La BPI
Publié le 10/12/2012 par Les Echos sous le titre "Les effets pervers d'une banque publique d'investissement"
La création de la BPI relève de la volonté gouvernementale de venir en aide aux entreprises en panne de financements. A peine lancée toutefois, cette banque est confrontée à une réalité économique incontournable, la récession et son cortège de faillites. On s’approche déjà des chiffres records de 6000 faillites mensuelles d’il y a quelques années.
Face à cette situation, les banques de crédit "classiques" prévoient d'ores et déjà des pertes. Pour des raisons bien compréhensibles, elles deviennent plus sélectives en ce qui concerne les nouveaux clients. Elles espèrent compenser ainsi en partie les pertes sur les crédits en cours par les revenus issus des "bons" crédits.
La BPI n'a pas de portefeuille de crédits en cours et n'aura donc pas à supporter les pertes éventuelles liées à des crédits déjà distribués. Mais on peut craindre que les pressions politiques locales la conduisent à financer des entreprises en situation difficile. Pour préserver l'équilibre de ses comptes, et donc l'argent du contribuable, la banque publique cherchera elle aussi les "bons" clients.
Ce qui se dessine par conséquent est une concurrence féroce sur ce segment d'emprunteurs et une fragilisation accrue des banques privées. Dans ce scénario inquiétant, la BPI va enregistrer des pertes et simultanément priver les banques classiques des moyens de diminuer les leurs.
On peut penser que la direction de la BPI fera alors son possible pour garder son autonomie de gestion et limiter les engagements douteux. Le partage des risques avec d'autres établissements prêteurs, via des schémas de garanties ou de co-financements est par ailleurs évoqué.
Il faut noter que la tendance des banques à réduire le volume des nouveaux crédits n’est pas seulement liée à l’anticipation d’une conjoncture dégradée. Elle résulte du strict respect des règles prudentielles, et notamment du multiple à ne pas dépasser entre crédits et fonds propres. Les pertes évoquées plus haut réduisent les fonds propres et donc, mécaniquement, la capacité à prêter.
L’application prochaine des accords de Bâle III, plus restrictifs encore en matière prudentielle, va conduire à un trou béant dans l’enveloppe des crédits nécessaires à notre économie. On ne voit pas comment, à elle seule, la BPI pourrait le combler.
Le moment parait donc venu de chercher en dehors du système bancaire la solution aux immenses besoins de crédit des entreprises. Cette solution pourrait être le financement des crédits par le marché. La revue Banque et Stratégie le proposait déjà au début de 2012, rappelant que les mécanismes de la titrisation existent dans notre pays.
La qualité de la régulation bancaire en France devrait constituer un rempart suffisant contre toute dérive. Pour rassurer complètement les investisseurs, on pourrait imaginer l’implication de la BPI dans le dispositif, en lui confiant par exemple un rôle pivot dans l'animation du marché secondaire des crédits titrisés. Mais le plus difficile serait sans doute de conjurer le terrible souvenir de la titrisation des crédits immobiliers aux Etats-Unis.
Alain Lemasson - Auteur de « Crédit et Stratégie Commerciale » paru en 2011