La défense de l'Europe
Il est peu probable que les problèmes de défense trouvent leur place dans la campagne présidentielle actuelle. Et pourtant, les difficultés budgétaires et surtout la menace iranienne de l'heure le justifieraient amplement. Il y a ici matière à nourrir une vision de la France dans l'Europe.
La première remarque qui s'impose à ce sujet est que les dépenses de dissuasion nucléaire ne devraient pas être prises en compte dans le calcul du déficit français au sens de Maastricht. Aucun de nos partenaires, l'Allemagne en tête, ne supporte le poids d'une telle dépense. La seule exception est celle du Royaume Uni, mais ce pays n'est pas dans l'Euro. Or de facto, et peut-être aussi en vertu d'accords secrets, nos voisins européens ont bénéficié du parapluie français à l'époque de la guerre froide. Et cette protection continue, même si la donne a changé et si l'on ne connait pas les cibles visées par les quatre vingt seize missiles de notre dernier sous-marin.
Ce qu'on sait en revanche, c'est qu'aujourd'hui comme hier, aucun pays d'Europe ne survivrait à une attaque nucléaire visant l'un d'entre eux. En défendant la France nous défendons l'Europe, et en défendant l'Europe nous défendons la France. Dès lors, il serait logique que la France ne soit pas pénalisée par un effort qui bénéficie à tous.
Et pourquoi ne pas aller plus loin que les simples considérations budgétaires ? Osons ouvrir la discussion taboue sur le partage européen du Siège permanent de la France au Conseil de Sécurité et de la force de dissuasion nucléaire française.
Voilà le deal, ou plus exactement le « packaged deal »: la France pourrait proposer le transfert de l'un et de l'autre au futur exécutif européen. Elle demanderait en contrepartie la mutualisation des coûts du nucléaire militaire français. Notre pays pourrait surtout négocier un avantage politique considérable en revendiquant l'autorité de l'ensemble du dispositif militaire européen. Le poste de Ministre de la Défense du futur gouvernement d'Europe, par exemple, nous échoirait de droit, ou pourquoi pas celui de Vice-président de l'Europe, dans un schéma à l'américaine.
Ce scénario fiction, aujourd'hui inconcevable, ne fait qu'anticiper une évolution inéluctable. Pour s'affirmer en Europe–puissance, l'Europe devra en effet disposer tôt ou tard d'une capacité de défense autonome et d'un siège permanent au Conseil de Sécurité. Quel autre pays que le nôtre pourra lui fournir clé en main les attributs indispensables de son autorité ? La discussion prendra du temps, c'est peut-être l'affaire d'une génération. Mais à partir du moment où elle sera engagée, nous pourrons relancer notre économie en desserrant la contrainte budgétaire de Maastricht et surtout renouer avec un certain leadership français dans la construction de l'Europe politique.