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Le Brésil et le Rafale

 

Comprendre l’échec  du Rafale au Brésil n’est pas chose facile. Il faudrait pour cela passer au tamis la longue séquence des négociations qui ont précédé la décision finale.  Et le pourrait-on que cela ne suffirait pas. Ce genre de dossier comporte une part d’ombre qui ne peut pas être complètement levée.

Le commerce des armes - d’Etat à Etat -  n’obéit  pas à la logique du commerce privé, même s’il emprunte à ce dernier certains de ses mécanismes. A cela deux raisons. La première est le nombre des décideurs concernés, et leur difficile identification.

Comme chacun peut le comprendre, les parties prenantes abondent, dans et hors la sphère gouvernementale du pays acheteur. Les Ministères bien-sûr, la Défense, mais aussi l’Industrie, l’Economie, les Cabinets du Président et du Premier Ministre. Il faut ajouter les commissions ad'hoc du Parlement, la Banque Centrale, les lobbies industriels concernés par les transferts de technologie. Si l'on tient compte en outre des échelons dits  inférieurs et des offices secondaires disposant parfois de réels pouvoirs, c'est toute une géographie complexe de décideurs réels et apparents qu’il s’agit d’identifier, de convaincre… ou d’apaiser.

La deuxième difficulté découle directement de la durée de négociations de ces méga-contrats. La durée porte avec elle l'aléa politique des élections et des changements d'interlocuteurs. L'habileté du "vendeur" est donc de gagner les faveurs du parti au pouvoir tout en ménageant la possibilité d'un relais avec le ou les partis d'opposition.

Une telle complexité pose la question du leadership de l'action commerciale. Le négociateur de terrain ne peut pas et ne doit pas tout faire. L’ambassadeur de France, l’attaché militaire, le gouvernement français ont certes  un rôle à jouer dans la partition, mais l’Etat-major de l’industriel est à seul même d’en décider les modalités, car lui-seul dispose de la vue d’ensemble.

Dans son rôle de  chef d’orchestre ce dernier s'appuie sur un élément essentiel du dispositif, son représentant local. Installé de longue date dans le pays cible, discret sans être secret, d’une loyauté à toute épreuve, celui-ci joue un rôle capital. Souvent ancien militaire lui-même, il a pu approcher sans difficulté ses homologues, nouer des contacts à tous les échelons, repérer dans les écoles militaires les officiers les plus prometteurs, les suivre dans leur progression jusqu'aux plus hauts niveaux. Un réseau patiemment constitué lui permet le moment de venu de dresser avec précision la liste des vrais décideurs et de maitriser la dynamique cachée de la négociation.

La qualité de son travail est mise à l'épreuve dans la phase finale où tout s'accélère. De nouveaux interlocuteurs surgissent alors, électrons libres ou personnages mandatés par la concurrence, qui  prétendent pouvoir  orienter la décision de manière décisive ou au contraire la bloquer. Qui sont-ils ? N’importe qui, proche de la famille d’un membre du gouvernement, fonctionnaire subalterne avide de monnayer un réel pouvoir de blocage, prête-nom d’un leader d’opposition… On imagine le professionnalisme requis pour «gérer » efficacement ces situations, le risque de mise-en-danger  de contrats de plusieurs milliards d’euros, la destruction possible de milliers d’heures de travail.

De multiples raisons peuvent expliquer l'échec français au Brésil. On ne peut pas écarter  l'hypothèse "américaine". Bien qu'écartés de ce marché depuis  l'affaire NSA, les industriels américains avaient tout intérêt à  y empêcher la vente du Rafale. L’objectif ? Fragiliser les français dans l’optique des prochains méga-contrats dans les pays du Golfe. La mémoire est longue dans les milieux aéronautiques, et l’on se souvient de précédents. Ainsi va le commerce des armes.

 

 

Alain Lemasson

Ancien de Banque Indosuez et de l’Aérospatiale a@lemasson.org



13/02/2014
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