La finance et l'économie réelle
UNE TRIBUNE
d’Alain Lemasson
(Capital le 7 novembre 2020)
La finance et l'économie réelle (titre original)
C’est un fait, il y a entre la finance et l’économie un lien essentiel. Longtemps ignoré, ce lien a gagné en visibilité avec la politique menée par la BCE ces dernières années, et plus encore avec les mesures d’envergure discutées tout récemment au niveau européen. L’actualité montre chaque jour ou presque la complémentarité du rôle des banques, des marchés obligataires et de la banque centrale. Et même de la bourse dont le rôle, évoqué dans les discussions, montre l’importance globale de ce qu’on appelle le système financier. Un système financier qui irrigue l’économie, et en conditionne la vigueur, à l’image du système sanguin essentiel au bon fonctionnement de l’organisme.
L’argent circule en permanence
Pour bien saisir ce lien entre la finance et l’économie, il faut gommer de son esprit l’image d’un monde de la finance statique. L’argent se déplace en fait en permanence dans un vaste mouvement circulaire. Les institutions citées, banques, marchés obligataires et bourse apportent des ressources aux créateurs de richesses, c’est-à-dire aux entreprises. Cet argent est utilisé quasi instantanément, principalement sous forme d’achats et de versements de salaires, lesquels donnent lieu à de nouveaux achats. L’argent est alors renvoyé vers les banques et les marchés qui le recyclent dans l’économie pour un nouveau tour.
Il faut de même se représenter que l’argent déposé sur les comptes bancaires ne dort pas, il est aussitôt recyclé vers un autre compte par la banque qui le prête à un client ou une autre banque. Si la banque achète des obligations souveraines, elle va créditer le compte de l’État.
Ainsi, contrairement à une opinion parfois répandue, il n’y a pas de « poches » isolées, de lieux où stagneraient des sommes considérables en dehors de l’économie. La seule exception est celle de l’argent thésaurisé en billets, dont les montants estimés ne représentent qu’une fraction infime de la masse globale en mouvement.
Le rôle de la bourse
On dit parfois de la bourse qu’elle ferait partie d’un monde à part, déconnecté de l’économie réelle. La réalité est toute autre. Un euro qui va en bourse ne sort pas de l’économie. Ainsi au moment d’une émission d’actions, cet euro va directement dans les caisses de l’entreprise concernée. Ensuite, il est vrai que les spéculateurs achètent et vendent ces actions entre eux. Mais, parallèlement, les euros ne font que circuler et changer de compte bancaire. Rien ne sort de l’économie.
Le doute se déplace alors sur l’utilité économique de cette période qui sépare deux émissions d’actions par une entreprise. Cette phase dite de spéculation est fondamentale et il est facile de comprendre pourquoi. Les acheteurs d’actions savent que les entreprises n’ont pas l’obligation de rembourser l’argent reçu, comme c’est le cas pour les obligations. Mais ils savent en revanche qu’ils peuvent les revendre à tout moment. Il y aura toujours un acheteur en bourse, avec le risque de gagner ou de perdre. Le nombre des investisseurs-spéculateurs garantit cette possibilité. Mais surtout, les entreprises ont l’assurance de trouver des acheteurs pour les actions nouvellement émises.
Techniquement parlant, investir en bourse c’est investir dans les fonds propres des entreprises. Cette invention remarquable permet à ces dernières de se développer avec des ressources qu’elles n’ont pas à rembourser, à la différence du crédit bancaire ou de l’émission obligataire. Cet immense avantage explique l’importance des contraintes et du contrôle exercé sur cette institution.
Un marché européen des capitaux
Si la bourse est réservée aux grandes entreprises, d’autres canaux permettent à l’épargne privée de s’investir dans les startups et dans les PME, via ce que l’on appelle le private equity. Il faut savoir que l’Europe souffre d’un immense retard à cet égard par rapport au États-Unis, et il faut voir ici une raison majeure de l’absence de Gafam européennes. Conscientes du problème, les autorités européennes s’emploient à renforcer les capacités des systèmes financiers, et tout aussi important, à orienter l’épargne privée vers les placements en fonds propres des entreprises. Un travail de pédagogie considérable, et de longue haleine.
Alain Lemasson |
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