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Lettre d'un Chinois

 

 





UNE  FANTAISIE

d’Alain Lemasson

(publiée sur LinkedIn le 7 novembre 2020)

 

 

 

Lettre à sa famille d’un Chinois vivant en France

 

Chers parents, 

comme vous le voyez je n’ai pas oublié l’écriture manuscrite, notre belle écriture dont vous m’avez tant parlé dans mon enfance, répétant qu’elle était notre bien précieux, que tous les Chinois la comprenaient, du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest. J’ai donc profité de la visite de mon cousin Li Ming pour lui remettre cette lettre à votre intention, en le priant de vous la porter dès son retour dans le Shandong. 

 

Mon Shandong. Oui,  les Français sont souvent intrigués lorsque je leur parle de ma région d’origine. J’explique à chaque fois patiemment que shan veut dire montagne en Chinois et dong veut dire Est. Ils sont toujours étonnés d’apprendre que cette Montagne de l’Est est couverte de vignes et que je viens d’une famille de vignerons. Un lien se crée, j’ai l’impression qu’ils sont heureux d’apprendre qu’en Chine comme en France, on aime le vin. Des moments de découvertes mutuelles, comme ceux-là j’en ai vécu un grand nombre en dix ans, depuis que je suis en France. Et plus encore depuis mon mariage avec Laurie, que j’ai hâte de vous présenter. 

Être touriste ou même étudiant en France, c’est une choses, vivre avec une Française, est très différent, une toute autre perspective. On découvre le pays et ses habitants, comment dire, de l’intérieur. Depuis que je suis marié, je rencontre plus de Français que de Chinois, même si mon travail  à l’Université m’a donné beaucoup d’opportunités de discuter avec mes collègues et avec mes élèves français. Je commence à voir les choses autrement. Je découvre la France et les Français d’une autre manière. 

En Chine, le mot France renvoie à des images de savoir vivre, d’amour du bien-vivre, la France est le pays du luxe et du raffinement. Et puis les Français sont romantiques. Combien de fois je l’ai entendu dans la bouche des Chinoises. Mais quand je leur demande ce que ça veut dire, elles ne savent pas très bien quoi répondre et pourtant leurs yeux brillent. Je dis à mes amis français qu’ils ont bien de la chance. 

Ce qui est curieux est que ma découverte de la société française et de l’esprit français, des choses que l’on voit et de celles qu’on ne voit pas, s’accompagne depuis quelque temps d’une interrogation personnelle. J’ai l’impression d’en savoir plus sur la France que sur mon propre pays. Et je me demande de plus en plus qui est vraiment mon propre pays. 

Mon pays, je le vois avec ce qui s’en dit en France, et aussi avec les interrogations des Français.

 

En fait il y a eu un tournant dans la perception de la Chine. De bienveillante à notre égard, l’opinion des Français est devenue hostile, et je vous avoue que j’ai de plus en plus de mal à défendre notre image. 

Laurie me dit souvent en souriant que le poison de la liberté a peu à peu conquis mon esprit. Oui j’explique aux Français que ce qui se passe à Hong Kong, avec les Ouigours et au Tibet est regrettable, mais j’ajoute que maintenir la paix dans un pays aussi vaste et aussi divers que la Chine demande une discipline, une certaine dureté et des sacrifices. Je leur dis aussi que la vie en Chine a des avantages, qu’il n’y a pas de délinquance, qu’une femme peut se promener seule où elle veut, que les vols sont sévèrement réprimés, bref que ce que les Français appellent la dictature est le gage du maintien de la paix civile. Mais je suis de plus en plus dans le doute. Des millions de gens souffrent en Chine, en silence et trop c’est trop. 

Et puis il y a tout ce que j’apprends ici sur la politique extérieure chinoise et qu’on ne dit pas aux Chinois. La volonté expansionniste, l’asservissement des voisins de la Chine, la conquête par l’argent, le renforcement militaire, le déploiement maritime. Et l’opacité de l’action gouvernementale. Je ne sais pas ce qui m’étonne le plus, l’indifférence des Chinois à la politique extérieure menée par leurs dirigeants, ou le contenu de cette politique. 

En France on discute de tout, on critique tout et c’est normal. Trop peut-être. Mais en Chine !

 

Je me souviens de mon ignorance, de notre ignorance de ce qui se passait réellement. Je me souviens du silence et de la peur. Peur à l’école, peur dans la rue, et peur en famille. Le silence sur tout. Sur vos années forcées à la campagne pendant la révolution culturelle, sur l’oncle Lao Sing qui a fait la guerre en Corée, sur le communisme… Un jour, je devais avoir 18 ou 19 ans,  vous m’avez suggéré de m’inscrire au bureau politique de l’université où j’étais étudiant. J’ai refusé car je ne voulais pas être mis à l’écart par les autres étudiants qui ne voyaient pas d’un bon œil les membres de ce bureau. Nous n’en avons jamais parlé. J’ai compris plus tard que vous ne pensiez qu’à mon avenir et aux avantages que m’apporterait mon inscription. 

Mes amis français me disent que le silence et la soumission des chinois sont entretenus par la peur et la répression. Je réponds que c’est le prix à payer pour l’accès au statut de classe moyenne de 400 millions de Chinois pauvres. Mais au fond de moi-même, je me demande si le moment n’est pas venu de changer les choses, de permettre aux Chinois de respirer, d’exprimer qui ils sont… d’arrêter de ne penser qu’à l’argent.

 

Oui, d’après Laurie, le poison de la liberté est dans mon esprit, mais pour tout vous dire je ne pense plus que ce soit un poison… 

Votre fils respectueux 

ZiYou 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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12/11/2020
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