structure actuelle, n'a qu'une fraction des capacités de son confrère, le Land de Hesse, ce qui signifie que Paris a plus que son mot à dire en matière d'équipement touristique et de programmation culturelle. Et vue de Matignon, la problématique oenotouristique de la Bourgogne n'est sans doute pas prioritaire.
Cibler la clientèle allemande
Quelques soient la volonté politique et les moyens mis en jeux, de toute façon, on ne transforme pas du jour au lendemain les caveaux en tables d'hôtes, les vignerons en restaurateurs trilingues, on ne crée pas un Festival de Musique de renommée mondiale capable de « tenir » tout un été, on n'instaure pas dans l'instant une tradition de Rencontres Culturelles brillantes et conviviales, on ne décrète pas l’animation festive, régulière et coordonnée des villages, ou la mise sur pied d’un système crédible de Reines de la Vignes.
L'attitude réaliste consisterait plutôt à définir tout d’abord une stratégie à long terme et à choisir pour l'immédiat un projet mobilisateur ayant valeur de test. Un projet peu coûteux en investissement, soutenu par l'autorité politique régionale, susceptible d'entraîner des retombées rapides et de déclencher le relais de l'initiative privée.
Le choix stratégique de l'Allemagne comme cible de l'oenotourisme bourguignon relève d'observations de bon sens:
- Le potentiel allemand est important: ce pays importe chaque années 10 millions d'hectolitres de vin
- Les allemands sont francophiles, (ainsi le dicton: "Vivre comme Dieu en France") et souvent francophones.
- Il existe une importante classe moyenne aisée, cultivée, hédoniste, et voyageuse, tournée vers un art de vivre de qualité
- La demande allemande est caractérisée par la préférence pour les vins rouges de Pinot Noir
Ce dernier point est important car, la Bourgogne n'occupant qu'une place modeste dans les exportations actuelles de vins français vers l’Allemagne, devrait affronter en premier lieu la concurrence franco-française. Ses vins rouges constituent à cet égard un avantage certain.
Ainsi, par le biais de l'oenotourisme, la Bourgogne pourrait à terme conquérir et pérenniser une part de marché substantielle en Allemagne, (le renforcement et le ciblage de la distribution constituant la deuxième phase de ce redéploiement).
Un Projet Test
L'idée première serait d'utiliser les méthodes et le savoir-faire existants pour élaborer une programmation événementielle de haut niveau en Bourgogne, et surtout lancer dans l'immédiat un premier projet ayant valeur de test.
Dans cet ordre d'idée, on pourrait faire appel à la capacité de Conseil de l'équipe de l'Abbaye d'Eberbach et pourquoi pas, travailler sur le thème du rapprochement des deux Abbayes, l'Abbaye de Citeaux et l'Abbaye d'Eberbach, autrefois mère et (petite-)fille.
Comment? Tout simplement en proposant à l'Abbaye d'Eberbach d'inclure la Bourgogne cistercienne dans sa programmation musicale annuelle. De nombreux sites possibles sont envisageables en Bourgogne, à commencer par l'Abbaye de Citeaux elle-même, qu'il conviendrait naturellement d'adapter dans cette perspective.
Etape du Festival de Musique de l'Abbaye d'Eberbach, la Bourgogne des Grands Crus ferait ainsi à moindre frais son entrée dans le monde de l'oenotourisme de qualité, dans la tradition de « Ars et Vinum ». Avec à la clé l'arrivée répétée sur son sol de quelques centaines de mélomanes amateurs de vins exquis, c'est-à-dire autant d'acheteurs et de prescripteurs potentiels des vins bourguignons.
Une offre oenotouristique « sur mesure » devrait accompagner le déroulement du Festival. Pour sa conception, l’avis et le conseil (rémunérés) des spécialistes du Land de Hesse, des Municipalités de Wiesbaden et de Mayence pourraient être sollicités, de manière à tenir compte, notamment, des exigences de la clientèle allemande « de moyenne et haute gamme »: modalités d’hébergement, programme gastronomique, modalités des visites de terroir, convivialité, etc..
Parallèlement à ce projet, d'autres initiatives pourraient être étudiées, comme le Jumelage de l’IUVV avec l’Institut Vinicole de Geisenheim (échanges croisés d'étudiants et de professeurs), ou la création d'une offre oenotouristique spécifique ciblée sur les participants des Congrès de Dijon, un domaine où la ville de Wiesbaden dispose d'un savoir-faire ancien.
Conclusion
L'attractivité oenotouristique de la région de Rheingau, dépourvue de vins de renommée mondiale, a été construite à partir de produits "dérivés" du vin et de la vigne (paysages, festivités), plus que sur le vin et la vigne en soi. Ce n'est qu'une fois sur place en effet que les touristes découvrent les vins locaux et les vignerons. De même, le segment des visiteurs à fort pouvoir d'achat fait l'objet d'une animation culturelle "haut de gamme", sans lien direct systématique avec le vin.
En comparaison, l' "équation" bourguignonne est a priori différente, puisque le prestige des vins y est une donnée acquise. Faute d'équipements adéquats et en raison aussi de la cherté des vins, l'oenotourisme de masse n'est ici ni concevable, ni souhaitable, du fait de la vulnérabilité des vignobles bourguignons. L'orientation sur le segment de la clientèle "haut de gamme" s'impose, et l'expérience de la Rheingau peut trouver ici son application. On peut penser que les nouveaux acheteurs (potentiels) des crus bourguignons seront attirés par une programmation culturelle de qualité et des prestations hors pair autant que par la perspective de visiter les caves et d'arpenter les vignobles.
L'exemple de la Rheingau illustre enfin le bénéfice de l'implication des autorités régionales dans le développement oenotouristique. Le schéma particulier mis en oeuvre outre-Rhin, avec des entités mixtes "privé-public" chargées de l'exécution mérite un examen approfondi dans l'optique d'une adaptation "mutatis mutandis" au contexte bourguignon.
Associer ponctuellement la Bourgogne et le Land de Hesse, comme il a été proposé, préfigure d'autres rapprochements inter-régionaux, qui sont la clé de l'Europe de demain. Cette démarche s'inscrit également dans le sens de la coopération franco-allemande, de ce rapprochement entre la France et l’Allemagne voulu par les autorités politiques depuis plus de cinquante ans.
Alain Lemasson - Avril 2010
- - - - - - - - - - - - - - - -
Institutions rencontrées en Rheingau
Municipalité de Wiesbaden - Wiesbaden Marketing GmbH
Municipalité de Mayence
Abbaye d'Eberbach (Land de Hessen)
Comité de jumelage avec Meursault (Rüdesheim)
et la Municipalité de Meursault