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Les subprimes


 

 

Ce qu'on appelle la crise des subprimes restera dans l'histoire comme le plus grand désastre financier depuis la crise de 1929.

 

L'analyse du phénomène montre qu'un accident localisé, une avalanche de défauts dans le domaine des crédits immobiliers aux Etats-Unis a dégénéré en une déflagration mortelle pour les banques de la planète, finalement sauvées par l'intervention des  Etats.

 

Le phénomène qui a touché ces banques n'a pas été immédiat. Sa diffusion a été lente et progressive. Avant de s'avérer défaillants, les crédits immobiliers privés américains  ont été transportés dans le monde entier par une suite de  mécanismes de transfert et de dilution.  

 

L'analyse de ces mécanismes et de certains  dysfonctionnements permet de comprendre la genèse du désastre et son ampleur. Cette analyse permet aussi, chemin faisant, la découverte de certains outils  de la finance moderne. Comme on le verra leurs inventeurs ne méritent pas l'opprobre des médias. Les outils en question constituent au contraire autant de variations ingénieuses sur le thème du crédit et du risque. Cet aspect des choses justifie l'analyse de cette crise dans le contexte de ce livre.

 

On abordera successivement les mécanismes de transfert et de dilution des crédits immobiliers américains  et les raisons de la pollution généralisée du système.

 

1 - Mécanisme de transfert: la titrisation

 

Un emprunteur américain obtient un crédit immobilier d'une banque.  Cet emprunteur  s'est adressé à la banque directement ou par l'intermédiaire d'un courtier, lui-même en relation avec plusieurs banques. Le crédit  est inscrit à l'actif du bilan de la banque. Le contrat de crédit fonde la créance du prêteur sur l'emprunteur.  

 

Quelque temps après, on retrouve cette créance à l'autre bout de la planète. Entre l'emprunteur américain et le fonds acheteur en Europe ou en Asie, que s'est-il passé? La réponse est :  plusieurs étapes de transformation.

 

La première étape repose sur le mécanisme fondamental permettant aux banques de sortir des  paquets de crédits de leurs livres. Ce transfert est sans impact pour les emprunteurs, qui restent liés par leur contrat de crédit initial. Pour la banque, en revanche, tout change. N'étant plus partie de ces contrats, elle n'est plus engagée et n'en supporte plus les risques. Son bilan s'allège d'autant. La banque réalise un gain dans l'opération si le taux d'intérêt qui lui est proposé pour le rachat du crédit est inférieur au taux du contrat initial avec l'emprunteur.

 

Les créances représentées par l'ensemble de ces crédits sont ensuite accolées à une série d'obligations, proposées à des investisseurs. L'élément clé est la transformation des crédits en obligations, c'est à dire en titres, d'où l'expression titrisation, en anglais securitization.

 

La transformation des crédits en obligations suppose l'existence d'une structure d'accueil. Cette structure d'accueil est une société existante dont c'est le métier (exemple Fanny Mae aux Etats-Unis, voir encadré) ou alternativement une société créée pour l'occasion par une banque,  une société ad'hoc, appelée SPV Special Purpose Vehicle ou SIV, Special Investment Vehicle. Cette formule de la SIV correspond à la notion française de Fonds Commun de Créances.

 

 

 

 

L'actif du bilan de la SIV comporte les  crédits  achetés  à la banque.  Le passif indique comment cet actif a été financé, en l'occurrence par une dette obligataire  matérialisée par des obligations.

 

 


 

 Fanny Mae et Freddy Mac

 

Ces noms évoquant des personnages de bandes dessinées sont dérivés des acronymes de deux agences fédérales créées en 1938 et 1970 respectivement..

 

Fanny Mae est la Federal National Mortgage Association, la FNMA. Le nom Fanny Mae est dérivé phonétiquement du sigle FNMA.  La société soeur, Freddy Mac est la Federal Home Loan Mortgage Corporation, FLMC.

 

Ces agences ont été créées pour développer le crédit immobilier en faveur des catégories sociales les plus défavorisées, les crédits subprimes. Leur rôle consiste à aider les organismes prêteurs, les banques, à trouver les fonds nécessaires, et le cas échéant, à les couvrir de leur risque.

 

Elles assurent ce rôle d'une manière directe en achetant les crédits des banques, qu'elles financent par l'émission de titres immobiliers et d'une manière indirecte en assurant la liquidité du marché secondaire, c'est-à-dire en rachetant des titres existants. De cette manière, les banques sont à même de créer leurs propres structures de titrisation et sont assurées de trouver preneur pour les titres émis. Les titres émis par les deux agences fédérales ont bénéficié de la notation AAA à l'origine,  au moment de leur émission.

 

Ce système de garantie étatique  d'inspiration sociale a permis aux  banques de prêter sans risques. Des  millions de ménages à faibles ressources ont ainsi accédé à la propriété.

 

 


 

 

Impact de la titrisation

 

-Le premier impact de la titrisation est l'allègement du bilan de la banque. L'actif comme le passif sont diminués du montant des crédits cédés. La banque réduit son propre endettement. Ceci a un impact important sur certains ratios de gestion, et notamment le plus important, le ratio « Fonds Propres / Encours ».

 

- Le deuxième impact, d'ordre macro-économique, concerne le mode de financement du crédit. Du point de vue des banques, les crédits inscrits à leur bilan sont financés pour une petite part par les dépôts de la clientèle, et pour le reste, massivement, par appel au marché monétaire. Ce marché monétaire est lui-même alimenté par les banques excédentaires en trésorerie et par les banques centrales. Celles-ci assurent " la liquidité du marché" tout en appliquant leur politique monétaire (contrôle de la masse monétaire par les volumes et les taux d'intérêt).

 

 In fine le marché monétaire est alimenté par la création de monnaie. Les crédits immobiliers des banques sont globalement financés par la création monétaire. A la différence des crédits titrisés, lesquels sont financés par l'épargne…. sauf lorsque les souscripteurs ont recours au crédit pour acheter les titres. La titrisation a contribué à transporter le risque de crédit en dehors de la sphère bancaire. 

 

SUBPRIMES, ABS / MBS

 

Dans le jargon bancaire, on a désigné d'un euphémisme, SUBPRIMES, les crédits accordés aux ménages ayant tout juste les moyens de les rembourser, autrement dit à des emprunteurs à risque n'offrant pas les garanties habituelles  requises par les banques. Cette expression été construite à partir du mot prime, lequel désigne les meilleurs clients, D'où le terme  « PRIME RATE », qui représente le meilleur taux d'intérêt accordé aux meilleurs clients, les « PRIME CUSTOMERS ». Un client qui n'est pas « prime » paiera un taux d'intérêt supérieur, « prime plus 50 bp » par exemple, ce qui se traduit par « meilleur taux augmenté de 50 points de base, soit 0,5% ». Subprime  se réfère littéralement aux emprunteurs « sous les prime customers », àl'échelon le plus bas. Présentant le risque le plus élevé, ils paient les taux d'intérêt les plus élevés aussi.

 

- ABS est l'acronyme de ASSET BASED SECURITY, que l'on peut librement traduire par « titre adossé à un actif ». C'est ce qu'exprime  la notion française de titrisation. Dans le cas de l'immobilier, « Assets », l'actif, est un prêt hypothécaire, appellé MORTGAGE, gagé par le bien financé. On parle alors de MBS, pour MORTGAGE BASED SECURITY. A noter que dans cette expression ABS ou MBS, le mot security, comme le mot titre d'ailleurs, est très général. C'est un instrument financier. C’est une obligation faisant l'objet ou non d'une cotation sur un marché.

 

Donnons quelques chiffres pour situer le phénomène. Les entités qui ont généré le plus gros volumes de titres MBS sont les deux agences fédérales américaines Fanny Mae et Freddy Mac, spécialisées dans le crédit immobilier.  Sur un volume de crédits immobiliers de 12 000 milliards de $ (en mi 2008), quelques 5 000 milliards ont été titrisés, dont 1000 milliards de $ à travers ces deux agences. Les crédits subprimes ont composé l'essentiel de ces volumes.

 

 

2 - Mécanisme de dilution: les CDO

 

Des millions d'obligations issues de la titrisation de crédits immobiliers ont été acquises par des investisseurs privés ou institutionnels, comme des fonds ou des banques. De la même manière, les crédits non immobiliers ont fait l'objet de titrisation.

Les opérations les plus connues concernent les crédits automobiles, par exemple, ou  les crédits aux particuliers des organismes qui gèrent des cartes de crédit.

 

Plutôt que de garder les titres issus de diverses opérations de titrisation dans leurs bilans, certains de ces fonds ou de ces banques  ont continué le processus de transformation, en mélangeant les titres.

 

Des obligations d'origines différentes ont ainsi été logées à leur tour dans des structures  indépendantes SIV donnant lieu à de nouvelles émissions de titres.  Le processus s'est répété en cascade. Le but recherché était la création de produits financiers « sur mesure » construits en fonction de différentes stratégies d'investissement.

 

Ces produits sont les CDO - acronyme de Collateralized Debt Obligation.  Ce sont des titres adossés à des actifs hétérogènes, mélanges de titres MBS et ABS. C'est la différence principale avec les titres ABS, adossés, eux, à des paquets de crédits homogènes.

 

On peut vraiment parler de sur-mesure à propos de ces produits. Leurs concepteurs jouent sur la composition du portefeuille auquel les CDO sont adossés de manière à obtenir un certain profil de risque et de rémunération.. Ces titres CDO créés par certaines banques d'affaires par la titrisation d'assemblages de crédits d'origines diverses ont connu un grand succès auprès des investisseurs attirés par la variété des produits obtenus. Il existe même des CDO de CDO, les CDO ² !

 

Le schéma ci-après illustre ce mécanisme itératif de création de nouveaux titres et de diffusion. Le volume global des titres a dépassé la dizaine de milliers de milliards de dollars. Ce succès a deux explications principales. La première est que les institutions qui ont « packagé » ces montages – banques d’affaires ou hedge funds - ont gagné beaucoup d’argent sous forme de commissions proportionnelles aux montants. La deuxième est l’existence d’une demande considérable alimentée par le crédit facile. Certains des investisseurs – banques commerciales, banques d’affaires, hedge funds , fonds de pension, sociétés d’assurance etc ... ont réalisé des gains importants en empruntant à bas taux pour acheter des titres à haut rendement.

 

3 - La notation des titres

 

Contrairement à une opinion répandue, les acheteurs d’ABS, MBS et CDO et CDO² n’étaient pas indifférents aux risques attachés à ces titres. Toutes les émissions des SIV faisaient en effet l’objet de notations rigoureuses, établies par les grandes agences de notation reconnues au plan international, comme Standard & Poor, Fitch ou Moody's.

 

On conçoit pour ces agences l’ampleur et la difficulté de la tâche, s’agissant de titres émis par des milliers de SIV, dont il a fallu analyser les actifs. Ces actifs étant composés de « mille-feuilles » de titres d’origines diverses, les agences ont mis au point des outils d’analyse spécifiques et notamment des outils statistiques permettant la modélisation des risques composites complexes.

 

Ce travail d’évaluation et de notation est fondamental. Le concept de notation d’un titre va de pair avec sa rémunération. La notation permet aux investisseurs des choix de profils risque-rémunération sur-mesure. Pour les banques, la notation des actifs gardés au bilan a une incidence directe sur leur pondération au regard des ratios de solvabilité qu’elles doivent respecter. 

 

Les tranches d’émission 

 

Un autre élément rend la tâche des agences de notation un peu plus complexe. Il faut savoir en effet que les titres d’une émission donnée, dans la conception même des SIV, n’ont pas tous le même profil de risque.

 

Les banques d’affaires ou hedge funds  à l’origine des SIV ont en effet mis au point un mécanisme simple et astucieux permettant de garantir d’emblée que certains des titres émis auront la meilleure notation, le fameux « triple A ». Cela signifie que ces titres en question ont une qualité de crédit supérieure à la qualité de crédit moyenne du portefeuille auquel ils sont adossés.

 

Ce mécanisme mérite quelque attention. Il consiste tout simplement à définir une règle selon laquelle certaines tranches de titres seront atteintes prioritairement par les conséquences de défauts de remboursement des actifs en portefeuille. En contrepartie, d'autres tranches privilégiées ne seront atteintes que beaucoup plus tard, donc avec une probabilité plus faible, voire «nulle » ou presque. Pour cette raison, la notation de crédit de ces dernières est "rehaussée".

 

Prenons l'exemple d'une structure de titrisation simple en MBS, dont l'actif est constitué de crédits immobiliers notés A-, par exemple. En l'absence de « tranches » de risques, les titres émis sont notés A-, comme le portefeuille de crédits.

 

Avec le rehaussement, 3 tranches ont été créées:

 

- Une  Tranche Senior                        notée triple A

- Une Tranche Mezzanine                  notée AA

- Une Tranche  Equity                        notée B 

 

  

La rémunération accordée aux investisseurs est naturellement en relation avec le risque, selon le principe "petit risque= petite rémunération, grand risque = forte rémunération.

 

4 - Mécanisme d'assurance: monoliners , CDS

 

Les banques d'affaires et les fonds ont affiné le dispositif précédent en « jouant » cette fois sur l’actif des SIV. Le mécanisme des tranches permet de créer des titres d’une qualité supérieure à la qualité moyenne des titres auxquels ils sont adossés, mais dans des limites de volume qui dépendent de la qualité des actifs. Il a donc été nécessaire d’améliorer cette qualité.

 

Le principe a été le transfert partiel du  risque de l’actif sur des tiers, selon un mécanisme d’assurance. Deux méthodes de couverture des risques ont été utilisées, la souscription d’une assurance proprement dite auprès d’une monoliner, société d’assurance spécialisée, ou l’achat de produits beaucoup plus simples d’emploi, les CDS Credit Default Swaps.

 

Les CDS sont des contrats de couverture des risques de défaut des crédits en portefeuille. Le principe de fonctionnement est le suivant :

 

-l'acheteur de swap paie une prime périodique fixée d'avance

-le vendeur de swap paie l'encours du crédit en cas de sinistre.

 

L’émetteur du swap peut être une banque, un fonds, une société d’assurances, bref n’importe quelle entité ayant un bon rating. Les CDS sont des titres négociables, donc susceptibles de circuler de mains en mains. Les échanges se font de gré à gré, c'est-à-dire en dehors d'un marché organisé. On sort complètement des contraintes du métier d’assurance.

 

Le succès des CDS a été phénoménal. Leur vocation initiale de couverture des crédits titrisés a été dépassée. Les investisseurs ont utilisés les CDS pour spéculer massivement sur les faillites d'entreprises.

 

Le volume global des CDS a été estimé à plusieurs dizaines de milliers de milliards de dollars. Il est clair que l'absence de contrôle de ce marché gigantesque, sans être la cause de la crise des subprimes en a été  a été un facteur aggravant. Certains émetteurs de CDS n'ont pas pu faire face à leurs obligations au titre de ces contrats, soit parce qu'ils étaient par ailleurs fragilisés par leurs propres investissements à risques, soit du fait de l'énormité des sommes dues, comme cela a été le cas de l'assureur américain AIG.

 

Sortant du contexte de la crise, il faut souligner la dimension novatrice des CDS et de la titrisation. Ces mécanismes ont transformé les activités d'assurance et de crédit, en leur conférant une fluidité nouvelle.  Dans la banque ou l'assurance « classiques » en effet le crédit et le contrat d'assurance souscrits restent dans les livres de l'émetteur preneur de risque. Les CDS et la titrisation permettent la sortie d'un système statique. 

 

Au crédit correspondent les titres ABS (et leurs dérivés, les CDO). A l'assurance correspondent les titres CDS. Les prêteurs et les assureurs disposent d'un outil de gestion fine de leur portefeuille de risque.

 

5 – La catastrophe bancaire et économique

 

Le schéma du paragraphe 2) a montré les différentes étapes de transformation et de transport des crédits. Transformés initialement en titres ABS, ces crédits ont été ensuite dilués avec d'autres crédits et d'autres titres pour donner de nouveaux titres (CDOs), et le processus s'est répété.

 

La dilution en cascade a produit finalement des titres dont le contenu exact était difficile à retracer. Cette opacité a été longtemps sans dommage dans la mesure où chaque titre intermédiaire faisait l'objet d'une notation de la part des grandes agences. L'acheteur des titres connaissait par conséquent le niveau de risque de son investissement. Cette « tuyauterie » bénéficiait d'un label de qualité explicite, la notation.

 

Le problème a commencé lorsque le marché de l'immobilier s'est retourné et que les défaillances de crédits immobiliers se sont multipliées.

 

 

Trois facteurs principaux expliquent l’intensité du choc et sa vitesse de propagation sur le système financier :

 

1 Les agences Fanny Mae et Freddy Mac, les émetteurs les plus importants des titres MBS, semblent avoir tardé à faire part de leurs difficultés.

2  Les agences de notation ont corrigé tardivement et brutalement leur système de notation

3  Certains mécanismes comptables ont amplifié les dysfonctionnements financiers 

 

Facteur déclencheur : le retournement du marché immobilier 

 

L'augmentation subite des défauts de crédits est due à l'explosion de la bulle de l'immobilier. Cette bulle avait pour origine  l’excès de la demande de logements sur l'offre, une situation entretenue durablement par une politique de crédit facile et pas cher. Des milliers de logements ont été construits, des milliards de $ de crédits ont été accordés. 

 

La hausse continue des prix de l'immobilier a duré tant que la demande a été supérieure à l'offre. Le climat d'euphorie qui régnait alors a aveuglé les acteurs du phénomène. Le crédit était facile, les acheteurs s'endettaient pour acheter des biens dont la valeur montait sans cesse ...... jusqu'au jour où le marché s'est retourné.

 

Deux facteurs ont contribué au retournement du marché, c'est -à-dire au point où la demande devient inférieure à l'offre. D'un coté les promoteurs, en  inondant le marché de constructions nouvelles ont fini par créer un trop plein de logements. Et de l'autre, la hausse vertigineuse du prix de l'essence a progressivement paralysé les consommateurs américains. Le retournement a été brutal et la baisse des prix de l'immobilier s'est propagée à une vitesse foudroyante.

 

 

Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que ce scénario est exactement celui de la crise 1929, dont l’élément déclencheur a été le retournement du marché immobilier de Floride consécutif à une hausse subite du prix de l’essence.

 

 

Un mécanisme infernal a joué: le prix des logements baissant, il arrive un moment ou le crédit accordé par la banque n'est plus couvert par la valeur du bien. La banque, insuffisamment garantie, peut alors exiger le remboursement du solde restant dû.

 

L'emprunteur ne pouvant s'exécuter, son logement est saisi puis vendu. La banque devient propriétaire de dizaines, de centaines de logements qu'elle cherche à revendre, et brade souvent. Les prix baissent encore plus, de nouveaux crédits deviennent défaillants, et ainsi de suite. Ce phénomène a touché en premier les crédits « subprimes », les plus fragiles. 

 

Premier facteur aggravant : le silence initial des agences fédérales 

 

Le retard d'annonce de la part des agences Fanny Mae et Freddy Mac est inexplicable. Lorsque que le marché immobilier s'est retourné et dès les premières défaillances d'emprunteurs, il aurait été nécessaire de ralentir l'émission de nouveaux titres MBS, et d'avertir leurs acheteurs de la détérioration du risque. De même les agences de notation auraient du modifier en conséquence leurs évaluations, tant il est difficile d'imaginer qu’elles ne percevaient pas cette dégradation. Or il n'en a rien été. La machine à produire des MBS a continué à alimenter la pompe de titres dont la notation inchangée ne reflétait plus le vrai risque.

 

Il est probable que les autorités américaines ont choisi de garder le silence, un certain temps du moins, comme elles l'avaient fait plus de dix ans auparavant, dans une situation semblable mettant en cause les « Savings and Loans », des caisses d'épargne qu'il avait fallu renflouer. Dans le contexte des subprimes, cette attitude était sans doute dictée par des considérations de politique étrangère, la Chine et la Russie figurant parmi les plus gros acheteurs de MBS émis par les deux agences.

 

On connaît la suite. En Octobre 2008, puis en 2009, Fanny Mae et Freddy Mac ont été renflouées massivement. De cette manière le remboursement des titres MBS qu'elles avaient émis était garanti et la confiance des acheteurs rétablie. Le problème était malheureusement qu'un volume important de titres avait été émis pendant la période de « silence ». Ces titres reposant sur des crédits de très mauvaise qualité ont été acquis de bonne fois par les acheteurs sur la base d'une notation erronée. Ces titres dits « toxiques » ont été mélangés, dilués, transformés au point qu'il était devenu impossible de distinguer tel ou tel. Impossible aussi de détecter précisément leur présence dans les titres émis en bout de chaîne. Cette impossibilité concernait tous les acquéreurs, les banques comme le simple quidam. Aucune institution ne pouvait aider à résoudre ce problème-là.

 

L'opacité a entraîné la panique des acheteurs, et notamment des acheteurs en gros de ces titres, les banques et les fonds. Les banques détenaient des titres directement dans leur bilan, ou indirectement, dans des fonds indépendants mais qu'elles ont dû couvrir pour des raisons commerciales. Hantées par le secret, beaucoup ont maintenu sur leurs opérations un véritable halo. Impossible pour elles de savoir lesquels de ces actifs étaient contaminés et dans quelle proportion.

 

 

Deuxième facteur aggravant : le problème de la notation

 

 

Les agences de notation ont été accusées de tous les maux, et y compris de collusion avec les groupes qu’elles étaient chargées d’évaluer, ce qui parait difficile à concevoir. Selon une étude de la Banque de France, le problème serait surtout celui d’un défaut de la modélisation.

 

La mesure du risque d’un paquet hétérogène de titres adossés à des crédits reposait en effet sur l’analyse statistique des risques de défaillance dans chaque catégorie de crédits, crédit immobilier, crédit automobile, ou crédit de consommation (cartes de crédit). Le risque global était pondéré en fonction du poids  respectif de ces catégories au sein de l’ensemble. Le système était affiné par la prise en compte des corrélations de risques entre les secteurs économiques des emprunteurs. Pour nourrir ces analyses, des listes de données réelles des vingt ou trente dernières années étaient passées au crible et actualisées en permanence.

 

Les modèles mis au point ont bien fonctionné tant que les fluctuations des risques se situaient dans un certain intervalle. Le problème est que les données récentes n’étaient considérées que de façon atténuée dans les calculs de risques « moyens ». En d’autres termes, les modèles n’étaient pas construits pour intégrer rapidement dans la mesure du risque un « pic » subit de défaillances. Lorsque les agences de notation ont réagi, des milliers de titres avaient été notés à tort positivement. Ainsi sont apparus les titres toxiques, dont le volume exact et surtout la localisation devenait impossible à retracer.

 

 

Facteur aggravant, la « Mark to market »

 

La panique bancaire s'est amplifiée sous l'effet d'une disposition de la réglementation comptable selon laquelle le bilan doit indiquer la valeur de marché des titres détenus, la "mark to market". Il y avait longtemps que les autorités réglementaires de la plupart des pays s'étaient entendus pour supprimer la méthode ancienne consistant à valoriser un actif par sa valeur historique d'acquisition.

 

La nouvelle règle reposait sur le bon sens puisqu'elle tendait à une valorisation proche de la réalité. Ses conséquences ont été malheureusement catastrophiques lorsque la crise a éclaté et que la nouvelle des MBS toxiques disséminés partout a été connue.

 

Impossible en effet de se référer à une « valeur de marché » des titres en portefeuille, puisqu'il n'y avait plus de marché. Les rares transactions effectuées dans le cadre d'opérations de sauvetage affichaient des prix ne représentant  qu'une fraction de la valeur faciale des titres.

 

Les banques ont été contraintes de déprécier leurs actifs à l'aveugle en estimant elles-mêmes les valeurs de marché du moment. Des pertes énormes sont apparues, des pertes comptables sans sortie de cash puisque les banques ne vendaient pas leurs titres, et pour cause. Mais des pertes quand même, diminuant d'autant les fonds propres des établissements concernés et créant une situation de fragilité extrême.

 

 

Première conséquence : la crise de liquidité

 

Ce phénomène a entraîné une conséquence « collatérale » désastreuse, la perte de confiance mutuelle et l'assèchement du marché monétaire. En clair les banques ne se prêtaient plus entre elles car elles ne pouvaient plus mesurer ce qu'on appelle le risque de contrepartie. La non-connaissance du risque est pire que la confrontation à un risque élevé.

 

Or le marché monétaire est le poumon du système bancaire. Les banques se prêtent mutuellement chaque jour des milliards d'Euros sur la base de garanties formelles réduites au minimum de manière à simplifier les transactions. Le moindre doute mutuel de solvabilité réduit les échanges à zéro. C'est ce qui s'est passé. Dans la foulée, les Banques Centrales sont intervenues en prêtant de manière bilatérale à chaque institut demandeur.

 

Le problème comptable, quant à lui, a été réglé tardivement, à partir d’octobre 2008, après quelques faillites retentissantes ou des opérations de  sauvetage spectaculaires.

 

Conséquences des dépréciations massives,  le ratio de solvabilité des banques s’est détérioré. Certains établissements bancaires ont atteint voire dépassé la zone rouge du ratio minimum « Fonds Propres / Encours ». Pour continuer à exercer leur activité elles ont essayé par tous les moyens de combler leurs fonds propres.

 

On imagine les réticences des investisseurs à souscrire à des augmentations de capital dans un contexte de crise tel que celle des subprimes. Restaient alors deux possibilités, l'appel à de gros investisseurs, ou le secours de l'Etat. Les deux solutions ont été utilisées.

 

Plusieurs Fonds Souverains été appelés au secours des plus grosses banques, et les autorités financières de la planète sont intervenues pour redresser les banques menacées de faillite.

 

Les enseignements de ces événements sont multiples. Il constituent notamment une excellente illustration de la différence entre deux risques parfois difficiles à saisir ou à dissocier, le risque d'insolvabilité et le risque de liquidité. 

 

Deuxième conséquence la crise économique 

 

La paralysie du système bancaire à peine évitée, une nouvelle phase de la crise a commencé à se développer. L’activité économique mondiale est entrée lentement et inéluctablement en récession. La première raison a été la diminution de la capacité des banques à prêter. Faute de crédits, les entreprises ont bloqué leurs investissements. L’activité inter-entreprises a chuté.  La deuxième raison est la perte de confiance des ménages. La consommation, moteur de la croissance dans de nombreux pays et notamment aux Etats-Unis, s’est écroulée.

 

La spirale des enchaînements négatifs a pris de l’ampleur, la baisse de consommation a entraîné la baisse de l’activité industrielle, donc les craintes de chômage, donc une nouvelle baisse de la consommation, et ainsi de suite.

 

Les banques, à peine remises des problèmes des actifs toxiques ont du se préparer à de nouvelles dépréciations de leurs propres crédits accordés à leur client de moins en moins capables d’honorer leurs engagements. 

 

Quelle réforme ? 

 

Face à ces déflagrations en chaîne, les Etats n’ont pas eu d’autre choix que l’intervention massive, d’abord, comme on l’a vu pour éviter l’asphyxie du monde bancaire et ensuite pour ralentir la récession. Ils se sont substitués aux acteurs économiques défaillants par des mesures keneysiennes de relance destinées à entretenir l’activité.

 

La gestion politique de la crise a été d’une grande complexité. Après une première phase de mise en cause des banques, les Etats ont peiné à convaincre l’opinion publique de la nécessité de sauver le secteur bancaire. Pour sortir de cette contradiction, ces mêmes Etats ont dû trouver ailleurs d’autres cibles permettant de traiter la dimension morale de la crise. La mise en cause des paradis fiscaux ou des bonus des traders relève de cette logique.

 

Il est clair qu’on ne décrètera pas la réforme du système de manière autoritaire. En revanche des modifications marginales ont été admises, comme la refonte des systèmes d’évaluation des agences de notation et la création de chambres de compensation de CDS. 

 

Une chose est sûre, la réforme profonde du système n'est pas envisageable tant que les Etats-Unis restent profondément et culturellement opposés à toute forme de régulation. L'Europe n'aura rien à gagner à des réformes unilatérales.

 

 

 

Crédit et Stratégie Commerciale - Cliquer ici pour accéder à d'autres extraits du livre

 

 



17/04/2011
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