L1000
AVANT-PROPOS
L’économie, la banque et la finance ne sont pas des sujets compliqués. Ils le sont dans l’opinion, ce qui est différent. Certaines disciplines scientifiques sont difficiles car elles impliquent la maîtrise préalable de plusieurs savoirs eux-mêmes difficiles.
Il n’y a rien de cela en économie, banque et finance. Le bon sens suffit pour comprendre l’essentiel. L’apparente complexité qui les entoure est le résultat de plusieurs éléments: le vocabulaire opaque des « experts », la manière dont ces disciplines sont enseignées (ou ignorées) dans l’enseignement, l’importance donnée à l’approche quantitative…
Mais il y a aussi le trouble crée dans les esprits par les divergences de vues des économistes dans les débats ou dans les tribunes. L’esprit scientifique, dévié de sa mission première de recherche de la vérité, parait souvent mis au service d’options idéologiques à peine dissimulées.
Ces débats ont cristallisé dans l’opinion courante des clichés plus souvent critiques que constructifs : « L’économie s’est financiarisée, La globalisation a accentué les inégalités , Les marchés sont déconnectés de l’économie réelle , L’argent de la spéculation pourrait être utilisé pour le bien des peuples , Il faut réguler la finance internationale , Les marchés imposent le court terme aux entreprises , La titrisation et les grandes banques de Wall Street sont responsables de la crise , L’euro est un carcan pour la France »….
Ces clichés récurrents mélangent en proportions variables des éléments vérifiables et des interprétations qui le sont moins. Ils constituent néanmoins pour beaucoup le point de départ de l’exploration du monde économique.
Le propos du livre est de montrer ces parts de vérité et d’interprétation. Plus largement, il est de montrer ce que sont et font vraiment les acteurs de l’économie : marchés, banques, entreprises. Ce qu’est au juste le rôle des banques centrales, des États et des instances de régulation. Ce qu’on sait et ce que l’on ne sait pas des crises actuelles.
Banques, marchés, gestion des finances de l’entreprise, conduite de l’économie, problèmes de croissance, emploi, taux de change, commerce international, euro … tous ces sujets forment un tout et s’inscrivent dans un ensemble cohérent que le lecteur est invité à découvrir.
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INTRODUCTION
Économie, banque et Finance : tout est lié
Pour comprendre le monde réel et l'actualité, il est nécessaire de rapprocher des sujets habituellement séparés. Il n'y a pas d'un côté la banque, puis la finance et plus loin l'économie. Dans le monde réel, ces domaines se mélangent.
Le survol du système financier dans son ensemble permet d’apercevoir ces imbrications. Le marché, la banque et l'État sont les trois pôles de pouvoir qui structurent la vie économique et l’environnement de l’entreprise. Ces trois pouvoirs sont relativement indépendants, et en tous cas indissociables.
La banque
Premier interlocuteur de l'entreprise, la banque fournit les systèmes de paiement, de tenue des comptes et surtout le crédit. En fait, le système bancaire est étroitement contrôlé par la BANQUE CENTRALE. C'est là que se situe le premier pouvoir.
Maintenir l'inflation dans des limites étroites, combattre la déflation, font partie de sa mission. La banque centrale utilise pour cela, principalement, l'arme du volume et du taux des ressources mises à disposition des banques.
La banque centrale peut agir sur le cours des devises, de manière indirecte, en modifiant les taux d'intérêts. Les interventions directes, c'est-à-dire l'achat ou la vente de devises sont de plus en plus rares pour les banques centrales comme pour les États. On l'a vu avec l'attaque du franc suisse et du yuan au début de l’année 2016.
L’État
Grâce au crédit bancaire, les entreprises investissent et entretiennent la croissance. L'État favorise ce mouvement par des mesures incitatives à l'investissement et à la consommation (subventions, fiscalité, grands travaux...). L'État est le deuxième pouvoir.
L'action de l'État peut avoir des conséquences sur l'inflation (politique de relance, salaires de la fonction publique,...) à l'encontre des buts poursuivis par la banque centrale. Il faut noter que la banque centrale européenne, la BCE, est par statut indépendante du pouvoir politique, à la différence de ses homologues, aux États-Unis et surtout en Russie ou en Chine par exemple
Le marché
Le marché - bourse ou marché des obligations - représente une source alternative de financement pour les ENTREPRISES, en complément des crédits bancaires. C’est sa fonction la plus importante. Le marché constitue le troisième pôle de pouvoir.
Le marché finance aussi les BANQUES ! La bourse, bien sûr, pour renforcer leur actionnariat, mais aussi le marché obligataire, qui leur permet d’obtenir des fonds stables en complément des dépôts de la clientèle.
Et enfin le marché finance les ÉTATS ! La dette de la France, environ 2000 milliards d'euros est financée par émission d'obligations. Celles-ci sont placées sur les marchés en France et à l'international.
Le marché détermine par ailleurs le cours des devises et des matières premières.
Le schéma ci-dessous illustre les liens majeurs reliant le marché, le système bancaire et l’État.
Les traits pleins représentent des flux d’argent. Les pointillés expriment des influences.
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PARTIE I - LES OUTILS DE BASE
Chapitre 1 - Trois notions indispensables
De prime abord, les notions décrites ici peuvent paraître par trop techniques, voire rébarbatives. Indépendantes les unes des autres, ne nécessitant aucunes connaissances préalables, elles sont en fait très utiles. Elles sont les clés permettant de comprendre l’essentiel des sujets économiques et financiers abordés dans le livre.
1- MARCHÉ INTERBANCAIRE
C'est le POUMON des banques, un aspect peu connu de la vie bancaire et dont il est pourtant facile de comprendre la raison d’être. Les banques n'ont jamais à disposition immédiate les sommes exactes que les clients retirent pour des paiements, ou au contraire l'emploi immédiat des sommes que les clients déposent.
Elles ont donc inventé un système d’échange des excédents et des déficits. Ce système a un nom,... le marché interbancaire, appelé aussi marché monétaire, dont il est la partie la plus importante. Cette forme de solidarité s’est imposée naturellement. L’inconvénient majeur du marché interbancaire est sa fragilité. La défaillance d'une banque met en effet en danger toutes celles qui à un moment donné lui ont prêté de l’argent et, par ricochet, presque toutes les autres. Et surtout, le moindre doute sur la solidité d’une banque suffit à bloquer le système.
Avoir cela à l'esprit change complètement la vision du monde bancaire. Cela montre la fragilité des banques et le rôle crucial des banques centrales qui surveillent le bon fonctionnement du marché interbancaire. C'est une clé indispensable pour comprendre la régulation, la crise des subprimes, ou ... les différences entre liquidité et rentabilité.
2 - LES TITRES
Les titres sont une invention de bon sens, dont la portée est insoupçonnée. Il y a en effet deux manières de matérialiser un prêt: soit avec un contrat de crédit classique, soit avec un PAPIER AU PORTEUR, signé par l'emprunteur. Ce "papier" est une action ou une obligation, c'est-à-dire un titre. Ce titre, action ou obligation, peut être acheté et revendu à tout moment par l'investisseur sur le marché (marché obligataire ou bourse), tandis que pour l'emprunteur, rien ne change.
Cette notion de titre est fondamentale pour expliquer la complémentarité entre le financement par le crédit bancaire et le financement par le marché et donc l'importance des marchés dans l'économie. Cette notion conduit tout naturellement à la notion de ... titrisation, qui n'est rien d'autre qu'une technique pour transformer un crédit en titre. Le plus important est sans doute ce qui est rarement dit: la bourse permet à l'entreprise d'emprunter sans obligation de rembourser!
3 - BILAN
Il n’est évidemment pas question de plonger dans la comptabilité, mais seulement de s'emparer de cet OUTIL DESCRIPTIF puissant qu'est le bilan. Un outil qui s'apprend comme une langue étrangère... qui n'aurait pas plus de quatre règles de grammaires et vingt mots de vocabulaire. Un mini-langage pratiqué au fil de l'eau.
Son utilité est considérable. Grâce au bilan, par exemple, on peut deviner l’activité d’une entreprise. Le bilan est une clé aux applications multiples: diagnostic de gestion des entreprises, des banques ou des fonds, régulation, analyse de la régulation bancaire, du quantitative easing, des subprimes... Et là aussi, un élément important et peu souligné: les entreprises se prêtent entre elles.
C'est une réalité économique que la terminologie comptable ne permet pas de percevoir immédiatement. Comment le voir? Tout simplement les postes "Clients" et "Fournisseurs". Donc, une entreprise bien gérée se doit de faire un travail de banquier! L’attention prioritaire souvent donnée au bénéfice et au cash-flow ne doit pas occulter cette importance du bilan en tant qu’outil d’analyse.
Ces trois notions de base sont développées dans les chapitres qui suivent.
Chapitre 2 - Le marché interbancaire, poumon des banques
RÉSUMÉ Les banques remplissent trois fonctions de base nécessaires à l'économie: les transferts, les dépôts et le crédit. Les dépôts sont utilisés pour faire le crédit, mais pas seulement, car les dépôts ne sont pas stables. Pour compenser cette instabilité, le marché interbancaire a été créé pour permettre aux banques excédentaires de prêter à celles qui sont en déficit de liquidités. En amont des banques, la banque centrale veille à l'alimentation correcte du circuit monétaire et régule le volume des crédits distribués par les banques. La banque centrale joue donc un rôle financier et un rôle économique. L'importance du marché interbancaire et de son bon fonctionnement illustre deux points importants: la fragilité du système bancaire et la solidarité forcée des banques entre elles. |
Fonctions des banques
Il faut se représenter le système bancaire comme un ensemble de tuyauteries invisibles reliant entre eux tous les acteurs de l'économie. Grâce aux banques, l'argent se déplace dans les circuits sous forme électronique et se concrétise à certains endroits en billets.
Dans ce système il y a des points d'entrée et des points de sortie. Les distributeurs de billets installés par centaines dans le paysage urbain sont des points de sortie d'argent, tout comme les fontaines d'autrefois étaient des points de sortie d'eau. Pour continuer avec cette analogie, les banques remplissent une double fonction de réservoir et de pompe. Elles stockent et font circuler l’argent nécessaire à l’économie.
L'argent tourne. Chaque utilisation de carte de crédit entraîne tôt ou tard la diminution de la réserve bancaire de son détenteur. Cette réserve disponible est inscrite dans un compte alimenté par un flux d'argent d'origine diverse, le plus souvent un salaire.
Globalement, la banque gère l’ensemble des réserves de ses clients. Loin d’être constante, cette masse d'argent fluctue considérablement d’un jour à l’autre, en fonction des besoins des détenteurs de comptes, besoin de paiements ou besoins de stockage.
L’imprévisibilité des opérations de la clientèle
Dans l'exemple ci-dessus, il y a les flux prévisibles - les salaires sont par exemple payés à date fixe - mais il faut se représenter aussi tous les flux imprévisibles.
Ces flux imprévisibles correspondent aux retraits soudains des particuliers ou des entreprises, à la réception des acomptes sur commandes pour une entreprise, aux rappels d’impôt à payer, à l'utilisation des crédits, etc…
Les banques font face chaque jour à l'imprévisibilité des opérations des clients. Elles n’ont donc jamais exactement en caisse l’argent disponible correspondant à leurs besoins (billets ou surtout argent électronique). A contrario, elles n’ont jamais l’emploi immédiat des sommes que ceux-ci déposent.
Cette situation de fluctuation permanente des excédents de ressources ou des besoins de ressources est encore amplifiée par le phénomène du crédit. L'argent prêté par la banque à certains clients provient des dépôts et de l'épargne des autres clients. Cet argent disponible permet d'accorder des crédits, mais il est bloqué pour longtemps.
En fin de journée, au moment de faire ses comptes pourrait-on dire, chaque banque se retrouve donc soit avec un excès d’argent disponible, soit au contraire avec un manque.
Le marché interbancaire
C’est ici qu’intervient un élément capital, invisible, mais indispensable au bon fonctionnement du monde bancaire. La complémentarité des besoins d’une banque à l’autre a en effet donné naissance à un système de solidarité et de facilités mutuelles. C’est le marché interbancaire, appelé aussi marché monétaire. dont il est un compartiment.
Concrètement, les banques se prêtent entre elles chaque jour (en fin de journée) des sommes considérables. Ces prêts sont presque essentiellement des prêts d'une durée de 24 heures. Le J/J dans le jargon des banques. Les taux et les montants sont fixés d'un commun accord par un simple coup de fil.
Ces échanges ne sont pas improvisés et font au contraire l’objet d'une surveillance rigoureuse de la part de la banque centrale, comme on le verra ci-après.
Une banque peut être emprunteuse un jour et prêteuse le lendemain, ce qu’illustrent les schémas ci-dessous.
Au jour J:
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Grâce au marché interbancaire, les banques qui ont des besoins importants savent qu'elles peuvent compter sur d'autres banques pour les couvrir. Il en est de même de celles qui ont des excédents, et qui sont assurées que cet argent disponible ne "dormira" pas, mais au contraire leur rapportera des intérêts.
Le blocage du marché interbancaire peut avoir de graves conséquences. Des banques parfaitement saines peuvent faire faillite faute de ressources immédiates. Par ricochet, ce mécanisme risque de toucher un grand nombre de banques en bonne santé.
Impossible ? Pas du tout, cette situation s’est produite en 2008, dans le contexte de la crise des subprimes. Cela a été également le cas de certaines banques du Sud de l'Europe auxquelles les autres banques ont longtemps refusé de prêter du fait de leur situation inquiétante. Elles sont à l'origine de certaines mesures prises par la BCE depuis 2014 et poursuivies en 2015-2016.
Illustration
A titre d’exemple, le bilan de fin d’exercice (décembre 2013) d’une grande banque française montre l'usage qu'a fait cette banque du marché interbancaire à ce moment précis.
Pour faciliter la « lecture » du bilan de la banque, les données chiffrées ont été représentées par des rectangles dont la taille est proportionnelle aux montants.
En ce qui concerne la distribution de crédit à la clientèle, ce que la banque a prêté correspond à peu près aux dépôts de la clientèle. La différence a été couverte par recours au marché interbancaire.
On peut s’étonner de voir que la banque a simultanément prêté et emprunté sur le marché interbancaire. La raison en est tout simplement que ces prêts et ces emprunts sont de durées différentes et ne se compensent donc pas.
Il faut garder à l’esprit qu’un bilan est une photographie instantanée de la situation, et qu’il évolue en fait chaque jour.
A quoi sert la banque centrale
Le système décrit est idéal en ce qu’il suppose que les excédents d’une partie des banques couvrent exactement les besoins des autres. La réalité est un peu différente. Et même très différente si l’on pense au crédit. Le système est alors susceptible d’être déficitaire, si les crédits distribués globalement à un moment donnés dépassent l'ensemble de l’épargne disponible.
Une précision technique les banques ont d'autant plus besoin du marché interbancaire qu'elles pratiquent ce que l'on appelle la transformation.
Résumé d'une phrase, la transformation désigne le fait que les banques empruntent court et prêtent long. Pourquoi ? Pour profiter de l'écart de taux entre le court terme et le long terme. Cet écart est en leur faveur, sauf situation exceptionnelle d'inversion de la courbe des taux. La contrepartie du risque pris est un supplément de rentabilité puisque leur marge est plus forte.
Conséquence: à chaque fin de prêt court terme (une semaine, un mois, trois mois), la banque rembourse le prêt précédent en souscrivant un nouveau prêt court terme de même montant et ainsi de suite jusqu'au remboursement définitif du crédit consenti au client. Cela explique la très grande activité et la très grande importance du bon fonctionnement du marché interbancaire. Vous comprenez incidemment la complexité du job de trésorier de banque !
Deux remarques la France pratique aussi la transformation, pour profiter des taux avantageux des emprunts de courte durée. Par ailleurs, la situation exceptionnelle qui prévaut du fait de la politique de la BCE change quelque peu le paysage. D'une part en effet les taux sont à un niveau exceptionnellement bas, voire négatif, et d'autre part la BCE met directement à disposition des banques des crédits de longue durée.
Comme le montre ce schéma, la banque centrale intervient pour faire l’appoint, pourrait-on dire.
En fait, la banque centrale ne se limite pas à ce rôle de contrôleur qui se contente de vérifier la bonne alimentation du système en liquidité. Elle peut agir aussi de son propre chef et décider soit de "sur-alimenter" les circuits, soit au contraire de retirer une partie des liquidités des circuits bancaires.
Dans le premier cas, le but recherché est de faciliter le crédit. Elle peut alors choisir aussi de baisser les taux d'intérêts, de moduler les taux en fonctions des durées, donc piloter de manière précise la distribution du crédit à l'économie.
Dans le deuxième cas, son objectif est au contraire de limiter les crédits à l'économie, de manière à éviter une surchauffe et à lutter contre l'inflation. En 2015-2016, le phénomène inverse est apparu, celui de la déflation. Une situation nouvelle qui a conduit la banque centrale à prendre des mesures inédites. La politique inédite initiée alors, dite d’ «assouplissement quantitatif » est expliquée plus loin dans le livre,
Chapitre 3 - Les titres : une autre façon d’emprunter
RÉSUMÉ Une entreprise qui a besoin de financement peut choisir entre le crédit bancaire et l’émission de titres, actions ou obligations. Les titres sont achetés par des investisseurs qui peuvent les revendre à tout moment à d’autres investisseurs sur les marchés. La circulation des titres, fondamentale du point de vue de l’investisseur, ne change rien pour l’entreprise émettrice. Les actions présentent un avantage considérable car elles sont une forme d’emprunt que l’entreprise n’est pas obligée de rembourser ! |
Les limites du crédit classique
Actions et obligations sont des titres. Cette notion de titre est née d'une limitation inhérente au crédit, la difficulté, voire l'impossibilité pour le prêteur de changer d'avis. Dans un crédit classique, crédit bancaire ou prêt personnel, le prêteur et l'emprunteur sont liés jusqu'au remboursement complet du crédit.
Cet aspect des choses peut présenter un inconvénient pour le prêteur, dont l'argent est en quelque sorte "bloqué".
Pour l'illustrer cette situation, on peut prendre l'exemple d’un prêt direct entre personnes, comme cela existe souvent, un prêt entre amis.
Un particulier héritant de cinquante mille euros les prête à un ami sous forme d’un prêt remboursable en totalité à l’issue d’une période de cinq ans et porteur d’intérêts intermédiaires. Ils s’entendent pour garder une trace écrite de leur accord et rédigent un document ressemblant en tous points à un contrat de prêt. Les choses se passent bien, les intérêts sont payés aux échéances convenues.
Mais la troisième année, le prêteur découvre qu’il aurait bien besoin de ses cinquante mille euros car il doit faire face à une dépense imprévue. Impossible, moralement, de demander le remboursement anticipé du prêt à son ami, qui d’ailleurs ne le pourrait pas. Le prêteur n’a d’autre ressource que de s’adresser à sa banque.
C’est précisément pour faire face à ce genre de situation qu’une autre manière de faire a été conçue, la vente d'un titre.
Les avantages du titre
Plutôt qu’un prêt liant le prêteur et l’emprunteur, il aurait été plus simple d’établir un document signé par l’emprunteur et lui seul, précisant son engagement à payer cinquante mille euros à une date du futur et des intérêts sur cette somme. Quelque chose comme une reconnaissance de dette, mais sans mention de bénéficiaire.
Le prêteur aurait alors tout simplement « acheté » ce papier, appelé titre.
L’avantage ? Le titre en question serait devenu immédiatement cessible. En d’autres termes, le prêteur aurait pu le revendre à tout moment, au bout de trois ans dans ce cas, sans aucune formalité. A condition bien-sûr de trouver un acheteur, c’est-à-dire quelqu’un disposé à prêter cinquante mille euros remboursable deux ans plus tard, et produisant l’intérêt fixé à l’origine.
Formulé d'une autre façon, il faudrait trouver un investisseur disposant de cette somme et désireux de la placer dans de bonnes conditions.
Difficile ? Peut-être, si un nombre limité de personnes est au courant de l'existence de ce titre à vendre. Très facile au contraire si l'information est publique, car alors le nombre des investisseurs potentiels augmente. Et encore plus facile si les taux d’intérêts ont baissé sur la période écoulée, auquel cas le « placement » sur deux ans au taux d’origine devient attractif pour l'investisseur. Et s'ils sont plusieurs, une surenchère risque de se produire, ce qui ferait monter le prix du titre. ... on voit s'ouvrir ici les portes du "marché".
Ce titre cessible qu’auraient pu imaginer les deux amis est l’ancêtre de ce qu’on appelle aujourd’hui - pour les entreprises et les États - une obligation.
Les obligations peuvent être revendues à tout moment
Il faut bien voir dans ce mécanisme simple un élément fondamental: celui qui rembourse l'investisseur initial n'est PAS l'emprunteur d'origine, mais un autre investisseur.
Pour l'emprunteur d'origine, rien ne change: il paie les intérêts et le capital aux dates indiquées sur l'obligation.
En revanche, le "prêteur", c'est-à-dire le détenteur du titre, peut quant à lui être remboursé à tout moment.
Le succès des obligations est phénoménal: il y a dans le monde énormément d’entreprises et d’États qui ont besoin d’argent. Et il y a en face énormément d’autres entreprises, d’États et d’institutions qui ont de l’argent disponible.
Cette demande et cette offre se rencontrent chaque jour sur un « marché » appelé marché obligataire.
Les prêteurs, du fait de leur nombre sont toujours sûrs de pourvoir revendre les obligations achetées, avec, en prime, la possibilité de faire un bénéfice.
Cette souplesse considérable explique l’immense succès de cette forme de prêt. Les volumes quotidiens avoisinent les milliers de milliards d’Euros! Comme beaucoup d’inventions financières, celle-ci repose sur une observation de bon sens : un prêteur sera d’autant plus disposé à prêter qu’il sait qu’il n’est pas lié à l’emprunteur, et qu’il peut récupérer sa mise à tout moment sans gêner l’emprunteur.
Les actions : des crédits jamais remboursés
Un crédit bancaire doit être impérativement remboursé. Une émission obligataire aussi …. sauf qu’il y a un moyen de l’éviter !
Par exemple en émettant, le jour du remboursement, de nouvelles obligations pour le même montant que celles qui sont arrivées à échéances. L’argent « frais » ainsi obtenu permet le remboursement des obligations précédentes. L’opération est neutre pour l’entreprise. Un emprunteur bien connu le fait chaque semaine, ou presque ! Cet emprunteur c’est …l’État français.
Pour les actions c’est beaucoup plus simple. Les actions émises ne sont jamais remboursées … par l’entreprise. Sauf cas exceptionnel, lorsqu’une entreprise est dissoute, ce qui n’arrive jamais ou presque, ou, cas très rare aussi, lorsque l’entreprise rembourse pour partie les actionnaires. En fait ce sont les actionnaires qui décident.
Mais comment ceux qui achètent des actions acceptent-ils de n’être jamais remboursés ? La réponse est simple: ils savent qu’ils ne seront jamais remboursés par l’entreprise, mais ils pourront revendre leurs actions à tout moment sur le marché, c’est-à-dire en bourse. Avec là-aussi, comme pour les obligations, l’espoir de gagner plus, mais aussi de perdre.
Chapitre 4 - Le Bilan : un langage descriptif
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1- Deviner qui fait quoi
Il s'agit de deviner à quel type d'entreprise correspondent les trois bilans ci-dessous, sachant que pour chacune d'elles, seul le côté gauche du bilan (l'actif) a été représenté.
Voici le premier bilan ou plutôt la première "moitié" de bilan de l’exercice. Quelques explications préalables s’imposent.
La représentation des rectangles a été adoptée pour des raisons pédagogiques évidentes : ces rectangles de tailles différentes sont plus lisibles qu’une suite de chiffres (à gauche), et permettent surtout de visualiser les valeurs relatives des différents postes.
Les postes qui figurent ici sont classiques. On les retrouve dans les bilans les plus sophistiqués.
Voici leur signification :
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Valeur des biens immobiliers, des machines de production, des véhicules (les immobilisations en langage comptable) |
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Valeur de tous les stocks: les produits prêts à être vendus, les pièces détachées, les produits de base ... |
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Montant cumulé des factures EN ATTENTE DE PAIEMENT. Ces factures ne sont pas dues à des retards. Lorsqu'une entreprise vend à un particulier, elle exige le plus souvent un paiement comptant. Si le client est une autre entreprise, la coutume est de faire crédit, de 3 à 6 mois. |
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Le CASH de l'entreprise: liquide et surtout comptes en banque |
Bilan N°1
On peut déjà dire que ce bilan N°1 correspond à une entreprise qui fabrique et vend des biens à d'autres entreprises, des biens industriels donc. Pourquoi?
Le poste IMMOBILISATIONS, tout d’abord, peut laisser penser qu’elle a des machines. Il est vrai qu’il peut s’agir aussi d’immobilier, ou d’un mélange des deux.
Ce qui met sur la piste est l’importance des postes CLIENTS et STOCKS. L’importance du poste clients signifie que l’entreprise vend à d’autres « entreprises » auxquelles elle a donc consenti des facilités de paiement. L’importance des stocks laisse penser qu’elle a une activité de production.
A noter enfin que le CASH est presque négligeable, ce qui indique qu’elle ne vend pas ou peu au détail. L’essentiel de ses ventes est donc réalisé auprès d’autres entreprises.
On peut penser que le bilan N°1 est celui d’une entreprise industrielle. La connaissance des chiffres permettrait de voir s’il s’agit d’une PME ou d’une entreprise plus importante.
Bilan N°2
Que peut-on dire alors de l’activité de l’entreprise qui correspond au BILAN N° 2 ?
Ce bilan N°2 présente une structure d'actif différente, très différente même de la précédente.
La première observation concerne l’absence des STOCKS.
Cette entreprise ne produit pas de biens physiques. Il s’agit donc d’une société de services. On peut en déduire que le poste IMMOBILISATIONS ne représente pas des machines de production. Il s’agit très probablement de biens immobiliers.
Ce qui frappe ensuite est l’importance considérable du poste CLIENTS. Une entreprise de services qui détient un gros volume de crédits clients, c'est ............. mais oui ....
Bilan N°3
On peut s’interroger à présent sur le BILAN N°3, et chercher à quel type d'entreprise il correspond.
La question est plus difficile car il y a plusieurs solutions possibles.
Cette entreprise a des STOCKS, donc elle vend des produits.
Il est possible qu'elle les produise car elle a des IMMOBILISATIONS, ce qui peut laisser penser qu’elle a des machines, mais il peut s’agir aussi d’immobilier.
Le plus étrange est son CASH énorme, et pas de crédit CLIENTS. On pourrait penser qu'elle vend principalement à des clients qui paient comptant. Donc à des particuliers.
C'est l'hypothèse la plus plausible. Donc cette entreprise est vraisemblablement …
Cet exercice montre la richesse et la transparence des informations livrées par la partie gauche, c’est-à-dire par l’actif du bilan.
2- Les autres postes du bilan : le passif
Le passif du bilan, c’est-à-dire la partie droite, montre principalement les DETTES de l’entreprise (ou de la banque). La notion de dette est ici considérée au sens large. Elle désigne les crédits proprement dits, et une catégorie particulière de dette que sont les fonds propres.
Fonds propres Les fonds propres désignent tout simplement la mise initiale des actionnaires qui ont créé l’entreprise, augmentée ou diminuée des profits ou pertes réalisés au fil des ans, et aussi de ce qu’on appelle les augmentations de capital, c’est-à-dire l’appel aux actionnaires.
Quelques remarques s’imposent pour clarifier cette notion de fonds propres qui n’est pas a priori intuitive.
La première est qu’il est sans doute plus clair de parler globalement d’origine des fonds plutôt que de dettes. Les fonds propres et plus généralement les postes du passif montrent la provenance de l’argent mis à disposition de l’entreprise.
Une autre difficulté de compréhension peut survenir du fait que les fonds propres d’une entreprise (ou d’une banque) ne sont pas « visibles » en ce sens qu’ils ne figurent pas sur un compte. Cet argent, l’argent des actionnaires, est disséminé dans tout ce qui appartient à l’entreprise, immeubles, créances,… ce qu’on appelle ses actifs.
Une manière approchée de se représenter les fonds propres est d’imaginer qu’ils représentent l’argent qui resterait si les actionnaires décidaient d’arrêter et de « liquider » l’entreprise. Les fonds propres seraient alors le produit de la vente des actifs diminué du remboursement des dettes. En fait, le résultat de ce calcul serait une valeur de liquidation, qui dépend étroitement des prix de marché des machines, des biens immobiliers, etc…
Les fonds propres représentent précisément ce que les actionnaires ont investi augmenté ou diminué de ce que l’entreprise a gagné ou perdu. Les fonds propres ne tiennent pas compte des valeurs de marché.
Le haut et le bas de bilan L'expression "haut de bilan" désigne les ressources et les investissements les plus stables de l’entreprise. Les ressources stables sont les « fonds propres » de l'entreprise et les crédits à long terme en cours.
Le pendant à l’actif est représenté par les investissements stables, appelés, comme indiqué plus haut, « immobilisations ». Il s’agit principalement de machines et d’immobilier.
Le haut de bilan permet de déterminer un élément comptable important pour la gestion de l’entreprise : le fonds de roulement, qui est l’excédent des ressources longues sur les emplois longs, dont l’utilité est analysée plus loin..
Le bas de bilan L’expression « bas de bilan » résume et chiffre les éléments de l’activité quotidienne de l’entreprise qui génèrent des décalages de trésorerie, et sont par conséquent à l’origine des besoins de financement.
L’exemple le plus « parlant » est celui des stocks. Les stocks de matières premières sont payables immédiatement au fournisseur ou avec un délai convenu. Ces matières premières sont progressivement incorporées dans la production de produits finis. Pour produire, il faut payer des salaires et diverses charges. Les produits finis sont à leur tour stockés jusqu’à la vente.
Le règlement de la vente prend lui aussi un certain temps. Le flux de la vente ne compense que beaucoup plus tard le flux des dépenses correspondantes. L’entreprise peut réduire ce décalage en réduisant le délai de paiement des clients et en allongeant la période de règlement des fournisseurs.
Le bas de bilan permet de déterminer un élément comptable important pour la gestion de l’entreprise : le besoin en fonds de roulement.
Exemple pratique : diagnostic d’une mauvaise gestion Une trop grande générosité commerciale en matière de conditions de paiements, consécutive à de mauvaises ventes, se traduit par la hausse du poste "clients". Si cette générosité commerciale n’est pas compensée par la négociation à la hausse des conditions "fournisseurs", l’effet mécanique sera l'augmentation du BFR. C’est-à-dire un besoin supplémentaire de financement.
Voici la conséquence sur le bilan d'une mauvaise gestion du bas de bilan:
Dans cet exemple, la hausse des stocks et l'allongement des conditions de paiement (l'augmentation du poste "clients") vont créer un "trou" c'est-à-dire un besoin de financement « x ». Le premier réflexe de l’entreprise est de tenter de combler ce besoin par l'augmentation des tirages de son découvert.
Tout dépend alors de l'attitude du banquier, qui voit bien qu’il y a un problème de vente et veut s’assurer que ce découvert ne va pas dépasser le plafond fixé d’un commun accord. Plusieurs solutions peuvent être envisagées par l’entreprise pour empêcher que ce plafond ne soit atteint. Elle peut obtenir de ses fournisseurs une augmentation de la durée de paiements, et parallèlement réduire ses stocks.
Si cela n’est pas possible ou ne suffit pas, le banquier lui demandera de « consolider son haut de bilan ». En clair, il pourra demander que les actionnaires renforcent les fonds propres par une augmentation de capital. Cette nouvelle injection de ressources permettra de compenser durablement l’augmentation du découvert générée par l’augmentation du crédit client.
L'idée simple est celle du partage de l'effort à faire entre l'entreprise et la banque. A défaut l’entreprise pourra connaître de graves difficultés, et cela, quelle que soit sa rentabilité.
Cette problématique est reprise dans le chapitre 7 du livre.
PARTIE II - LES CLICHÉS: CE QU'IL FAUT EN PENSER
Chapitre 5- « Les marchés sont déconnectés de l'économie réelle »
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1- Les marchés complètent l’action des banques
Le point particulier des limites des banques est capital pour saisir l’importance des marchés.
A bien des égards, les banques fonctionnent comme des entreprises, avec toutefois deux différences majeures :
- Les banques sont dépositaires de l’argent des milliers de personnes et d’entreprises qui ne pourraient pas concevoir que leurs avoirs soient mis en danger pour des raisons propres à la banque.
- Les banques sont interdépendantes dans la mesure où elles se prêtent entre elles, quotidiennement, des sommes considérables pour ajuster leur trésorerie.
Du fait de cette interdépendance, la défaillance d’une seule banque peut avoir des conséquences catastrophiques pour tous ses déposants, et aussi pour nombre de ses consoeurs, lesquelles, à leur tour, peuvent mettre en danger leurs propres clients et d’autres banques. C’est ce qui s’appelle le risque systémique.
La perspective de défaillance d’une banque entraîne la « ruée sur les guichets » des déposants qui veulent retirer leurs avoirs avant qu’il ne soit trop tard, et menace de faillites en chaine les autres banques qui ne peuvent plus récupérer ce qu’elles avaient momentanément prêté.
Cette interdépendance des banques reproduit à une beaucoup plus grande échelle ce que l’on peut observer au niveau des entreprises. Ces dernières se font en effet crédit les unes aux autres selon la pratique quasi-universelle des facilités de paiement. Le résultat est que les entreprises sont reliées entre elles par des chaines de « crédit-client » et de « crédit-fournisseur ». C’est ainsi que la faillite d’une entreprise peut entrainer la faillite de plusieurs fournisseurs - pourtant bien gérés. Les conséquences « systémiques » sont moins grandes car le crédit inter-entreprises n’a pas la fonction vitale du crédit interbancaire, ni surtout sa dimension.
Les limites quantitatives des banques La question de la sécurité des opérations bancaires est donc fondamentale. Les banques occidentales ont organisé elles-mêmes cette sécurité au sein de ce qu’on appelle les accords de Bâle.
Le principe de base est simple. La banque utilise l’argent des dépôts pour exercer une activité à risque, la distribution du crédit. Par définition donc, elle est susceptible de perdre une partie de l’argent qu’elle prête, même si elle exerce cette activité avec prudence. Cette perte inévitable ne doit pas être prélevée sur les dépôts de ses clients, qui ne le comprendraient pas. Cette perte doit être prélevée sur l’argent qui est propre à la banque et donc sur l’argent de ses actionnaires, ce qu’on appelle ses fonds propres.
Comme précisé au chapitre précédent, ces fonds propres représentent tout simplement la mise initiale (le capital) de ceux qui ont créé la banque, augmenté ou diminué des profits ou pertes réalisés au fil des ans, et aussi de ce qu’on appelle les augmentations de capital, c’est-à-dire l’appel à de nouveaux actionnaires. Les fonds propres de la banque constituent en quelque sorte un matelas de sécurité. C’est l’argent qu’elle peut perdre avant de porter atteinte aux dépôts qui lui ont été confiés.
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Les accords de Bâle ont fixé à HUIT POUR CENT du stock de crédits le montant minimal des fonds propres des banques. En sens inverse, une banque ne peut pas prêter plus de DOUZE FOIS le montant de ses fonds propres. Le schéma ci-dessus illustre ce principe : Ces chiffres sont bien-sûr arbitraires et résultent du compromis raisonnable des banquiers réunis à Bâle pour fixer et réviser périodiquement les règles.
Les limites qualitatives des banques Une banque peut prêter moins que ce qu’autorisent les règles de Bâle, et néanmoins risquer de perdre beaucoup si ses crédits ont été distribués sans discrimination.
C’est le cas si la banque a concentré ses crédits sur un seul secteur économique, ou sur une activité ou encore sur quelques entreprises en particulier. L’immobilier en est un exemple. En cas de retournement du marché, la banque qui y a concentré ses engagements peut perdre plus que ses fonds propres.
Les banques sont tenues de répartir leurs risques sachant que les défaillances touchent très rarement l’ensemble des secteurs économiques. Elles le font à leur propre initiative, pour protéger l’argent des déposants, … comme celui des actionnaires.
Les start-ups trop risquées Pour ne pas prendre de trop grands risques, les banques s’interdisent ainsi de s’engager sur certains types d’entreprises, comme les start-ups et les très jeunes entreprises. Les statistiques sont impitoyables en effet : la « mortalité » des entreprises nouvellement créées est très forte, et rares sont celles d’entre elles qui dépassent le cap des cinq années d’existence.
Pour des raisons analogues, les banques sont prudentes en ce qui concerne les achats d’actions ou de titres de dette souveraine. Acheter des actions de Coca-cola ou des titres de dette française est sans risque, mais la tentation de meilleurs rendements donc de placements plus risqués est grande.
Ce problème, et la difficulté de trouver la solution « juste » expliquent l’hésitation des pouvoirs centraux à interdire strictement les placements des banques sur les marchés.
Les marchés ont plus de ressources que les banques et plus d’appétit pour les risques Jusqu’aux années quatre-vingt dix et sur toute la période précédente, les États étaient n’étaient que peu ou pas endettés, le commerce international était marginal. Les banques et les bourses locales suffisaient largement aux besoins des entreprises.
Depuis lors, les flux de financement ont pris une ampleur considérable. D’un côté, les entreprises ont vu croître leurs besoins d’investir et de l’autre, les États, ou du moins une grande partie d’entre eux, ont accumulé d’importants déficits. Progressivement, les marchés ont pris le relais des banques pour assurer le financement.
Les marchés ont pu couvrir ces nouveaux besoins car parallèlement l’argent disponible dans le monde a augmenté. On parle de dizaines de milliers de milliards de dollars ! De plus en plus d’« investisseurs » sont prêts en effet à placer leurs avoirs en dehors des banques et à prendre des risques pour obtenir des meilleurs rendements.
Au contraire des banques, les marchés ont peu de limites en terme de volumes ou en terme d’« appétit » pour les risques élevés.
2- La France emprunte sur les marchés
Pour bien voir l'utilité et le fonctionnement des marchés, partons d'une réalité que chacun connait, l'endettement de la France. La traduction concrète de cet endettement est simple: chaque semaine, un service spécialisé de l'Etat emprunte entre 5 et 10 milliards d'euros. Ces emprunts sont matérialisés par des obligations au porteur.
A qui empruntons-nous ? Ceux qui prêtent à la France le font à travers les marchés. Ils pourraient le faire directement, on verra pourquoi ils préfèrent passer par les marchés.
Ces prêteurs qui achètent les obligations émises par le Trésor français sont des institutions de France et d'ailleurs qui ont durablement ou épisodiquement de l'argent à placer. Institutions privées ou publiques, personnes privées ou fonds de placement, on les appelle des investisseurs.
Ces investisseurs pourraient placer cet argent dans les banques, certains le font d’ailleurs. C'est une affaire de préférence. Beaucoup s’orientent vers les placements en bourse ou les achats d’obligations, prennent des participations dans des entreprises. Ou confient simplement leur argent à des organismes spécialisés qui feront des placements en leur nom. On trouve ainsi des compagnies d'assurances, des fonds de pension, des Etats souverains détenteurs d'excédents, des fonds de placement, etc ...
Ordre de grandeur L'endettement global de la France est d'environ 2 000 milliards d'euros, ce qui représente à peu près le PIB français. On est loin, très loin des capacités des investisseurs. Des banques d'affaires spécialisées dans la création de supports d'investissement sophistiqués estiment à 70 000 milliards d'euros les sommes d'argent disponibles. Ce montant n'inclut pas le volume quotidien qui circule sur le marché des changes ou les volumes échangés sur le marché des matières premières...
Pourquoi passer par les marchés Le marché présente des avantages considérables, pour celui qui prête comme pour celui qui emprunte. Le principal avantage est lié au nombre de participants.
1- L'emprunteur est sûr ou presque qu'à tout moment quelqu'un sera intéressé et disposé à lui prêter.
"L'emprunt français de la semaine dernière a été sur-souscrit." |
Ce titre apparaît régulièrement dans la presse. Il signifie tout simplement que ce jour-là, les investisseurs étaient prêts à prêter plus à la France que ce qui était demandé. |
2- Le prêteur est également sûr de trouver quelqu'un disposé à lui reprendre le prêt qu'il a consenti quelque temps auparavant.
"Le marché de la dette française est liquide." |
Ce commentaire exprime le fait que la dette française circule facilement. Les emprunts français sont émis par l'Etat sous forme d'obligations, lesquelles peuvent être achetées puis revendues indéfiniment. Cette caractéristique donne de la souplesse aux investisseurs. |
3- A la différence des banques, les marchés n'ont pas de limites. Les marchés permettent aux investisseurs d'acheter autant d'obligations du trésor français qu'ils le souhaitent. La seule limite est celle qu'eux-mêmes se fixent en fonction de la qualité de l'emprunteur "France". La mesure de cette qualité est la notation des Agences, Standard & Poor, Moody ou Ficht.
3- L’Amérique est plus performante que l’Europe grâce à ses marchés
Les multinationales américaines sont présentes partout dans le monde, des plus anciennes, Coca-cola ou General Electric, aux plus récentes, Facebook, Amazone ou Apple. Ce qui frappe le plus est la capacité à grandir de ces entreprises, leur longévité et, pour les plus jeunes, leur vitesse de croissance. Plusieurs facteurs expliquent cette vitalité exceptionnelle, parmi lesquels on peut citer la stimulation d’un marché intérieur de 230 millions d’habitants, la qualité du système éducatif, la mobilité de la main d’œuvre, la capacité d’innovation.
Sur tous ces points en fait, l’Europe n’a pas à rougir, comme en témoigne notamment le dynamisme de ses jeunes pousses. La modernisation économique de la « vieille Europe » est en route, qu’il s’agisse de l’effacement progressif des obstacles au mouvement des personnes et des marchandises sur un territoire de 530 millions d’habitants (un peu moins depuis le Brexit) ou de l’adaptation des systèmes éducatifs et juridiques aux exigences les plus actuelles de l’économie. Cette évolution promet un rapprochement avec l’économie américaine à plus ou moins longue échéance.
Retard européen Il est cependant un point essentiel, sur lequel l’Europe accuse un grand retard : les marchés financiers. Ces derniers ont atteint aux États-Unis un niveau de sophistication extrême, tant sur le plan des volumes mobilisés que dans leur capacité à répondre aux besoins des entreprises dans leurs différents stades de développement. A contrario, leur faible développement en Europe se mesure dans la difficulté des start-ups à franchir le pas de leur transformation en entreprises moyennes et dans la difficulté des PME à devenir de grandes ou de très grandes entreprises.
La situation n’est pas la même d’un pays européen à un autre. L’Allemagne et l’Italie comptent par exemple respectivement trois et deux fois plus de PME que la France. La fiscalité pénalisante des successions, l’absence d’une culture « PME » dans le système éducatif expliquent certes en partie le retard français, mais l’obstacle commun au développement des entreprises européennes est bien l’insuffisance du système de financement des « jeunes » et très jeunes entreprises. La City de Londres, marché financier le plus développé d’Europe, se concentre sur le financement des entreprises côtées en Bourse. Son activité « capital risque » est très loin de ce que l’on peut observer aux États-Unis.
Pendant longtemps, en Europe, la banque a été considérée comme le lieu principal où s’opérait la distribution du crédit, le marché obligataire et la bourse étant limités aux grandes ou très grandes entreprises. C’est en fait tout l’échelon inférieur des entreprises qui a souffert et souffre encore du manque de financement. La participation au capital des start-ups par exemple leur a toujours été proscrite précisément en raison du degré de risque que cela représente.
Financement des start-ups Dans les premières phases de développement des start-ups, leurs besoins de financement, modestes, peuvent être couverts par les entrepreneurs eux-mêmes, leurs amis, voire des business-angels. Quelques rares fonds privés prennent ensuite le relais, mais très vite, au-delà de la dizaine de millions d’euros, l’« offre » de capital-risque se raréfie en Europe.
Désintermédiation Le financement par les marchés est parfois assimilé à la désintermédiation bancaire. Ce terme ambigu parait signifier qu’il y a dans le recours au marché une tendance à la réduction du rôle des banques dans le financement de l’économie. Le terme porte ainsi l’idée d’un autre choix possible, comme par exemple une action des États pour réduire le rôle des marchés.
L’importance historique de l’État en Europe dans le contrôle de l’économie explique pour une large part cette perception et une forme de résistance à abandonner au marché ce qui pendant longtemps relevait du domaine « régalien », le contrôle du financement. Les crises économiques récentes attribuées hâtivement à la non-régulation des marchés ont conforté les États européens et les opinions publiques dans leur méfiance à l’égard de ces derniers.
La réputation des banques n’est pas vraiment meilleure mais dans ce domaine au moins, les États se sentent encore en position de force puisqu’ils disposent de l’arme de la nationalisation. Une arme quelque peu illusoire en Europe dans la mesure où le pouvoir bancaire a glissé progressivement vers la BCE. Nationaliser les banques impliquerait donc pour le pays concerné la rupture du lien avec la BCE et par conséquent la sortie de l’euro. Ces deux points font l’objet de chapitres spécifiques dans la suite du livre.
Chapitre 6 - « Les marchés sont dans le court terme »
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1- Les marchés relient le temps long et temps court
Tout le monde a une idée de ce qu'est la bourse: c'est un endroit où il est possible d'acheter et de vendre des actions. Il est très facile d'acheter ou de vendre des actions depuis chez soi, grâce à internet.
Ce qui est intéressant à observer, c'est la naissance des actions. Les entreprises émettent des actions dans le but d'obtenir des ressources. Une introduction en bourse, en jargon financier, s'appelle une IPO, abréviation de Initial Public Offer.
Le jour-dit, tout le monde (« public ») peut acheter les actions offertes, au prix fixé par l’entreprise. En fait par son banquier conseil, car il faut du métier pour fixer le « bon » prix. Ce bon prix est celui qui attire beaucoup d’acheteurs, et permet de vendre plus d’actions que ce qui était fixé à l’origine, afin de nourrir la confiance, … et la hausse future des cours. Acheter des actions c’est avoir confiance dans les perspectives de l’entreprise.
La bourse : des « financements » jamais remboursés
Il existe d'autres manières d'obtenir des ressources, le crédit bancaire par exemple, ou l’émission d’obligations, mais du point de vue de l'entreprise, les actions ont une caractéristique vraiment intéressante: l'entreprise n’est pas tenue de rembourser aux acheteurs les sommes qu’elle a reçues en échange de ses actions.
On pourrait dire que l’émission d’actions est un "crédit" qui n'est jamais remboursé ... ou presque (dans le très rare cas de réduction du capital décidée par la majorité des actionnaires).
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Pour l’investisseur, la possibilité de retrouver sa mise à tout moment
Mais comment ceux qui achètent des actions acceptent-ils de n’être jamais remboursés ? La réponse est simple, ils savent qu’ils ne seront jamais remboursés par l’entreprise, mais qu’ils pourront revendre leurs actions à tout moment sur le marché, c’est-à-dire en bourse.
Une action peut se revendre d'un clic. Il y a toujours un acheteur. Certes, le vendeur espère réaliser un bénéfice mais il sait qu’il y a aussi le risque de perte. C'est toute la dimension du "pari" que font les investisseurs sur l'évolution possible des cours.
L’émission d’actions en bourse a toujours lieu un jour précis, annoncé d’avance. Dès le lendemain, parfois le jour même, une fraction plus ou moins importante des acheteurs revend les actions acquises à de nouveaux investisseurs et le cycle achats-vente démarre.
Le cas le plus spectaculaire de ces dernières années est celui d’Ali Baba. Son IPO de vingt milliards d’euros a suscité le jour-même un courant acheteur inattendu. A la première cotation, les cours ont monté, signe que le marché était prêt à absorber plus d’actions. Profitant de l’aubaine, la société a procédé dès le lendemain à une deuxième émission qui lui a rapporté près de cinq milliards de dollars supplémentaires.
Le volume des échanges quotidiens en bourse est considérable. De nombreux sites permettent de suivre cela à chaque instant. Le suivi des cours pendant une semaine de l’action Apple par exemple donne une idée de cette activité endiablée des investisseurs. Le graphique ci-après est extrait du site gratuit Boursorama.
On voit que le volume, c'est-à-dire le nombre d'actions Apple échangées chaque jour varie de 25 et 50 millions, soit un montant quotidien entre 3 et 5 milliards de $. Ce montant ne représente qu’une fraction de la valeur totale d'Apple en bourse, de l’ordre de 200 milliards de dollars au début 2016. Chaque jour, des investisseurs ont payé ces sommes à d’autres investisseurs pour l’achat de leurs actions d’Apple, soit un transfert entre 3 et 5 milliards de dollars de comptes bancaires à comptes bancaires. Ceux qui vendent pensent que l’action a perdu son potentiel de hausse et ceux qui achètent pensent l’inverse.
La co-existence de ces perceptions opposées est la condition du bon fonctionnement de la bourse. A noter que lorsque tout le monde pense la même chose, il n’y a plus de « marché ». Dans un mouvement haussier par exemple, les cours peuvent ainsi atteindre des niveaux vertigineux, donnant naissance à ce qu’on appelle une bulle spéculative. Cette bulle peut se résorber dans le temps ou exploser brutalement. Le krach se produit lorsque tout le monde décide de vendre en même temps.
Temps long et temps court
Le miracle de la bourse – et sa raison d’être - est dans la cohabitation de deux mondes ayant des visions complémentaires de la notion de temps, le monde des investisseurs et celui des entreprises.
Les entreprises sont dans le temps long. Elles savent que les ressources obtenues lors de l'émission initiale (l'IPO) et dans ses émissions ultérieures, leur sont acquises dans la durée. Les investisseurs sont dans le temps court. Ils peuvent revendre à tout moment, voire même faire plusieurs aller-retours dans une même journée. La raison d’être et le bon fonctionnement de la bourse reposent sur ce mouvement quotidien et sur son intensité. Il n’y a pas chaque jour une IPO, loin de là, mais chaque jour un grand nombre d’opérations d’achat-vente, donc un grand nombre de participants. C’est la condition pour l’entrée de nouveaux investisseurs.
Les volumes énormes échangés chaque jour en bourse ne doivent pas tromper, il s’agit bien d’échanges. Si mille échanges d’un euro ont eu lieu dans la même journée, on parle d’un volume d’échanges de mille euros, alors qu’en fait c’est le même euro qui a circulé ! Le jour de l’IPO, le premier euro est allé directement dans les caisses de l’entreprise qui a émis l’action. Lorsque le premier acheteur revend son action, il récupère son euro qui par exemple retournera sur son compte bancaire où il sera prêté par la banque. Bien loin d’étre perdu pour l’économie, ce premier euro a permis dans tous les cas d’aider l’entreprise à investir.
Contrôle des opérations de Bourse
Comme on peut s'en douter, l'accès initial à la bourse et le maintien de la cotation au fil du temps imposent des contraintes sévères pour les entreprises, comme la publication trimestrielle de comptes certifiés et le respect des normes comptables. Le monde de la Bourse est très encadré, il y va de l’intérêt de tous de préserver la confiance.
Les organismes de contrôle des marchés jouent un rôle essentiel à cet égard. Un organisme comme la SEC aux États-Unis dispose ainsi de pouvoirs étendus. La capacité d’investigation de ces organismes est essentielle. Leur mission est de contrôler qu’il n’y a pas de manipulation des cours.
Les entreprises cotées doivent respecter des règles précises concernant la publication d’informations susceptibles d’influencer leur cours en bourse. Les ordres d’achat – ou de vente - importants précédant une communication essentielle sont particulièrement scrutés.
La pression du marché sur les résultats
A ces dispositions règlementaires s’ajoute un élément de bon sens. L’intérêt de toute entreprise cotée en bourse est de voir son cours progresser régulièrement. Il y va de son image, de l’intérêt financier des cadres détenteurs de stock-options, et surtout de ses chances d’accueil positif pour de futures émissions d’actions.
Les entreprises qui ont annoncé des pertes sont particulièrement scrutées par le marché dans son ensemble et naturellement par les détenteurs de ses actions. La chute des cours amplifie l’importance des pertes tant que les perspectives de redressement restent floues. La « pression » psychologique des investisseurs concernés est alors très forte. L’entreprise se doit d’annoncer au plus vite des mesures crédibles.
Pour les managers concernés, en fait, les choses ne sont pas très différentes, que la société soit cotée en bourse ou pas. Les propriétaires d’une société en perte exercent de toutes façons une pression de tous les instants sur les managers. Les choses sont simplement plus visibles en bourse, puisque les propriétaires sont les actionnaires et que ces derniers ont le droit de s’exprimer publiquement sur la gestion de l’entreprise.
2- Investisseurs ; simplicité des achats / ventes de titres
Les obligations présentent de nombreux points communs avec les actions. Pour l’entreprise, il s’agit d’une autre manière d’obtenir des fonds dans la durée, mais avec des particularités différentes. Par exemple, le taux d’intérêt d’une obligation est fixé à l’émission, tandis que le dividende d’une action dépend des décisions des actionnaires.
Pour les investisseurs aussi, les différences sont importantes, sauf sur un point. Comme les actions, les obligations peuvent être revendues à tout moment sur un marché spécifique, le marché obligataire. Comme la bourse, le marché obligataire doit garantir à tout détenteur d’obligation la possibilité de trouver un acheteur.
Une obligation c’est un crédit facilement cessible
La raison d’être de la notion d’obligation apparait dans la comparaison avec le crédit. Un crédit « courant » comme un crédit immobilier, un crédit d’investissement ou un prêt personnel résulte d’un accord formel entre emprunteur et prêteur. Un emprunteur et un prêteur identifiés.
Pour le prêteur, les limites du crédit résultent du fait qu’il est « lié » à l’emprunteur, en ce sens que si à un moment il change d’avis, il ne peut pas demander à l’emprunteur le remboursement immédiat du crédit.
Pour illustrer le cas où ce remboursement anticipé pourrait être souhaité par le prêteur, un exemple.
Un particulier prête cinquante mille euros à un ami et convient avec lui d’un prêt remboursable en totalité à l’issue d’une période de cinq ans, avec paiement d’intérêts intermédiaires. Ils s’entendent pour rédiger un accord document ressemblant en tous points à un contrat de prêt. Les choses se passent bien, les intérêts sont payés aux échéances convenues. Mais la troisième année, le prêteur découvre qu’il aurait bien besoin de ses cinquante mille euros pour faire face à une dépense imprévue. Impossible moralement et même juridiquement, de demander le remboursement anticipé du prêt à son ami, qui d’ailleurs ne le pourrait pas. Le prêteur n’a d’autre ressource que de s’adresser à son banquier.
C’est précisément pour faire face à ce genre de situation qu’une autre manière de faire a été conçue. Plutôt qu’un contrat de prêt liant le prêteur et l’emprunteur, il aurait été plus simple d’établir un document signé par l’emprunteur et lui seul, précisant son engagement à payer « au porteur » cinquante mille euros à une certaine date ainsi que et des intérêts sur cette somme. Quelque chose comme une reconnaissance de dette, mais sans mention de bénéficiaire.
Le prêteur aurait alors tout simplement « acheté » ce document. Le-dit prêteur ne s‘appelle plus « prêteur » mais « investisseur », même si dans ce cas les deux fonctions sont économiquement identiques : A prête à B et A prend le risque de non-paiement de B, ce qui est la définition du crédit.
L’avantage de cette transformation ? Le document ainsi rédigé serait devenu immédiatement cessible. En d’autres termes, le prêteur aurait été libre de le revendre à son gré, sans aucune formalité.
A condition bien-sûr de trouver un acheteur, c’est-à-dire quelqu’un disposé à prêter cinquante mille euros remboursable deux ans plus tard, et produisant l’intérêt fixé à l’origine.
Difficile ? Certainement pas si ce placement est proposé à des dizaines de milliers d’investisseurs potentiels. La probabilité de trouver preneur devient alors une certitude, et ce d’autant plus si les taux d’intérêts ont baissé sur la période écoulée. L’acheteur bénéficiera alors de conditions meilleures que celles du marché.
Le papier cessible qu’auraient pu imaginer nos deux amis préfigure ce qu’on appelle aujourd’hui - pour les entreprises et les États - une Obligation.
Le marché obligataire
Le succès des obligations est phénoménal. Il y a dans le monde énormément d’entreprises et d’États qui ont besoin d’argent. Et il y a en face énormément d’autres entreprises, d’États et d’institutions qui ont de l’argent disponible. Cette demande et cette offre se rencontrent chaque jour sur le marché obligataire. Les prêteurs, du fait de leur nombre sont toujours sûrs de pourvoir revendre les obligations achetées, avec, en prime, la possibilité de faire un bénéfice.
Cette souplesse explique l’immense succès de cette forme de prêt. Les volumes quotidiens avoisinent les milliers de milliards d’Euros !
Notons au passage que cette forme de financement des uns et des autres se fait en « dehors des banques » en ce sens ce n’est pas la banque qui fait crédit. La banque se contente d’enregistrer les flux.
3- Entreprises : une alternative au financement bancaire
Pour l’entreprise, le financement par émission d’obligations est une alternative au crédit bancaire.
Une entreprise qui a besoin d’argent pour financer un investissement – recruter ou acheter des machines – a le choix entre trois solutions : elle peut souscrire un crédit bancaire, émettre des obligations ou aller en bourse.
Un crédit bancaire doit être impérativement remboursé. Une émission obligataire aussi …. sauf qu’il y a un moyen de l’éviter ! Par exemple en émettant, le jour du remboursement, de nouvelles obligations pour le même montant que celles qui sont arrivées à échéances. L’argent « frais » ainsi obtenu permet le remboursement des obligations précédentes. L’opération est neutre pour l’emprunteur. C’est d’ailleurs la manière de procéder de l’État français.
Pour les actions c’est beaucoup plus simple. Comme indiqué plus haut, les actions émises ne sont jamais remboursées … par l’émetteur. Sauf cas exceptionnel, lorsqu’une entreprise est dissoute, ce qui n’arrive jamais ou presque, ou, cas très rare aussi, lorsque l’entreprise rembourse pour partie les actionnaires. En fait ce sont les actionnaires qui décident.
En pratique, les entreprises combinent les trois modes de financement. Il y a à cela une raison macro-économique, évoquée au chapitre précédent, à savoir l’insuffisance des capacités du seul système bancaire au regard des besoins de l’entreprise. Il y a aussi une motivation des entreprises à combiner les caractéristiques de ces trois modes de financement.
Le financement par le marché est adapté aux besoins de long terme de l’entreprise, comme ses investissements « lourds ». La bourse permet ces financements de long terme mais au prix d’une perte d’autonomie possible dans la mesure où les nouveaux ont leur mot à dire sur la gestion de l’entreprise.
Le financement par le marché obligataire n’a pas cet inconvénient mais oblige néanmoins l’entreprise à une certaine transparence car elle est alors soumise à l’impératif de notation, c’est-à-dire de l’évaluation périodique de sa note de risque.
Le crédit bancaire est adapté aux besoins de court et moyen terme de l’entreprise. Il présente en revanche un risque d’instabilité car l’établissement prêteur peut imposer des contraintes précises sous peine de non-renouvellement des crédits court terme.
L’utilité de la spéculation
C'est un paradoxe qui peut étonner: la spéculation des investisseurs sur les marchés conditionne le bon fonctionnement de leur finalité première qui est de permettre aux entreprises de se financer.
L'importance du marché se mesure par sa taille, c'est-à-dire le nombre d'intervenants, et par l'intensité des échanges. la combinaison de ces caractéristiques définissant ce qu'on appelle sa liquidité.
Les échanges -ventes et achats - "spéculatifs" contribuent à doper les volumes du marché. La volatilité des cours, c'est-à-dire les écarts importants sur une courte durée sont pour beaucoup d'investisseurs des opportunités de gain.
Plus il y a d'intervenants, plus ces intervenants sont actifs et plus le marché est, selon l'expression consacrée, liquide. Un marché liquide est celui qui garantit qu'à tout moment il y aura un acheteur ou un vendeur.
Ce dynamisme profite indirectement aux entreprises qui ont besoin de financement, car toute nouvelle émission d'obligations ou d'actions de la part de l'une d'entre elles aura d'autant plus de chances de trouver "preneur".
Chapitre 7 - « Les banques ne prennent pas de risques »
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1- Les banques sont (presque) des entreprises comme les autres
D’une certaine manière, la banque fonctionne comme une société de commerce dont l’activité est d’acheter et de vendre et qui « vit » en quelque sorte de sa marge entre ses prix d’achat et ses prix de vente. L’analogie est que la banque emprunte et prête, avec des taux d’intérêt différents. On pourrait dire qu’elle achète et vend … de l’argent, et que ses prix sont des taux d’intérêt.
Comme pour toute entreprise, le résultat de la banque résulte globalement de la différence entre ses revenus et ses dépenses. L’équivalent du chiffre d’affaires est le produit bancaire. Le produit bancaire représente les intérêts et les commissions perçus. Les dépenses sont principalement les intérêts et les commissions payées, et l’ensemble des dépenses de fonctionnement, salaires, achats de biens et de services.
Ce calcul est proche du calcul du bénéfice de l’entreprise, à une différence près toutefois, une différence d’importance : la banque tient compte du coût du risque, c’est-à-dire le coût des crédits sinistrés du fait du non-remboursement. Ce risque n’est pas occasionnel, il est permanent.
Il faut bien voir comment se pose le problème pour la banque. Sa marge sur le crédit est d’environ deux pour cent. C’est en quelque sorte son espérance de gain, …. si tout se passe bien. Mais si tout va mal, c’est-à-dire en cas de défaillance de l’emprunteur, son risque de perte est bien supérieur, car elle perd non seulement son espérance de gain, mais aussi le capital prêté à son client, qu’elle est tenue de rembourser quoi qu’il arrive à ses prêteurs externes ou à ses déposants.
L’entreprise a également un risque d’impayé sur ses ventes (chèque sans provision, traite refusée), mais par rapport à la banque, les proportions sont sans commune mesure.
Pour fixer un ordre de grandeur, si, comme indiqué plus haut, la banque peut gagner deux pourcent si tout va bien, son risque de perdre est en revanche de cent pourcent, soit 50 fois plus ! Le risque est au cœur du métier de banquier.
L’interdépendance des banques
La seconde différence avec les entreprises est l’importance des échanges entre banques.
Pour que la banque puisse prêter, il faut naturellement qu’elle dispose des ressources nécessaires, et il est essentiel pour cela que le marché interbancaire fonctionne.
Ce problème des ressources des banques n’est pas immédiatement perceptible. C’est un fait, la banque prête l’argent de ses clients. Mais si à un moment donné, tout l’argent des dépôts a été prêté, elle peut néanmoins emprunter auprès d’autres banques en excédent ce dont elle a besoin pour faire un nouveau prêt. Le problème est d’autant plus aigu que les banques prêtent « long » et que leurs ressources sont « courtes », en ce sens qu’un client peut retirer son argent à tout moment. Les échanges entre banques sont quotidiens. Le système d’échanges, vital pour les banques est ce qu’on appelle le marché interbancaire. L’actualité des années 2008-2015 a montré l’attention extrême portée à ce problème par les autorités bancaires – et en premier lieu par la BCE. (*)
2- Comment la banque accorde les crédits
L’analyse du risque
Prêter c'est faire un pari sur la situation future de l'emprunteur. Et pour évaluer cette situation future, le prêteur ne dispose ... que d'éléments passés. C'est le passé qui permet de se faire une idée de la capacité de l'emprunteur à rembourser son prêt.
En règle générale, les banques regardent les comptes des trois années qui précèdent la demande de crédit. Pourquoi trois ? Parce que l'expérience montre qu''aller plus loin dans le passé n'a pas grand sens.
Aussi fine soit-elle, l'analyse du risque a toutefois ses limites, puisque rien ne permet de prévoir exactement l'évolution de la situation future d'un emprunteur. Le risque zéro n'existant pas, le prêteur cherche en outre les moyens de se couvrir d'une défaillance toujours possible de son emprunteur.
A l'examen des comptes on ajoute une analyse des perspectives commerciales de l'entreprise et de la solidité de son management. Il faut aussi que le crédit soit rémunérateur.
Partant du principe que les difficultés économiques touchent rarement l'ensemble des secteurs, les banques font en outre très attention à la répartition de leurs risques, sur le plan économique et géographique. Elles s’efforcent de respecter avec rigueur un certain nombre de ratios prudentiels comme par exemple le coefficient de division des risques : la banque s’abstient de prêter plus qu’un certain pourcentage de ses fonds propres à un client donné, ou à l’ensemble des clients d’un secteur économique donné.
Solvabilité, rentabilité et garanties
Pour déterminer ensuite si le risque est acceptable, la banque doit répondre à trois questions
A - Solvabilité: la solidité financière du client est-elle suffisante pour minimiser le risque de faillite
B - Rentabilité: ce client a-t-il les ressources nécessaires pour rembourser son nouveau crédit?
C - Garanties: comment s'assurer de la récupération du capital en cas de problème?
La solvabilité exprime la capacité de l'entreprise à résister à la faillite. Elle se mesure par l’analyse de son bilan. Rentabilité et solvabilité ne vont pas obligatoirement de pair. Une entreprise dont la rentabilité est supérieure à la norme du secteur peut néanmoins présenter une grande fragilité du fait d'une structure financière déséquilibrée.
Ce qui déclenche la faillite est l'incapacité de l'entreprise à honorer une créance qui lui est présentée. L'entreprise n'a pas assez d'argent en caisse ou de facilités bancaires pour payer un créancier : un fournisseur, l'échéance d'un gros crédit ou le fisc par exemple. Elle n'a plus les liquidités nécessaires. Un tel événement malheureux peut toucher une entreprise en bonne santé affectée par exemple par la défaillance d'un de ses clients.
Dans les faits, c'est la banque "maison" qui déclenche la faillite, car c'est elle qui tient les clés des liquidités. C'est elle qui peut décider de ne plus augmenter les facilités courantes de trésorerie. Le banquier qui accorde ces facilités voit fonctionner les comptes au jour le jour. Il est le premier informé des difficultés de l'entreprise. Il peut donc apprécier à quel moment la situation de l’entreprise est sans espoir, et refuser de continuer à lui faire crédit.
Il peut également prendre une telle décision pour des raisons de politique interne, même si l’entreprise se porte bien. La banque veut par exemple diminuer son exposition sur un secteur économique ou géographique donné. De telles décisions sont rares mais elles se produisent néanmoins. Dans cette hypothèse, l'entreprise n'a pas d'autre choix que de solliciter une autre banque. Pas question pour celle-ci de s'engager sur un nouveau client qui a une trésorerie tendue malgré une situation bénéficiaire. La situation de trésorerie est donc fondamentale pour comprendre si l'emprunteur est proche de ses limites.
Bas de bilan
En langage clair, le « bas de bilan » résume et chiffre les éléments de l’activité de l’entreprise qui génèrent des décalages de trésorerie, donc des besoins de financement.
L’exemple le plus « parlant » est celui des stocks. Les stocks de matières premières sont payables immédiatement au fournisseur ou avec un délai convenu. Ces matières premières sont progressivement incorporées dans la production de produits finis. Pour produire, il faut payer des salaires et diverses charges. Les produits finis sont à leur tour stockés jusqu’à la vente. Et enfin, le règlement de la vente prend lui aussi un certain temps. Le flux de la vente ne compense que beaucoup plus tard le flux des dépenses correspondantes. L’entreprise peut réduire ce décalage en réduisant le délai de paiement des clients et en allongeant la période de règlement des fournisseurs.
En langage comptable, le besoin en fonds de roulement (A) en abrégé BFR traduit d’un chiffre le résultat de tous les décalages de trésorerie.
Une trop grande générosité commerciale en matière de conditions de paiements, donc la hausse du poste "clients" qui ne serait pas compensée par une re-négociation des conditions "fournisseurs" aura pour effet mécanique l'augmentation du BFR.
La représentation ci-dessus par blocs illustre les catégories de comptes figurant au bilan. Le "bas" du bilan concerne ce qui "bouge" souvent. Le poste "clients" est en fait un chiffre qui représente la somme des factures émises et non réglées le jour où le bilan a été construit. Le poste stocks correspond à la valeur des produits fabriqués et non vendus. De l'autre coté du bilan, au passif, figure le poste fournisseurs, pendant du poste "clients", c'est-à-dire les factures reçues par l'entreprises mais non payées. Le poste "clients" représente le crédit fait aux clients. Fournisseurs représente le crédit fait par les fournisseurs. Ces postes varient chaque jour, au gré des achats et des ventes de l'entreprise, à la différence des postes du haut de bilan, qui ne varient qu'une ou deux fois par an.
Haut de bilan
L'expression "haut de bilan" désigne les ressources et les investissements les plus stables de l’entreprise. Les ressources stables sont les fonds propres de l'entreprise et les crédits à long terme en cours. Les investissements stables, ce sont les machines, l’immobilier, les participations financières…
En langage comptable, la différence entre ces deux éléments s’appelle le fonds de roulement en abrégé FDR. Ce montant représente la partie disponible des ressources stables qui est disponible pour … compenser en partie le besoin de financement décrit plus haut, résultant des décalages des flux dans l’activité de production et de ventes.
Incidemment, si en théorie l’entreprise n’avait pas ce besoin de financement, la partie disponible des ressources stables se retrouverait dans ses disponibilités, c’est-à-dire, son compte en banque.
En pratique, il ne peut pas y avoir de correspondance exacte entre le besoin de financement et la capacité interne de financement. La raison est simple : si les ressources internes sont stables, il n’en est pas de même des besoins de financement, qui varient chaque jour en fonction de l’évolution des ventes, et donc des achats.
La partie du BFR non couverte par le FDR représente le besoin de découvert bancaire. La bonne gestion consiste à couvrir la plus grande partie du BFR avec le FDR. L’entreprise dépend moins de son découvert bancaire et conserve ainsi une marge de manoeuvre en cas de difficultés, comme le défaut de paiement de l’un de ses clients.
La difficulté pour la banque est en fait de déterminer le montant maximum du besoin de découvert. Si le FDR est stable, ou relativement stable à l'horizon d'un an, il n'en est pas de même du BFR, lequel peut présenter de fortes variations cycliques.
Les bilans présentés par les entreprises sont des photographies plutôt flatteuses, dont on ne peut pas déduire le BFR maximum. Le dialogue du banquier avec son client est alors nécessaire.
Si le besoin maximum de découvert dépasse les plafonds d'engagement de la banque, celle-ci pourra par exemple demander à son client une renégociation du crédit "fournisseurs", voire l'augmentation de ses fonds propres.
Voici la conséquence sur le bilan d'une mauvaise gestion du bas de bilan:
Dans cet exemple, l'allongement des conditions de paiement a pour effet l'augmentation du poste "clients" et va donc créer un "trou", c'est-à-dire un besoin de financement. Si l'entreprise ne réagit pas, elle va tenter de combler ce besoin par l'augmentation des tirages de son découvert. Tout dépend alors de l'attitude du banquier lequel va mettre en relation ce nouveau besoin avec les éléments de haut de bilan de l'entreprise.
Derrière cette terminologie se cache l'idée simple de partage de l'effort à faire entre l'entreprise et la banque.
Le banquier examine alors les ressources stables de l'entreprise afin de déterminer leur contribution au financement du BFR. Pour cela il analyse le haut de bilan.
Les garanties
Le constat de la rentabilité de l’activité de l’emprunteur et de sa solidité financière à un moment donné ne met pas le prêteur à l’abri d’événements imprévisibles susceptibles d’entraîner ultérieurement un changement radical de situation.
Sur une durée de quatre, cinq ou six ans, la durée moyenne des crédits sur les biens d’équipements, les retournements de situation sont toujours possibles. Le plus classique est comme indiqué plus haut la défaillance d’un client majeur,. L’analyse du portefeuille de clients constitue à cet égard une précaution indispensable. La mise en place de garanties correspond à la nécessité de se couvrir des conséquences possibles de ces événements, indépendamment de leur nature ou de leur probabilité de réalisation.
Les deux règles d’or en matière de crédit et de garantie sont les suivantes :
- on ne prête pas sur garantie
- on ne prête pas sans garantie.
Prêter sur garantie signifie négliger l’analyse de crédit telle qu’exposée ci-dessus du fait de l’existence d’une garantie solide.
Il n’est pas sain de faire crédit à un emprunteur sans ressources régulières, ou dont les ressources sont insuffisantes pour rembourser ses échéances, ou pire, qui est à la merci de la faillite, faute de facilités de trésorerie suffisantes. Pour le prêteur, la mise en jeu d’une garantie est processus lourd et coûteux qu’il vaut mieux éviter.
Accorder un crédit sur la base d’une garantie à un emprunteur dont on sait d’avance l’incapacité à honorer ses échéances, ne relève plus du métier de banquier, mais de l’action sociale. Pire encore lorsque cette garantie repose sur un bien dont le prix est susceptible de fluctuer, comme l’immobilier.
Prêter sans garantie est dangereux, car en cas de difficultés de trésorerie, ce crédit sans garantie sera le premier touché, et le premier à subir des impayés. Le débiteur choisira en effet de retarder le paiement des échéances, voire de les interrompre puisqu’en agissant ainsi, il n’encourt pas le risque d’une mise en jeu de la garantie susceptible de rendre visible ses difficultés.
Les garanties sont de deux types. Il y a d’une part les engagements donnés par des tiers pour la reprise des obligations contractuelles de l’emprunteur lorsque celui-ci est défaillant. Et d’autre part les gages ou sûretés réelles sur des biens. Dans la première catégorie on trouve par exemple les cautions ou les engagements de reprise, donnés par des personnes physiques ou morales. Du point de vue de l’analyse de crédit, tout se passe comme si le prêteur avait en face de lui un deuxième emprunteurs, susceptible de se substituer au premier en cas de défaillance de celui-ci. La valeur d’une telle garantie est celle du garant. Il est donc nécessaire de procéder à une deuxième analyse de crédit complète du garant pour s’assurer de sa capacité à honorer son engagement de sa solidité financière. Cette deuxième analyse de crédit exige la même rigueur que la première. Les garanties ou sûretés « réelles » les plus courantes sont les garanties sur les actifs de l’entreprise. Il s’agit par exemple de gages sur les d’actifs de production, de nantissement des actifs financiers, ou d’hypothèque des actifs immobiliers.
Il faut savoir que dans le domaine du crédit, un risque n’est jamais totalement couvert. En particulier, si les garanties permettent de réduire les risques, elles ne sont pas elles-mêmes sans risques.
3- Comment négocier avec la banque
La négociation avec la banque, comme toute négociation, demande un travail de préparation. Le point de départ est de bien comprendre la méthode d'analyse de la banque... et de maîtriser son propre dossier. Il faut ensuite identifier le processus interne de décision et la place réelle de son interlocuteur dans ce processus. Vient ensuite la question du rapport de force et l'analyse de ce qui peut être négocié.
Banque maison
En matière de négociation, il faut faire une distinction entre la banque « maison » et les autres banques. La banque maison, partenaire privilégié de l’entreprise, gère la plupart des flux financiers, apporte des cautions et finance notamment le découvert. Elle dispose pour cela des meilleures garanties que l’entreprise peut lui apporter (fonds de commerce, nantissements, garanties personnelles).
Les autres banques ont avec l’entreprise une relation plus épisodique, mais qui peuvent être non moins importantes. C’est le cas pour des crédits pour des investissements à moyen terme, et surtout pour le commerce extérieur. En fonction de leur importance, ou de l’importance du risque, ces crédits peuvent être syndiqués, c’est-à-dire que plusieurs banques se partagent les risques et se regroupent sous l’autorité d’un chef de file.
Dans tous les cas, la notion de négociation concerne moins l’aspect financier c'est-à-dire le coût du crédit ou le coût des services bancaires que le crédit lui-même, et le type de services que le client peut demander à sa banque.
La relation avec la banque maison s’établit dans la durée et chaque partenaire accorde une importance à cette durée. La banque connait de mieux en mieux son client, élément essentiel de sa connaissance du risque. Et réciproquement l’entreprise sait qu’elle peut compter sur sa banque, elle sait ce qu’elle peut ou ne peut pas lui demander.
Discuter les taux
La question du coût de l’ensemble des services apportés par la banque est importante, sans être primordiale. Ce qui est important est que l’entreprise sache exactement ce que la banque lui coûte et surtout ce qu’elle rapporte à sa banque en terme de revenus. Ce point est toujours évoqué en comité des risques, c’est en quelque sorte le thermomètre de l’intérêt économique d’un client pour la banque.
Demander à sa banque une réduction des commissions, frais de tenue de compte, etc … est toujours possible mais l’entreprise est souvent plus avisée de placer ailleurs l’enjeu de sa négociation avec la banque. Qu’elle demande ou pas une réduction des conditions, l’entreprise doit de toute façon savoir ce qu’elle rapporte à sa banque et le dire à son banquier. Estimer ce revenu bancaire n’est pas hors de portée. Il faut pour cela calculer le découvert moyen sur l’année, lui appliquer le taux d’intérêt et les commissions convenues, et ajouter les revenus générés par les autres services bancaires.
En lieu et place d’une baisse des coûts, l’entreprise peut obtenir des avantages ponctuels non négligeables et qui rapporteront peut-être plus qu’une simple baisse des conditions bancaires. C’est par exemple une année de plus ou une période initiale en franchise de paiement dans un crédit moyen terme. Le principe à respecter, et à faire respecter est celui du win-win.
Autres banques
La manière la plus simple de procéder est la mise en concurrence des banques, ce qui est toujours possible et même souhaitable s’agissant des opérations ponctuelles, comme les crédits d’investissement à moyen terme ou le crédit export.
Mais là aussi, l’entreprise doit d’agir de manière avisée et bien choisir les banques qui seront mises en concurrence. Si par exemple l’entreprise cherche à financer l’extension des bâtiments de son siège et se préoccupe par ailleurs d’un éventuel développement à l’étranger, elle incluera dans son appel d’offre une banque dont l’expertise est reconnue dans la région qui l’intéresse. Le choix final de la ou des banques s’appuiera sur ce type de considérations qui vont plus loin que le taux facial d’un crédit. L’entreprise se devra d’expliquer alors aux banques non retenues les (bonnes) raisons de son choix.
Dans cet exemple, une opération « banale », un crédit immobilier est pour l’entreprise une opportunité d’entrée en relation avec une ou plusieurs nouvelles banques. La banque maison est bien-sûr partie prenante du crédit. L’entreprise « gagne » sur deux tableaux : elle prépare l’avenir tout en faisant comprendre à la banque maison que celle-ci n’est plus tou à fait seule. Voilà la vraie négociation, l’appréciation du rapport de force, et lorsque l’opportunité se présente, le changement en sa faveur du rapport de forces.
Une affaire de confiance réciproque
Pour l'entreprise comme pour le particulier, la relation avec la banque doit se concevoir dans la confiance et dans la durée. Le crédit n'est pas une science exacte. Les éléments "techniques" du crédit doivent être bien-sûr maîtrisés, mais ce qui compte tout autant est le jugement, l'appréciation que chacun se fait de la capacité de l'autre à tenir ses engagements.
Le commercial de la banque qui défend "son" client en comité des risques s'engage en quelque sorte sur la qualité de l'emprunteur. Et de même, le client doit sentir que la parole de la banque est solide, ce que résume la formule anglo-saxonne my word is my bond, ma parole m'engage.
Ce n'est pas qu'une clause de style. La vie des affaires s'accélère parfois et il peut arriver que l'entreprise s'engage elle-même vis-à-vis d'un client en s'appuyant sur un accord verbal de la banque. Sans compter la survenance de graves difficultés où l'appui de la banque peut être décisif pour la survie de l'entreprise. Dans tous les cas, petite ou grande entreprise, petite ou grande banque, la personnalisation de la relation est non seulement inévitable, elle est nécessaire.
Chapitre 8 - « Il faudrait nationaliser les banques »
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1- Une fausse bonne solution
Les crises de ces dernières années dans le monde, les crises immobilières notamment, ont montré que des banques, parfois-même des banques d’excellente réputation, commettent des erreurs en ce sens qu’elles prêtent ou font des placements en contradiction flagrante avec les principes cardinaux de la profession concernant la maîtrise des risques.
A première vue, la nationalisation des banques peut paraître comme une mesure de bon sens dans la mesure où les défaillances bancaires sont susceptibles de porter atteinte à l’ordre public.
En risquant de faire faillite en effet, ces banques mettent en danger les dépôts de leurs clients, des milliers, voire des millions de clients selon la taille des établissements concernés. Ces déposants risquent de perdre leurs avoirs alors qu’ils n’ont aucune responsabilité dans l’activité de la banque et dans les erreurs de gestion éventuelles commises par le management.
Le problème est plus large encore si l’on considère que des banques même gérées de manière irréprochable peuvent être en quelque sorte « contaminées » par la faillite d’un autre établissement de la place. La raison en est l’interdépendance structurelle des banques par le biais du marché interbancaire.
En deux mots, les banques utilisent l’argent des comptes des clients pour faire leur métier qui est de prêter. Ce qui est prêté est prêté, mais les dépôts varient au jour le jour en fonction des mouvements de comptes de chaque client. A un moment donné, la banque peut donc avoir un écart entre ses disponibilités et les demandes de la clientèle (retraits ou nouveaux crédits). Le marché interbancaire, en connectant toutes les banques entre elles, permet de résoudre ce problème par la circulation quotidienne des excédents d’une banque à l’autre. C’est donc un dispositif vital pour le bon fonctionnement du système. Ce sujet est examiné en détail dans le zoom de la deuxième partie du livre.
Dans ce contexte, l’idée de la nationalisation des banques a de tout temps germé dans les esprits. Puisque l’activité bancaire présente des risques potentiels élevés pour la population, il serait nécessaire d’en laisser à l’État la prise en charge et son encadrement.
A cela s’est ajoutée – et s’ajoute encore - la croyance que l’État ferait un meilleur banquier que les banques privées dont le seul objectif est de faire des profits sans considération de l’intérêt général.
Les choses ne sont toutefois pas si simples. Il ne suffit pas de décréter que les banques sont nationalisées pour résoudre les problèmes. L’histoire des nationalisations passées et l’observation de ce qui se passe dans certains pays montrent les nombreux effets secondaires de ce « médicament ».
La confusion des genres pénalise les banques qui n’appartiennent pas à l’État
Ces effets secondaires sont le résultat de la confusion qui se produit presqu’immanquablement entre pouvoir politique et réalité économique. Lorsque l’actionnaire d’une banque est l’État, la tentation est grande pour ce dernier de « forcer » l’octroi des crédits à partir de considérations politiques.
Le problème qui se pose alors est celui des limites. A quel moment la banque nationale arrête de faire crédit aux entreprises qui ne sont pas viables ? Pendant combien de temps doit-elle soutenir les canards boiteux ? Sur quels critères juger le management de la banque ? A cela s’ajoute le problème du coût pour l’État donc pour le contribuable, puisque les pertes de la banque sont celles de l’actionnaire, et que ce dernier doit bien les compenser. S’il ne le fait pas, la banque ne peut plus honorer ses engagements, payer ses salaires, etc …
Ce problème de la nationalisation des banques n’appartient pas au passé puisque certains en Europe le préconisent. Deux exemples contemporains illustrent cette inévitable tentation et ses conséquences : la BPI en France et les banques chinoises.
2- L’exemple de la Banque pour l’Investissement
Depuis sa création en 2011, la Banque Pour l’Investissement agit dans la discrétion. En fait cette institution n’a pas été créée ex nihilo mais résulte de la fusion d’entités étatiques qui existaient déjà en France dans le domaine du financement des entreprises et de l’aide à l’exportation.
La bpi prend chaque jour des décisions de financement sous forme de crédits, de garanties ou par le biais d’investissement dans le capital des entreprises. Les décisions de crédit sont prises comme dans toutes les banques à partir des critères habituels de la profession.
La prise de risque est au cœur du métier de la banque. Trop de risques conduisent à des pertes excessives qui détruisent le capital de la banque et donc celui des actionnaires, mais trop peu de risques affectent également les bénéfices de la banque car les crédits peu risqués sont peu rémunérés. Or la banque, comme toute entreprise, doit générer une rentabilité suffisante pour que ses actionnaires répondent favorablement à de futurs appels de fonds.
Ces décisions de crédit, toujours difficiles, sont prises dans toutes les banques au sein de comités des risques où sont tour à tour examinés les éléments économiques, commerciaux, et la qualité de gestion des demandeurs de crédits.
Les pressions politiques
Des crédits sont refusés par la bpi, c’est inévitable. Certaines des entreprises concernées savent qu’elles disposent d’un recours possible, susceptible de fausser en quelque sorte l’analyse économique de la banque. Elles peuvent plaider leur dossier auprès d’instances politiques régionales.
Les instances politiques consultées peuvent alors faire pression sur le management de la bpi, au besoin en faisant « monter » le dossier à Paris. Elles vont mettre en avant la dimension sociale des problèmes des entreprises concernées, les conséquences d’une fin d’activité entrainée par le refus d’un crédit. Il faut tout le talent du management pour résister aux pressions et trouver des solutions qui préserveront autant que possible son autonomie de décision tout en évitant d’apparaitre comme le responsable d’une éventuelle faillite d’entreprise.
Une manière « classique » de résoudre le problème est la suivante. La banque d’État reste ferme sur son refus initial mais propose de changer la donne avec une augmentation de capital de l’entreprise en difficulté financière. Elle invite alors l’instance régionale qui est « montée au créneau » pour défendre les intérêts de l’entreprise à prendre sa part dans cette augmentation de capital.
Quel que soit le montage toutefois, si les choses se passent mal, en cas de faillite de l’entreprise aidée, c’est l’argent du contribuable qui est perdu.
Une concurrence accrue vis-à-vis des banques privées
Face à cette situation, le challenge posé au management de la banque publique est de compenser par des bénéfices accrus les pertes futures inévitables liées à certains crédits risqués consentis contre son gré.
Pour préserver l'équilibre de ses comptes, et donc l'argent du contribuable, elle est contrainte de développer son activité auprès des "bons" clients, ce qui n’est pas vraiment sa mission première.
Le problème est qu’elle vient alors sur le terrain des banques de crédit "classiques", lesquelles ont tout autant besoin de ces bons clients. Elles aussi espèrent compenser leurs pertes sur les crédits en cours par les revenus issus des "bons" crédits.
La différence avec la bpi est que ces banques ont déjà des pertes à gérer du fait de crédits anciens. La compensation de ces pertes par les gains sur les bons crédits est donc une composante essentielle de leur « business model ».
Avec la bpi, elles doivent don affronter une concurrence accrue sur ce segment d'emprunteurs. Cette concurrence faussée de la bpi crée une fragilisation inévitable des banques privées.
Le résultat final n’est pas vraiment positif au sens du bien public si l’on considère que la banque publique française risque quand même d’enregistrer des pertes tout en privant les banques classiques des moyens de diminuer les leurs.
C- L’exemple des banques chinoises
La presse internationale fait état périodiquement des difficultés des banques chinoises et des doutes sur la solidité de certaines d’entre elles. Ce problème est perceptible dans le mauvais fonctionnement du marché interbancaire. Les banques qui ont des excédents n'ont plus confiance dans la solvabilité de celles qui veulent emprunter.
On parle de la fragilité du système bancaire, une manière élégante et conventionnelle de dire que de nombreuses banques chinoises ont accordé des prêts à des clients non solvables. Cela veut dire aussi leurs pertes réelles ne sont pas traduites dans leurs comptes apparents. Ces banques ont accordé des crédits à des emprunteurs notoirement incapables de rembourser. Elles l’ont fait sous la pression de l’État central ou des autorités locales, au niveau des provinces. L’absence de visibilité des engagements réels des banques a pour effet le blocage du marché interbancaire. La Banque centrale de Chine est forcée d’intervenir en prêtant directement aux banques en manque de liquidités ce que les autres banques ne veulent pas leur prêter.
Le volume des prêts douteux détenus par l’ensemble des banques n’est pas public. Selon des informations parues au début de l'année 2016 toutefois, l'endettement global des banques vis-à-vis du secteur privé et du secteur public représenterait plusieurs fois le PIB chinois. Peut-être que certaines de ces banques ont perdu l'équivalent de leur capital, et plus même. En l'absence d'information, sans une action drastique des autorités pour éliminer ces banques ou les recapitaliser, la situation ne peut que perdurer. Les banques chinoises continueront à se méfier les unes des autres et donc le marché interbancaire restera bloqué.
Le problème posé aux autorités chinoises est que cette situation empêche les banques chinoises de rejoindre la communauté bancaire internationale. Or cette intégration est essentielle pour permettre à la Chine d’atteindre pleinement son objectif d’internationalisation de la monnaie nationale, le Yuan.
Chapitre 9 - « L’austérité affaiblit l’économie»
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1- La réduction de la dette est prioritaire
La question de la dépense publique est essentielle en situation d'endettement élevé. Il faut considérer en effet que le budget français est "déjà" en déficit, de sorte que toute dépense supplémentaire ne peut être financée que par l'emprunt.
Un niveau élevé de dettes n'est pas tenable dans la durée car le paiement des intérêts représente une lourde charge. La situation exceptionnelle des taux négatifs en 2015-2016 ne s'applique qu'à une partie de la dette nouvelle. Outre le risque de taux, le risque de liquidité est également à prendre en compte. Derrière cette expression, il faut entendre le risque de ne plus trouver de prêteurs disposés à financer l'État français, même si aujourd'hui ce risque peut paraître théorique.
Endettement et dépendance des marchés
Il faut bien voir que les besoins français sont considérables. Le montant des nouveaux emprunts annuels doit être calculé en ajoutant au déficit de l'État - environ 70 milliards - le remboursement des emprunts arrivés à échéance. En clair, la France doit emprunter chaque année beaucoup plus que son déficit.
La raison est dans la manière d'emprunter de la France, qui n'est pas celle que chacun connait dans la vie courante. Un emprunt immobilier, par exemple, est remboursé par mensualités constantes incorporant une partie "remboursement du capital" et une partie "intérêts".
La France emprunte traditionnellement par "petits morceaux", sur des durées variables de quelques mois à dix, quinze ou vingt ans et rembourse à la fin de chaque période. Comme elle n'a pas de ressources pour faire ces remboursements, elle émet de nouveaux emprunts pour rembourser les anciens ... et emprunte aussi pour payer les intérêts. L’effet boule neige s’amplifie chaque année.
Une fausse sécurité
Depuis la création de l'euro, la France emprunte facilement, malgré l'augmentation constante de la dette. Ces emprunts, réalisés sous forme d'émissions d'obligations, sont souscrits semaine après semaine par les investisseurs. Les apparences peuvent être trompeuses.
La dette française pose un problème de sécurité lié à l'incertitude sur le comportement des prêteurs, c'est à dire des marchés, dans l'avenir, un aspect de la réalité rarement évoqué. Il règne à ce sujet une sorte d'indifférence de l'opinion, une indifférence que l'État ne cherche pas à corriger car le thème de la dépendance ou d'une forme de dépendance de la France à l'égard des "marchés" est un thème sensible.
Les prêteurs ont pour ainsi dire la main sur le robinet des crédits et le pouvoir de fixer les règles du jeu.
une grande partie de la dette est placée hors de France
La moitié environ de la dette française est souscrite en dehors de la France. Il y a une grande différence sur ce point avec le Japon, par exemple, dont la dette pourtant proportionnellement plus élevée, est plus sûre que celle de la France, car placée exclusivement auprès de prêteurs japonais, banques, assurances et fonds de pension. En cas de difficultés aigues, on peut concevoir que le patriotisme japonais jouerait son rôle et que la continuité du financement de l'État serait assurée. Il faut ajouter à cela un élément d'importance: l'absence de risque de de change du point de vue des prêteurs.
l’effet protecteur de l’euro.
Il faut bien voir que les taux très bas et parfois négatifs dont la France a profité sont la conséquence directe des mesures conjoncturelles de la BCE.
La facilité de la France à trouver des prêteurs est a conséquence directe de son appartenance à l’euro. La force et la stabilité de la devise européenne rassurent les investisseurs mais il y a surtout le sentiment que prêter à la France c’est en termes de risque comme prêter à l’Europe. L’euro agit donc comme un bouclier protecteur pour la France.
En cas de sortie de l’euro, la perception du risque « français » par les prêteurs changerait du tout au tout et se traduirait d’emblée par la hausse des taux d’intérêts. La dévaluation inévitable du franc augmenterait mécaniquement le poids de la dette en cours et l’évolution incertaine du taux de change rendraient les prêteurs encore plus circonspects.
2- Politique de l’offre ou politique de la demande
Ce sont les entreprises qui créent des emplois et de la richesse. L’action volontariste de l’État vise donc à aider ces dernières à développer leur activité.
Plusieurs solutions sont possibles selon que l’État choisi d’aider directement les entreprises par des allègements de leurs coûts ou indirectement en aidant les clients des entreprises à consommer plus.
POLITIQUE DE L'OFFRE
L'État aide directement les entreprises.
Pour stimuler la demande globale de biens et de services en direction des entreprises, il y a une première méthode consistant à aider ces dernières à produire plus et moins cher.
Cette aide vise à baisser le coût des charges et de l'impôt pesant sur leur activité.
On peut s'interroger sur l'efficacité réelle de cette politique qui ne peut être mesurée que dans la durée. Toutes les entreprises ne traduisent pas immédiatement les allègements de charges et de fiscalité en investissements générateurs d'emplois nouveaux.
Une partie de l'opinion peut aussi s'émouvoir des "cadeaux sans contrepartie" et ignorer complètement l'aspect positif des mesures. Il est certain que certaines entreprises peuvent profiter d'un effet d'aubaine, c'est-à-dire qu'elles avaient de toute façon prévu d'investir et qu'elles avaient les moyens de le faire. D'autres entreprises n'investissent pas immédiatement.
La politique de l'offre doit s'accompagne d'un élément psychologique d'importance, la confiance des entreprises en l’avenir.
Les expériences récentes des pays européens concernés ont ainsi toutes montré les effets positifs sur l'emploi de la politique de l'offre.
POLITIQUE DE LA DEMANDE
L'État augmente le pouvoir d'achat des consommateurs
L'aide à l'activité des entreprises peut aussi s'exprimer de manière indirecte. C'est le cas des mesures d'amélioration du pouvoir d'achat des consommateurs, mesures qui se traduisent en demande additionnelle de biens et de services, donc en un supplément d'activité pour les entreprises.
Techniquement, cette politique consiste à baisser la fiscalité directe sur les ménages, à relever les salaires des fonctionnaires et à augmenter le smic, sachant que toute hausse du smic induit une hausse générale des bas et moyens salaires.
Alternativement ou en complément, l'État peut choisir d'augmenter ses propres achats par le biais des commandes publiques, ciblées sur certains secteurs-clés comme le bâtiment et la construction.
Cette politique, électoralement attractive et facile à mettre en oeuvre, présente l'inconvénient d'une moindre efficacité sur l'emploi que la précédente et entraîne surtout des effets secondaires négatifs.
Limites de la politique de la demande
La politique de la demande est moins efficace que la politique de l'offre car il y a des "fuites". L'aide financière aux "ménages" c'est-à-dire aux consommateurs ne parvient pas en totalité aux entreprises.
En d'autres termes, un euro d'aide ne se traduit pas par un euro de chiffre d'affaires supplémentaire pour les entreprises. Il faut en effet tenir compte de l'épargne et des achats de produits étrangers.
Plus de 50% de l’aide fournie finance des importations de produits de consommation. La raison est soit l'incapacité des entreprises à faire face rapidement à une augmentation de la demande, soit la préférence des consommateurs pour des produits qui ne sont pas ou plus fabriqués en France.
C'est le cas de nombreux produits électroniques, comme les ordinateurs et les téléphones ou l'équipement des foyers, c'est-à-dire la plupart des produits dits "noirs" ou "blancs".
Plus généralement, l'ensemble des produits dits "grand public", y compris dans le domaine du textile, est concerné par le phénomène du "low cost" qui s'applique aux produits certes de moindre qualité mais bien moins chers car fabriqués dans des pays à faibles coûts.
Relance « keynesienne »
Sur le plan historique, la politique de la demande, théorisée par Keynes dans les années 30, est à l'origine du New Deal de Roosevelt, une politique qui a permis le redressement économique des États-Unis après la grande crise. La politique de l'offre quant à elle repose sur les travaux d'économistes comme Say et Ricardo, et le meilleur exemple de son application se situe dans les années 1970 sous la présidence de Reagan. La relance dite keynésienne a encore ses adeptes aujourd'hui du fait de ses effets positifs pour la population. Il est toutefois reconnu que la mondialisation des échanges a considérablement réduit son efficacité économique.
3- Restaurer la compétitivité
En pratique l’État combine la politique de l’offre et la politique de la demande. Dépenser plus ou diminuer les recettes, aboutissent finalement au même résultat qui est d’augmenter le déficit donc la dette publique. Pour atténuer l’effet boule de neige de la dette, l’État s’efforce parallèlement de diminuer quelque peu les autres dépenses.
L’idée implicite est que cette nouvelle augmentation de la dette se justifie par de nouvelles dépenses productives qui permettront ensuite un désendettement plus rapide.
C'est oublier les multiples contraintes pesant sur ces choix: la charge croissante des intérêts de la dette, l'incertitude sur le comportement des marchés et l'engagement français dans la construction européenne.
Les emplois publics sont une solution temporaire, socialement bienvenue en période de chômage intense et leur avantage est dans la rapidité de mise en place. C'est une caractéristique d'importance car la reprise des investissements donc de l'emploi dans les entreprises après une période de récession est un processus lent.
Ce processus ne peut être vertueux que s’il est ciblé prioritairement sur la restauration de la compétitivité des entreprises. Préserver, encourager, les capacités d’investissement des entreprises reste pour cela au coeur de la politique à moyen et long terme de l'État.
Chapitre 10 – « En quittant l'euro, la France retrouverait sa souveraineté »
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1- Mythe et réalité de la dévaluation
L'opinion est sans mémoire. On a l'impression que l'euro, né en janvier 1999, a toujours existé. La longue période d'une trentaine d'années qui a précédé, marquée par des dévaluations répétées et humiliantes, est déjà lointaine dans les esprits.
La France dévaluait souvent sa monnaie et l'opération se faisait dans la douleur.
Le problème de base était le déficit du commerce extérieur. La France importait plus qu'elle n'exportait. La difficulté d'exporter était la conséquence des prix élevés, eux-mêmes conséquences d'une forte inflation intérieure. Concrètement, la dévaluation n'était pas décidée tranquillement, mais imposée par de violentes attaques du franc sur les marchés. Ceux qui avaient des francs les vendaient à tout prix contre des devises plus solides. La Banque de France puisait dans ses réserves de devises pour acheter les francs sur les marchés de manière à freiner la chute du cours, mais en vain. A chaque fois, ce scénario se terminait par une capitulation.
Après la dévaluation, les produits français devenaient momentanément attractifs à l'exportation, mais dans le même temps, les importations étaient plus chères, surtout le pétrole dont le pays avait grand besoin. La hausse des prix des produits importés grignotait peu à peu l'avantage initial de la dévaluation, de sorte qu'une nouvelle dévaluation devenait nécessaire sur les marchés extérieurs quelques mois ou années après pour corriger le déficit extérieur.
2- La force de l’euro face à la mondialisation
La force de l'euro s'exprime à l'international, où il s'est établi en concurrent sérieux du dollar. Elle s'exprime aussi à l'intérieur, dans son rôle protecteur. Avant l'euro, comme indiqué, l'instabilité chronique du franc était le résultat d'une forte inflation et du déséquilibre importations-exportations. L'inflation a disparu, mais les comptes extérieurs se sont dégradés, de sorte que l'on assisterait au retour à l'instabilité. Le franc subirait l'immense pression des marchés. On ne peut plus parler de dévaluation puisque, faute de réserves en devises, la Banque de France ne pourrait pas annoncer une parité et s'y tenir. L'érosion du franc aurait un effet immédiat sur la dette française souscrite en dehors de France, dont le remboursement pèserait de plus en plus lourd.
Plus grave encore, le retour au franc affaiblirait considérablement la position française sur la scène internationale, face aux grands blocs américains et asiatiques. Qu'on le veuille ou non, les rapports entre les blocs sont plus que jamais des rapports de force économiques et financiers. Se priver de l'euro signifierait un affaiblissement immédiat de la France vis-à-vis de ces blocs. La France n'a pas comme la Suisse, la Norvège ou même le Royaume-Uni des avantages comparatifs lui permettant de tirer son épingle du jeu en dehors de l'euro. Ce que l’on sait moins et que le Brexit a révélé, c’est que ces pays ont tous négocié des accords particuliers avec l’Europe, pour profiter de sa force et faire meilleure figure dans les discussions internationales.
L'euro est une notion difficile à saisir. Élément banal de la vie quotidienne d'un côté et entité abstraite de l'autre. Ce côté abstrait découle de la notion de confiance qui accompagne toute monnaie. Un élément subjectif, perçu différemment selon que l'on est dans ou en dehors de la zone concernée. Aujourd'hui, les européens utilisent l'euro comme ils utilisaient leur monnaie nationale, sans y penser vraiment. Ils n'ont pas conscience du progrès qu'il a représenté et du chaos qui suivrait sa disparition.
Le passage à l'euro a complètement changé la donne. Géré de façon remarquable par la Banque Centrale Européenne, la devise européenne a conquis en un temps record, contre tous les pronostics, la place enviée de deuxième monnaie de réserve mondiale, après le dollar.
Cela signifie que ceux qui ont des réserves (pays du Golfe, Chine, entreprises mondiales) ont suffisamment confiance dans la force et la stabilité de l'euro pour placer dans cette devise une partie importante de leurs avoirs. Ce n'est pas qu'une une affaire de monnaie, mais, à travers la confiance dans la monnaie, la perception de la vraie puissance économique de l'Europe.
Grâce à l'euro, des pays plus ou moins forts isolément sur le plan économique, mais suffisamment complémentaires ont su constituer un ensemble unifié puissant.
Globalement le commerce extérieur des pays de la zone euro est excédentaire, ce qui veut dire que l'Europe n'a aucun problème de ressources en devise autre que l'euro pour honorer ses engagements, au contraire. La bonne santé globale de l'ensemble a même été à l'origine d'une hausse de l'euro par rapport au dollar, même si d'autres facteurs, comme les taux d'intérêts ont joué un rôle.
La France a bien évidemment profité de ce formidable bouclier protecteur. Son déficit extérieur ne pèse pas sur les comptes de l’Europe, et n'entame pas le crédit extérieur de l'euro car il est compensé par les excédents des autres pays de la zone. Sans l'euro, notre pays aurait été affaibli.
Il faut mettre au crédit de la BCE le succès indiscutable et la crédibilité de l'euro.
Le grand public ne se rend pas compte de l’avantage de l’euro
En dehors du tourisme et des problèmes de transfert d'argent au sein de la zone euro, la monnaie n'a pas changé de manière visible la vie de tous les jours des Français.
Pour les entreprises en revanche le changement a été considérable, et en premier lieu pour celles qui commercent avec les pays de la zone euro. Le coût du change a été éliminé, de même que le risque de change. Exporter ou importer vers ou depuis la zone euro est devenu aussi simple que vendre ou acheter sur le territoire national.
Les transactions commerciales en dehors de la zone euro ont également été facilitées par la relativité stabilité du taux de change de l'euro vis-à-vis des autres devises. Dit autrement, le risque de change est toujours présent mais dans des proportions fortement diminuées.
Sortie de l’euro : les risques
La protection que nous apporte l'euro pourrait disparaître du jour au lendemain en cas de retour au franc.
Ce retour est présenté comme la solution d'un problème réel, la différence de productivité entre la France et l'Allemagne. Le retour au franc nous laisserait libres de corriger cette différence par le "jeu" de la dévaluation.
Ce serait la très mauvaise solution d'un vrai problème, une utopie dangereuse par sa simplicité et donc par son attrait possible dans l'opinion.
Il faut imaginer le chaos que provoquerait le scénario de la sortie de l'euro. Les problèmes du déficit extérieur et de l'endettement français surgiraient alors au premier plan, provoquant une spéculation immédiate et la dévaluation continue du franc sur les marchés, par rapport au dollar, au Yen et ... à l'euro, avec toutes ses conséquences économiques et sociales.
Un chaos inéluctable
Pour le comprendre, il faut partir de la réalité concrète. De nombreux acteurs de l'économie ont chaque jour besoin de se procurer des devises pour payer des importations, pour effectuer des remboursements de crédits accordés par des prêteurs situés hors de France, pour investir à l'étranger, acheter des actions, etc ...
Les emprunteurs sont des entreprises privées ou publiques, et l'État lui-même. Ceux qui prêtent, les créanciers donc, sont des banques, s'il s'agit de crédits, et plus généralement tous ceux qui détiennent hors de France des obligations émises par des emprunteurs français.
Avec l'euro, pas de problème, puisque d'une part une grosse partie du commerce extérieur concerne les pays de la zone euro et pour le reste, les paiements en devises sont faciles à effectuer, sachant que la valeur de l'euro dans le temps est stable et en tout cas prévisible.
Sans l'euro, tout change, car alors ce n'est plus une partie des importations, mais la totalité qui devrait être réglée en devises et malheureusement, la France importe plus qu'elle n'exporte. Et c'est de même l'ensemble de la dette de l'État et du secteur privé placée hors de France qui devrait être remboursée en devises.
Il s'ajouterait à cela un facteur aggravant. Les détenteurs de francs en France, anticipant l'affaiblissement de la monnaie, se dépêcheraient de les échanger contre des devises fortes, et ceux qui reçoivent des paiements en devises ne les convertiraient pas en francs. Sans compter la spéculation des marchés anticipant eux aussi la baisse du franc. Comme on sait, le prix sur un marché résulte autant du rapport entre l'offre et la demande que de l'anticipation de ce rapport.
Pour "tenir" la parité décrétée par la puissance publique après une sortie de l'euro, il faudrait que la Banque de France soit prête à vendre au cours fixé les devises nécessaires pour couvrir tous ces besoins. Les réserves françaises seraient balayées en quelques heures, avec ou sans contrôle des changes.
L'époque où un pays pouvait se "murer" et décréter unilatéralement un taux de change est révolue car les montants en jeu sur le marché sont des multiples de ce qu'ils étaient il y a trente ans.
La dimension du chaos serait en proportion directe de l'importance des liens économiques et financiers que la France a tissés partout du fait de la mondialisation. Des liens d'interdépendance sans comparaison avec ce qu'ils étaient dans les années 1970-1980.
Les problèmes monétaires seraient rapidement transportés au niveau de l'économie. Les prix en francs des importations monteraient au fil de l'érosion du franc, l'inflation exploserait.
L'avantage de prix sur les marchés extérieurs consécutif à la dévaluation du franc serait illusoire pour une raison simple, la part de produits importés dans nos exportations, autrefois négligeable, atteint aujourd'hui 50%.
Et surtout, la bonne vieille règle enseignée en économie selon laquelle les ventes augmentent lorsque les prix diminuent a perdu et perd chaque jour de sa vérité. D’autres facteurs jouent un rôle tout aussi important, comme la mode, la qualité ou la perception de la qualité en fonction du prix.
Le problème de la dette extérieure
La dette privée en cours, libellée en euros augmenterait au fil des dévaluations. La faillite menacerait les banques car les banques françaises ont des liens étroits avec leurs homologues de la zone euro et par ailleurs toutes ont émis des obligations dans et en dehors de la zone euro.
La dette publique de la France représente l'équivalent du PIB, soit un peu plus de 2000 milliards d'euros. La moitié de cette dette, soit 1000 milliards est portée par des prêteurs étrangers.
Pour rassurer ces prêteurs, et pouvoir obtenir de nouveaux prêts, il faudrait alors que la France s'engage à maintenir ses engagements existants en euro. La conséquence serait du jour au lendemain une augmentation de la dette en cours dans la même proportion que la dévaluation du franc nouvellement créé. La charge d'intérêts deviendrait insoutenable car le taux des nouveaux emprunts monterait en flèche.
Pour les particuliers et les entreprises, le marché des changes serait encadré. Les banques seraient nationalisées. Seuls des taux d'intérêt astronomiques permettraient d'attirer de nouveaux prêteurs, pour rembourser la dette encours
En fait, dans la réalité, la simple évocation de ce scénario-catastrophe dans un contexte d'élections suffirait à provoquer la hausse immédiate des taux d'endettement français et la fuite des capitaux. Les marchés, comme cela a été dit, anticipent.
L'exemple de la Suisse au premier trimestre 2016 montre bien. Ce pays n'a pas voulu suivre le mouvement de baisse de l'euro face au dollar. Mais voyant ses réserves en devises baisser de façon vertigineuse, la Banque Centrale Suisse a été contrainte d'abandonner en quelques jours sa politique de taux de change fixe entre le franc suisse et les autres devises.
La France libre d'imposer sa monnaie aux créanciers extérieurs ?
Les partisans de la sortie de l'euro ne se contentent pas de plaider le retour à la souveraineté monétaire de la France et notamment la liberté de dévaluer. Il est aussi question d'une disposition du droit français autorisant l'État à convertir sa dette dans la monnaie nationale.
L'argument, pour juste qu’il soit en droit français, aurait un effet psychologique désastreux sur les marchés. Il serait suicidaire d'imposer aux prêteurs étrangers une telle disposition, même juridiquement fondée. Le rapport de forces est évidemment du côté des prêteurs. Les chances de trouver de nouveaux prêteurs seraient nulles si la France appliquait cette disposition.
Pour un prêteur étranger, accepter des remboursements en francs serait prendre le risque de voir se dégrader la valeur des futurs remboursements.
Opposer cette disposition aux prêteurs étrangers serait le meilleur moyen de provoquer leur fuite et donc de mettre la France en situation de défaut généralisé vis-à-vis de ses créanciers.
Or la continuité des prêts est essentielle pour la France, du fait qu'une grande partie des nouveaux prêts sert à rembourser ceux qui sont venus à échéance.
3- Les challenges d’une monnaie unique : la théorie de Mundell
Robert Mundell, prix Nobel d'Économie, a étudié la problématique de la monnaie unique. Observant la manière dont le dollar s'était imposé comme monnaie des États-Unis, il en a déduit les conditions nécessaires du succès d'une monnaie unique et défini les "Zones Monétaires Optimales".
Selon cette théorie, la correction des différences de productivité entre les pays qui ont adopté une monnaie unique repose sur deux conditions essentielles, la mobilité de la main d'oeuvre et surtout la centralisation budgétaire.
La mobilité permet aux habitants des régions (pays) défavorisés de trouver ailleurs un emploi. Le temps que l'autorité fédérale soit à même d'investir dans ces régions en retard de productivité. Sur ces deux points l'Europe souffre de handicap, la mobilité étant freinée par la barrière des langues et l'Europe n'ayant pas de réel pouvoir budgétaire. Il faut noter qu'une certaine mobilité existe néanmoins au sein de l'Europe et que l'absence d'un pouvoir budgétaire n'a pas empêché les transferts financiers annuels de centaines de milliards d'euros pour aider de nombreux pays - Espagne, Portugal, Grèce, pays de l'Est - à se moderniser.
Le renforcement du pouvoir budgétaire de l'Europe suppose l'unanimité des États membres de la zone euro. Les jeunes États américains ont rapidement accepté le transfert du pouvoir budgétaire à l'État fédéral, dans le cadre de la création du dollar. Il est certain que le processus sera plus difficile en Europe, où la force des traditions est naturellement plus importante.
La symbolique de État souverain pèse dans les esprits et peut fausser la lecture des faits. Il faut admettre que la petite "Grande France" est plus forte dans son alliance européenne. Dans le jeu des blocs, où face aux rapports de force grandissants.
Robert Mundell a d'abord fustigé l'euro au nom de de ses défauts de construction. Plus récemment il a reconnu que la déconstruction de l'euro apporterait plus de problèmes qu'elle n'en résoudrait. Il continue de plaider pour la centralisation budgétaire, un objectif que les opinions européennes ne sont pas encore disposées à accepter.
Chapitre 11 - "La titrisation et Wall Street ont créé la crise des subprimes »
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1- Le circuit des subprimes
La crise des subprimes résulte de la pollution généralisée de circuits financiers sophistiqués façonnés par des banques d'affaires américaines et par deux agences étatiques chargées dès l’origine de faciliter le financement du crédit immobilier. Ces circuits reliaient d'un côté des banques de particuliers et de l'autre des investisseurs internationaux (banques européennes, fonds de pension, fonds souverains, etc...).
Des crédits - principalement immobiliers - distribués par les banques de particuliers ont été "vendus" aux investisseurs sous forme d'obligations. Le mélange en proportions variables de ces crédits a permis de créer des obligations sur-mesure, offrant différentes combinaisons de taux d'intérêt et de risque. Leur succès auprès des investisseurs a été considérable.
Dit d'une autre façon: l'argent des investisseurs qui achetaient les obligations élaborées par ces banques d'affaires a été utilisé à l'autre bout de la chaîne pour faire des prêts à des particuliers américains acquéreurs de logements.
Beaucoup de ces emprunteurs - appelés emprunteurs "subprimes" - n'avaient pas la capacité de rembourser, mais ils payaient des taux d'intérêt élevés et la valeur sans cesse croissante de l'immobilier, donc des garanties données aux prêteurs, a rassuré les investisseurs… tant que les prix de l’immobilier montaient.
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L'effondrement brutal du marché immobilier a déclenché la crise, c'est-à-dire la perte de valeur de toutes les obligations car il y avait un doute sur la présence et la proportion des crédits subprimes présents dans les paquets de crédits auxquelles ils étaient adossés..... il y en avait pour plus de 10 000 milliards de dollars!
Mécanisme et schéma
Le chemin d'explication du mécanisme des subprimes traverse de nombreux paysages "techniques": comment passer d'un crédit ponctuel à une obligation, quelles étaient les étapes intermédiaires, comment fonctionnent la régulation et le contrôle américain, quelle était l'analyse des risques des investisseurs etc ...
Au départ, un emprunteur américain obtient un crédit immobilier d'une banque. Cet emprunteur s'est adressé à la banque directement ou par l'intermédiaire d'un courtier, lui-même en relation avec plusieurs banques. Le crédit est inscrit à l'actif du bilan de la banque. Le contrat de crédit fonde la créance du prêteur sur l'emprunteur.
Quelque temps après, on retrouve cette créance à l'autre bout de la planète, "noyée" dans une obligation achetée par un investisseur, fonds d'investissement, fonds souverain ou banque. Entre l'emprunteur américain et l'investisseur en Europe ou en Asie, que s'est-il passé? La réponse est: une cascade de transformations.
Dans le schéma ci-dessous Fanny Mae est le nom de l’agence publique qui a joué un rôle capital dans la crise et qui est décrite plus loin dans ce module.
A noter aussi que les obligations correspondant aux crédits immobiliers s’appellent des MBS (Mortgage Based Security). Mortgage, qui veut dire hypothèque, est le mot utilisé pour désigner un crédit immobilier. Security veut dire titre, au sens de titre négociable, mot générique désignant, entre autres, les obligations. Les ABS sont des Assets Based Security, c’est-à-dire des titre adossés à des actifs autres que des crédits immobiliers (crédits « automobile » par exemple).
Quant à CDO, il désigne des obligations garanties (Collateralized Debt Obligation).
Les acronymes MBS, ABS, CDO, CDO² désignent donc tous, en fait, des "obligations". Le schéma ci-dessus peut être simplifié. Ecrits
Ce schéma simplifié montre que le circuit des subprimes n'est rien d'autre qu'un circuit de transformation de crédits bancaires en obligations, lesquelles ont été ensuite retraitées pour être finalement vendues à des investisseurs.
Pourquoi investir dans des crédits bancaires
L'idée de base était simple: elle est venue du constat que les "investisseurs" voulaient de plus en plus investir leur argent dans des produits "sur mesure". Sur mesure en termes de risque et de rendement.
Pour les banques d'affaires, toujours soucieuses de proposer à leurs clients les placements combinant rentabilité élevée et faible risque, l'investissement dans les crédits bancaires présentait de réelles possibilités de répondre à cette demande de "sur-mesure".
L'intérêt porté aux crédits bancaires des particuliers comme produits d'investissement peut surprendre.
Cela s'explique principalement par le fait que ces crédits bancaires aux particuliers ont des rendements relativement élevés et que par une méthode simple, on peut réduire leur risque global en les regroupant.
On peut comprendre intuitivement en effet qu'il est moins risqué de prêter 100.000€ à dix emprunteurs plutôt que de prêter l'équivalent, soit 1 million d'euros, à une seul emprunteur. La probabilité de défaillance simultanée des dix emprunteurs est plus faible que celle d'un seul. Et en plus, pour le prêteur, le risque de perte ne porte que sur une fraction du capital investi.
C'est peut-être plus compliqué à gérer, mais l'avantage est double: moins de risque et moins de pertes possibles.
Le problème qui se pose alors est : comment faire? Un crédit est un contrat, un crédit comporte des garanties et des documents juridiques, ce qu'on appelle la documentation. En fait un crédit n'est pas conçu pour changer facilement de prêteur. La solution est la transformation des crédits en obligations.
Les obligations sont des titres, dont la caractéristique principale est la facilité d'échange. Ce point est détaillé dans les "notions de base".
Pour faire cette transformation, il est nécessaire de créer une structure qui d'un côté va vendre des obligations à des investisseurs et de l'autre utiliser le produit de cette vente pour acheter les crédits à la banque.
Titrisation
La titrisation est un mécanisme permettant aux banques de sortir des paquets de crédits de leurs livres, et de les vendre avec un bénéfice.
Ce transfert est sans impact pour les emprunteurs, qui restent liés par leur contrat de crédit initial. Pour la banque, en revanche, tout change. N'étant plus partie de ces contrats, elle n'est plus engagée, n'en supporte plus les risques et peut utiliser à sa guise le produit de la vente pour se désendetter ou ... faire de nouveaux crédits, qu'elle revendra.
Les crédits "titrisés" de différentes origines (crédit immobilier, crédit automobiles, etc ..) sont regroupés et revendus à des structures d'accueil. Celles-ci émettent des obligations proposées à des investisseurs. Le produit de la vente des obligations permet de payer les crédits titrisés.
Ces structures d'accueil sont des sociétés existantes dont c'est le métier (par exemple Fanny Mae aux Etats-Unis) et des sociétés d'investissement créées pour l'occasion, appelées des SIC (Special Investment Company) ou des SIV (Special Investment Vehicle). Des sociétés très légères, sans personnel ni locaux physiques. La formule de la SIV correspond dans son principe à la notion française de Fonds Commun de Créances.
Cette SIV émet des obligations qu'elle vend à des investisseurs avec la promesse d'un bon rendement. Les investisseurs ont confiance car l' "arrangeur" est presque toujours une banque de Wall Street, connue pour sa compétence.
2- Wall Street et les outils de la finance internationale
Des millions d'obligations MBS issues de la titrisation de crédits immobiliers et des obligations ABS ont été acquises par des investisseurs privés ou institutionnels, comme des fonds ou des banques.
Plutôt que de garder les titres issus de diverses opérations de titrisation dans leurs bilans, certains de ces fonds ou de ces banques ont continué le processus de transformation, en mélangeant les titres.
Les CDOs
Des obligations d'origines différentes ont ainsi été logées à leur tour dans de nouvelles structures indépendantes SIV donnant lieu à de nouvelles émissions de titres. Le processus s'est répété en cascade. Le but recherché était la création de produits financiers « sur mesure » construits en fonction de différentes stratégies d'investissement.
Ces produits sont les CDO - acronyme de Collateralized Debt Obligation - ce qu'on peut traduire par obligation garantie par des dettes. Ce sont des titres adossés à des actifs hétérogènes, mélanges de titres MBS et ABS. C'est la différence principale avec les titres ABS, adossés, eux, à des paquets de crédits homogènes.
On peut vraiment parler de sur-mesure à propos de ces produits. Leurs concepteurs jouent sur la composition du portefeuille auquel les CDO sont adossés de manière à obtenir un certain profil de risque et de rémunération.
Ces titres CDO créés par certaines banques d'affaires ont connu un grand succès auprès des investisseurs attirés par la variété des produits obtenus. Il existe même des CDO de CDO, les CDO²! Le volume global des titres a dépassé la dizaine de milliers de milliards de dollars.
Un succès qui est largement dû au développement du crédit immobiliers, encouragé par une politique globale de crédit facile et de bas taux d'intérêts.
Profitant de ce crédit facile, certains – banques commerciales, banques d’affaires, hedge funds, fonds de pension, sociétés d’assurance etc ... ont réalisé des gains importants en empruntant à bas taux pour acheter des titres à haut rendement. Les institutions qui ont «arrangé» les SIC – banques d’affaires ou hedge funds - ont gagné beaucoup d’argent sous forme de commissions proportionnelles aux montants.
Agences de notation
Contrairement à une opinion répandue, les aarrangeurs et les acheteurs d’ABS, MBS et CDO et CDO² n’étaient pas indifférents aux risques attachés à ces titres. Toutes les émissions des SIV faisaient en effet l’objet de notations rigoureuses, établies par les grandes agences de notation reconnues au plan international, comme Standard & Poor, Fitch ou Moody's.
On conçoit pour ces agences l’ampleur et la difficulté de la tâche, s’agissant de titres émis par des milliers de SIC, dont il a fallu analyser les actifs. Ces actifs étant composés de « mille-feuilles » de titres d’origines diverses, les agences ont mis au point des outils d’analyse spécifiques et notamment des outils statistiques permettant la modélisation des risques composites complexes.
Ce travail d’évaluation et de notation est fondamental. Le concept de notation d’un titre va de pair avec sa rémunération. La notation permet aux investisseurs des choix de profils risque-rémunération sur-mesure. Pour les banques, la notation des actifs gardés au bilan a une incidence directe sur leur pondération au regard des ratios de solvabilité qu’elles doivent respecter.
Tranches
Les banques d'affaires et les fonds à l'origine des SIV ont imaginé un système astucieux pour créer des obligations plus ou moins risquées que les obligations auxquelles elles étaient adossées, ce qui à première vue peut paraître impossible.
Dans ce système, les obligations nouvellement créées sont regroupées en trois tranches de risque décroissant: senior, mezzanine, equity.
Le principe appliqué pour la création de ces tranches était d'une extrême simplicité: chaque remboursement en capital d'un emprunteur était affecté en priorité à la tranche la plus haute, la tranche equity, puis en cascade à la tranche suivante, la tranche mezzanine, et enfin à la dernière, la tranche equity .... s'il restait quelque chose.
Un mécanisme que l'on peut représenter de manière imagée, par un alignement en cascade de bassins qui se remplissent consécutivement, dès lors que le bassin précédent est plein.
Ce mécanisme vaut pour les remboursements en capital uniquement.
Pour les intérêts, c'est l'inverse pourrait-on dire. La masse globale des intérêts ne change pas, mais leur allocation se fait selon le principe des intérêts proportionnels au risque.
En conséquence, les obligations de la tranche senior sont porteuses d'un taux intérêts inférieur au taux moyen des crédits titrisés. Et inversement, un taux plus élevé que ce taux moyen est alloué aux obligations de la tranche la plus risquée, la tranche equity. Quant à la tranche mezzanine, elle bénéficie du taux moyen ou proche du taux moyen. C'est bien-sûr l'arrangeur qui fixe la règle de répartition.
C'est ainsi qu'une tranche senior peut se voir attribuer une notation AAA par une agence de notation, alors que la notation moyenne des obligations auxquelles cette tranche est adossée n'a qu'une notation AA, voire A.
Les CDS
Le mécanisme des tranches permet de créer des titres d’une qualité supérieure à la qualité moyenne des titres auxquels ils sont adossés, mais dans des limites de volume qui dépendent de la qualité des actifs. Il a donc été nécessaire d’améliorer cette qualité.
Le principe a été le transfert partiel du risque de l’actif sur des tiers, selon un mécanisme d’assurance. Deux méthodes de couverture des risques ont été utilisées, la souscription d’une assurance proprement dite auprès d’une monoliner, société d’assurance spécialisée, ou l’achat de produits beaucoup plus simples d’emploi, les CDS Credit Default Swaps.
Les CDS sont des contrats de couverture des risques de défaut des crédits en portefeuille. Le principe de fonctionnement est le suivant : l'acheteur de swap paie une prime périodique fixée d'avance et, en contrepartie, le vendeur de swap paie l'encours du crédit en cas de sinistre.
L’émetteur du swap peut être une banque, un fonds, une société d’assurances, bref n’importe quelle entité ayant un bon rating. Les CDS sont des titres négociables, donc susceptibles de circuler de mains en mains. Les échanges se font de gré à gré, c'est-à-dire en dehors d'un marché organisé. On sort complètement des contraintes du métier d’assurance.
Le succès des CDS a été phénoménal. Leur vocation initiale de couverture des crédits titrisés a été dépassée. Les investisseurs ont utilisés les CDS pour spéculer massivement sur les faillites d'entreprises. Le volume global des CDS a été estimé à plusieurs dizaines de milliers de milliards de dollars. Il est clair que l'absence de contrôle de ce marché gigantesque, sans être la cause de la crise des subprimes en a été a été un facteur aggravant. Certains émetteurs de CDS n'ont pas pu faire face à leurs obligations au titre de ces contrats, soit parce qu'ils étaient par ailleurs fragilisés par leurs propres investissements à risques, soit du fait de l'énormité des sommes dues, comme cela a été le cas de l'assureur américain AIG.
Sortant du contexte de la crise, il faut souligner la dimension novatrice des CDS et de la titrisation. Ces mécanismes ont transformé les activités d'assurance et de crédit, en leur conférant une fluidité nouvelle. Dans la banque ou l'assurance « classiques » en effet le crédit et le contrat d'assurance souscrits restent dans les livres de l'émetteur preneur de risque. Les CDS et la titrisation permettent la sortie d'un système statique.
Au crédit correspondent les titres ABS (et leurs dérivés, les CDO). A l'assurance correspondent les titres CDS. Les prêteurs et les assureurs disposent d'un outil de gestion fine de leur portefeuille de risque.
3- La crise des subprimes : les vraies causes
Le schéma présenté en introduction a montré les différentes étapes de transformation et de transport des crédits. Transformés initialement en titres MBS ou ABS, ces crédits ont été ensuite dilués avec d'autres crédits et d'autres titres pour donner de nouveaux titres (CDOs), et le processus s'est répété. La dilution en cascade a produit finalement des titres dont le contenu exact était difficile à retracer. Cette opacité a été longtemps sans dommage dans la mesure où chaque titre intermédiaire faisait l'objet d'une notation de la part des grandes agences. L'acheteur des titres connaissait par conséquent le niveau de risque de son investissement. Cette « tuyauterie » bénéficiait d'un label de qualité explicite, la notation.
Le problème a commencé lorsque le marché de l'immobilier s'est retourné et que les défaillances de crédits immobiliers se sont multipliées.
Trois facteurs principaux expliquent l’intensité du choc et sa vitesse de propagation sur le système financier :
1 Les agences Fanny Mae et Freddy Mac, les émetteurs les plus importants des titres MBS, semblent avoir tardé à faire part de leurs difficultés.
2 Les agences de notation ont corrigé tardivement et brutalement leur système de notation
3 Certains mécanismes comptables ont amplifié les dysfonctionnements financiers
Facteur déclencheur : le retournement du marché immobilier
L'augmentation subite des défauts de crédits est due à l'explosion de la bulle de l'immobilier. Cette bulle avait pour origine l’excès de la demande de logements sur l'offre, une situation entretenue durablement par une politique de crédit facile et pas cher.
Deux facteurs ont contribué au retournement du marché, c'est -à-dire au point où la demande devient inférieure à l'offre. Les promoteurs, en inondant le marché de constructions nouvelles ont fini par créer un trop plein de logements.
Un mécanisme infernal a joué: le prix des logements baissant, il arrive un moment ou le crédit accordé par la banque n'est plus couvert par la valeur du bien. La banque, insuffisamment garantie, peut alors exiger le remboursement du solde restant dû.
L'emprunteur ne pouvant s'exécuter, son logement est saisi puis vendu. La banque devient propriétaire de dizaines, de centaines de logements qu'elle cherche à revendre, et brade souvent. Les prix baissent encore plus, de nouveaux crédits deviennent défaillants, et ainsi de suite. Ce phénomène a touché en premier les crédits « subprimes », les plus fragiles.
Premier facteur aggravant : le problème de la notation
Les agences de notation ont été accusées de tous les maux, et y compris de collusion avec les groupes qu’elles étaient chargées d’évaluer, ce qui parait difficile à concevoir. Selon une étude de la Banque de France, le problème serait surtout celui d’un défaut de la modélisation.
La mesure du risque d’un paquet hétérogène de titres adossés à des crédits reposait en effet sur l’analyse statistique des risques de défaillance dans chaque catégorie de crédits, crédit immobilier, crédit automobile, ou crédit de consommation (cartes de crédit). Le risque global était pondéré en fonction du poids respectif de ces catégories au sein de l’ensemble. Le système était affiné par la prise en compte des corrélations de risques entre les secteurs économiques des emprunteurs. Pour nourrir ces analyses, des listes de données réelles des vingt ou trente dernières années étaient passées au crible et actualisées en permanence.
Les modèles mis au point ont bien fonctionné tant que les fluctuations des risques se situaient dans un certain intervalle. Le problème est que les données récentes n’étaient considérées que de façon atténuée dans les calculs de risques « moyens ». En d’autres termes, les modèles n’étaient pas construits pour intégrer rapidement dans la mesure du risque un « pic » subit de défaillances. Lorsque les agences de notation ont réagi, des milliers de titres avaient été notés à tort positivement. Ainsi sont apparus les titres toxiques, dont le volume exact et surtout la localisation devenait impossible à retracer.
Deuxième Facteur aggravant, le « mark to market »
La panique bancaire s'est amplifiée sous l'effet d'une disposition de la réglementation comptable selon laquelle le bilan doit indiquer la valeur de marché des titres détenus. Il y avait longtemps que les autorités réglementaires de la plupart des pays s'étaient entendus pour supprimer la méthode ancienne consistant à valoriser un actif par sa valeur historique d'acquisition.
La nouvelle règle reposait sur le bon sens puisqu'elle tendait à une valorisation proche de la réalité. Ses conséquences ont été malheureusement catastrophiques lorsque la crise a éclaté et que la nouvelle des MBS toxiques disséminés partout a été connue. Impossible en effet de se référer à une « valeur de marché » des titres en portefeuille, puisqu'il n'y avait plus de marché. Les rares transactions effectuées dans le cadre d'opérations de sauvetage affichaient des prix ne représentant qu'une fraction de la valeur faciale des titres.
Les banques ont été contraintes de déprécier leurs actifs à l'aveugle en estimant elles-mêmes les valeurs de marché du moment. Des pertes énormes sont apparues, des pertes comptables sans sortie de cash puisque les banques ne vendaient pas leurs titres, et pour cause. Mais des pertes quand même, diminuant d'autant les fonds propres des établissements concernés et créant une situation de fragilité extrême.
Crise de liquidité des banques
La crise a entraîné une conséquence « collatérale » désastreuse, la perte de confiance mutuelle et l'assèchement du marché interbancaire. En clair les banques ne se prêtaient plus entre elles car elles ne pouvaient plus mesurer ce qu'on appelle le risque de contrepartie. La non-connaissance du risque est pire que la confrontation à un risque élevé.
Or le marché interbancaire est le poumon du système bancaire. Les banques se prêtent mutuellement chaque jour des milliards d'Euros sur la base de garanties formelles réduites au minimum de manière à simplifier les transactions. Le moindre doute mutuel de solvabilité réduit les échanges à zéro. C'est ce qui s'est passé. Dans la foulée, les Banques Centrales sont intervenues en prêtant de manière bilatérale à chaque institut demandeur.
Crise économique
La paralysie du système bancaire à peine évitée, une nouvelle phase de la crise a commencé à se développer. L’activité économique mondiale est entrée lentement et inéluctablement en récession.
La première raison a été la diminution de la capacité des banques à prêter. Faute de crédits, les entreprises ont bloqué leurs investissements. L’activité inter-entreprises a chuté. La deuxième raison est la perte de confiance des ménages. La consommation, moteur de la croissance dans de nombreux pays et notamment aux Etats-Unis, s’est écroulée.
La spirale des enchaînements négatifs a pris de l’ampleur, la baisse de consommation a entraîné la baisse de l’activité industrielle, donc les craintes de chômage, donc une nouvelle baisse de la consommation, et ainsi de suite. Les banques, à peine remises des problèmes des actifs toxiques ont du se préparer à de nouvelles dépréciations de leurs propres crédits accordés à leur client de moins en moins capables d’honorer leurs engagements.
La responsabilité du Ministère du Logement américain
Le monde entier a cru que les obligations issues des crédits subprimes titrisés bénéficiaient de la garantie publique, ce qui en réalité n'était pas tout-à-fait le cas.
La crise pose DEUX QUESTIONS fondamentales:
1-Pourquoi les banques américaines ont-elles accordé des crédits à des clients sans ressources avec de surcroît le risque prévisible de retournement du marché immobilier ?
2-Comment ces crédits douteux ont-ils pénétré les circuits de la titrisation, en d’autres termes, pourquoiles acheteurs acceptaient-ils d’acheter des crédits à haut risque ?
La réponse à la première question se trouve dans une loi américaine, la Community Reinvestment Act, incitant les banques à distribuer une partie de leurs crédits immobiliers aux populations défavorisées de certaines zones, les obligeant ainsi à dégrader leurs critères d’acceptation. Cette loi, vieille d'une trentaine d'années a été amendée en 2005-2006. L'incitation donnée aux banques a été transformée en contrainte assortie de sanctions.
La titrisation de ces crédits douteux, quant à elle, a été massivement le fait d’un organisme public créé en 1938, la Government National Mortgage Association, plus communément connue sous le nom de Fanny Mae. Un organisme placé sous l’autorité du Ministre du Logement, dont le siège est à Washington. En 2008, Fanny Mae - et son alter ego Freddy Mac- garantissaient près de la moitié des crédits immobiliers subprimes (2 000 milliards de dollars! ) titrisés aux Etats-Unis, donc avec la garantie implicite de l’Etat.
Un mélange explosif était dès lors constitué, par la combinaison d’un haut rendement, celui des crédits subprimes et d’un risque zéro du fait de la garantie publique.
On imagine la ruée vers l’or des banques d’affaires et des hedge funds sur ces produits titrisés. ajoutés en mille-feuille à des crédits plus classiques, ils permettaient de doper le rendement global des obligations proposées aux investisseurs américains, européens, chinois ou russes.
Lorsque le marché immobilier s'est retourné, les choses se sont gâtées. Les crédits subprimes intégrés dans les mille-feuilles adossés aux obligations sont peu à peu devenus défaillants et la valeur des biens immobiliers correspondant à ces crédits est peu à peu passée sous la valeur d'origine. Dès lors il était impossible de savoir ce que valaient exactement ces obligations, d'autant plus que les investisseurs ignoraient la part de crédits subprimes entrant dans leur composition.
Fanny Mae et Freddy Mac ont vite été débordés par les appels à garantie.
En jouant du flou juridique sur le bien-fondé de cette garantie, le gouvernement américain a pu adopter une attitude sélective sur l'octroi de cette garantie. Les plus gros acheteurs de titres issus de crédits subprimes, les fonds souverains des pays du Golfe, russes et chinois, ont été les premiers à bénéficier de cette garantie. Pour des raisons politiques et financières, ces pays étant à l'époque les plus gros souscripteurs des titres de dette émis par le trésor américain.
Dès les premières hésitations, le mal était fait, tout le monde doutait de tout. La valeur des obligations s'est écroulée, car personne ne savait exactement quelle quantité de subprimes non-garantis était contenue dans les obligations émises par les banques d'affaires.
Il est malheureux de constater la règle classique selon laquelle les mauvais diagnostics font les mauvaises réformes. Il faut se rappeler qu'un commissaire européen a failli convaincre ses collègues de la création d'une Agence Européenne de Notation. Comme si le changement du thermomètre pouvait prémunir contre la maladie! D'autres réformes malheureuses ont vu le jour, comme la séparation des activités crédit et marché au sein des banques, ou la restriction des investissements de marché des compagnies d'assurance...
Les amendes infligées aux grandes banques
Les poursuites engagées par le DOJ, le Département de la Justice, ont permis au Gouvernement américain de récupérer des dizaines de milliards de dollars. C’est moins, beaucoup moins que ce que lui a coûté la mise en jeu de sa garantie lorsque la crise a éclaté. Mais l’importance des sommes donne à l’opération sa crédibilité politique, et c’est surtout cela qui a été recherché. Le citoyen américain a la preuve que les « grands » et en particulier les banques de Wall Street ou certaines grandes banques étrangères n’échappaient pas au couperet de la justice des États-Unis.
Une attitude qui n’était pas sans danger puisque la désignation de ces coupables –là allait dans le sens de la dialectique populiste, comme la suite l’a montré.
Techniquement, pourrait-on dire, l’arme utilisée par les juristes gouvernementaux est intéressante à observer. Lorsqu’un crédit est cédé en effet, cession d’une banque à une SIV ou d’une SIV à une autre, cette cession est sans recours, sauf si le contrat de cession présente un vice de forme.
La probabilité de tels défauts de forme parfois insignifiants touchant les milliers de contrats de cession, et des centaines de milliers de pages (en comptant les annexes), était à la fois très élevée et impossible à vérifier dossier par dossier.
Le DOJ a joué de cette disposition pour obliger les banques d’affaires à indemniser les détenteurs des titres … et surtout le garant, c’est-à-dire Gouvernement des États-Unis. Plutôt que d’engager des frais de procédure et de recherche contre l’adversaire redoutable qu’est la justice américaine, les grandes banques ont toutes accepter de transiger et de payer.
Chapitre 12 - « Les eurobonds permettraient d’éviter les crises »
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1- La mutualisation des dettes
Aujourd'hui lorsqu'un pays emprunte, il le fait en émettant des obligations à son nom, appelées en anglais des bonds. Cette appellation est générique. En France, on parle d'OAT - Obligations Assimilables du Trésor, aux Etats-Unis de Treasury Bills ou T-Bills, en Allemagne de Bund.
Principe des bonds
Pour un emprunteur, signer un contrat de prêt ou émettre une obligation revient au même sur le plan économique: dans l'un et l'autre cas il faut rembourser et payer des intérêts.
Pour le prêteur ou l'acheteur de l'obligation, le point de vue est le même. L’élément-clé est la confiance dans la capacité de l'emprunteur à remplir ses obligations. Mais il y a une différence capitale. L’acheteur de l’obligation peut la revendre à tout moment, tandis que le prêteur classique est "ligoté". Substituer un prêteur à un autre dans le cadre d’un contrat de crédit n’est pas impossible, mais c’est une démarche contraignante. Vendre une obligation permet d’atteindre le même résultat avec infiniment plus de souplesse.
Il existe un marché des obligations comme il existe un marché des actions. C’est parce qu’il est facile de revendre une obligation (ou une action) que ces produits attirent autant d’investisseurs Cet aspect des choses est la base de la notion de marché et de titre développée au début du livre.
Qu'est-ce qu'un eurobond
L’idée de simplifier le processus d’émission des bonds pays par pays était effectivement tentante. Les pays de la zone euro n'emprunteraient plus de manière dispersée comme c'est le cas aujourd'hui, mais à travers une seule entité emprunteuse et au nom de l'Europe.
Dans ce contexte, un eurobond est une obligation émise par l'Europe, c'est-à-dire par une institution financière européenne ou une Agence spécialisée agissant en son nom.
Le mot euro signifie que l'engagement de rembourser l'eurobond est porté par une entité représentative de l’ensemble des pays de la zone euro et non pas par un pays en particulier.
Point de vue des investisseurs
Les eurobonds n’existent pas pour le moment, mais il est certain que leur succès auprès des investisseurs serait garanti.
Un eurobond engage en effet solidairement l’ensemble des pays de la zone euro et non pas un pays particulier. En conséquence, le détenteur d’un eurobond est sûr d'être payé puisque l'Europe est solvable. Le débiteur n'est plus l'un des pays européens mais l'ensemble de ceux-ci.
Le risque de non-paiement d’un eurobond représente une moyenne des risques de chaque pays pris isolément. Ce risque moyen est supérieur au risque allemand, qui est le meilleur au niveau européen, mais inférieur au risque grec.
La rémunération du risque, c’est-à-dire le taux d’intérêt de l’eurobond est le reflet de cette hiérarchie des risques. L’eurobond offre une meilleure rémunération que le Bund allemand, mais moins qu’un placement en obligation grecque.
Point de vue des emprunteurs
Du coté des débiteurs, donc du côté des pays Européens, la situation est moins simple. Le principe de solidarité implique en effet qu’au cas où l'un des pays européens s’avère incapable rembourser sa part de l'eurobond, les autres doivent s'arranger entre eux pour payer à sa place.
Il s’ajoute à cela le problème des intérêts. Comme indiqué, les taux d'intérêts des dettes varient d'un pays à l'autre : les "bons" payent des taux faibles, les "moins bons" payent des taux plus élevés. Avec les eurobonds, les pays à taux élevés paieraient moins d'intérêts et inversement, le coût d'endettement des pays "vertueux" augmenterait.
La solidarité implicite que créée l’eurobond a donc pour effet de pénaliser doublement les pays « vertueux ». Non seulement ils risquent d’avoir à payer pour les défaillances des autres, mais en plus ils paient plus pour leur propre endettement. Les pays vertueux ont dès lors le sentiment de subventionner les pays moins vertueux. Ces derniers ont moins de raisons d’assainir leur situation financière.
Pour contourner ces difficultés, il faudrait que l’émission d’eurobonds en faveur de tel ou tel pays fasse l’objet de l’accord des autres pays.
Ces effets « secondaires » des eurobonds et de la mutualisation des risques expliquent pourquoi la discussion des européens sur ce point a achoppé à l’époque de la crise grecque.
2- La crise grecque et le débat européen
Les eurobonds sont apparus sur la scène publique dans le contexte de la crise grecque.
Crise grecque : le syndrome de la famille riche
Avant la crise, le scénario grec s'apparentait à celui d'un débiteur fragile, membre d'une famille riche. Chacun des créanciers du débiteur fragile- banque, amis, relations d'affaires – était persuadé qu'en cas de problème la famille viendrait toujours à la rescousse du membre défaillant et paierait ses créanciers.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, c'est exactement ce qui s'est passé avec ce pays. Les banques du monde entier, les sociétés d'assurance, les fonds de pension les plus sérieux avaient prêté à la Grèce, persuadés que l' "Europe", famille riche, garantirait implicitement la dette de ce pays, ou de l'un quelconque de ses membres d'ailleurs.
Certes tous savaient que la contrainte de solidarité européenne ne figurait dans aucun texte. Le respect implicite de cette disposition était cependant imaginable car il en allait à leurs yeux de la force même de la monnaie européenne.
Lorsque les créanciers de la Grèce ont compris que l'Europe ne garantirait pas la dette de ce pays, un vent de panique s'est levé. De leur côté, bien-sûr, mais aussi du côté grec, car du jour au lendemain la Grèce ne trouvait plus d'acheteurs des nouvelles obligations émises, sauf à payer des taux d'intérêts extravagants.
L'idée de créer des eurobonds était astucieuse car elle permettait d'établir implicitement cette solidarité financière sans parler explicitement de garantie, inacceptable au plan juridique et politique.
Comme on sait la proposition relative à la création des eurobonds a été rejetée par les pays du Nord de l'Europe et par le premier d'entre eux, la République Fédérale d'Allemagne.
La raison de ce refus n'est pas seulement liée à un problème d'opinion publique dans ces pays, qualifiés hâtivement d' "égoïstes". Elle repose aussi sur un élément proche du bon sens du banquier. Le banquier ne débourse jamais un crédit avant que les conditions de ce crédit (garantie, engagement de rentabilité, équilibre des comptes, etc ...) soient satisfaites. Si l'argent est versé avant cela, il est illusoire de compter sur la mise en place de ces conditions.
Il faut aussi reconnaître que l'incitation à réduire la dette serait évidemment moins forte pour les pays déjà endettés, et c'est bien là LE problème qui retarde la généralisation de cet outil.
Forts de ce principe, les pays du Nord ont dit aux pays du Sud: "Faites d'abord le ménage dans vos dépenses, et nous serons d'accord pour que l'Europe emprunte solidairement pour vous".
Refus de l'Allemagne
Pour comprendre le refus de solidarité avec la Grèce dans l'opinion publique allemande, il faut s'immerger dans le contexte de ce pays.
Trois éléments sont à retenir, la réunification de 1989, les lois Schroeder et le système de péréquation fédérale.
La réunification allemande de 1989 a donné lieu à un immense transfert de richesses de l'Ouest vers l'Est. Chaque foyer allemand a dû s'acquitter d'un impôt spécifique, l'Impôt de Solidarité.
Les lois Schroeder et Harz de 1995 destinées à renforcer la compétitivité allemande se sont traduites par de sévères contraintes salariales ainsi que par des coupes drastiques dans le système d'indemnisation du chômage.
La loi fédérale allemande en matière budgétaire stipule la contribution des régions (Länder) riches en faveur des régions pauvres. Ce mécanisme de solidarité des régions donne lieu chaque année à de violents débats. L'indiscipline, voire la paresse des régions pauvres est mise sur la place publique. La riche et vertueuse Bavière annonce qu'elle refuse de payer pour la Basse-Saxe dépensière. Après quelques semaines de discussion en et en dehors de la sphère parlementaire, les choses rentrent dans l'ordre, les budgets sont acceptés, et le mécanisme compensateur légal est appliqué.
On comprend mieux les réticences allemandes face aux eurobonds. Elles ne découlent pas seulement d'une opinion a priori hostile au principe de solidarité. Elles procèdent aussi d'une analyse de bon sens.
Où serait la contrainte à la remise en ordre des économies concernées (Grèce, Italie, France, Espagne, ....) si du jour au lendemain ces pays pouvaient se financer sans problème et à bas coût ? Cette contrainte disparaîtrait instantanément.
La position de bon sens est donc pour chaque pays en difficulté de rétablir l'équilibre budgétaire et d'en faire une contrainte légale incontournable. C'est à ces conditions qu'un système d'eurobond sera mis sur pied un jour en Europe. Cela dit, le "prix à payer" pour le redressement budgétaire des pays concernés est énorme en termes économiques et sociaux. De sorte qu'une interrogation se fait jour à propos des alternatives à l'austérité. Un autre problème.
3- La politique de la BCE
La BCE a contourné de manière subtile le problème politique posé par les pays du Nord et notamment par l'Allemagne et leur refus d'émettre des eurobonds.
Il faut savoir en effet que la presque totalité de la dette publique grecque est aujourd'hui détenue par la BCE. Donc finalement, c'est l'ensemble des pays européens qui prêtent à la Grèce à travers la Banque Centrale Européenne. C'était bien-là le but recherché par le biais des eurobonds.
Ce système de transfert de la dette européenne dans les livres de la BCE a été généralisé avec le fameux plan de quantitative easing lancé au début de l'année 2015.
La BCE a en effet offert aux banques européennes de racheter les obligations qu'elles détenaient dans leur bilan. Les banques suivent car les conditions de rachat sont très avantageuses.
Les règles de fonctionnement de la BCE lui interdisant souscrire directement aux emprunts émis par les États, celle-ci intervient donc uniquement dans le cadre de ce qu’on appelle le marché secondaire, c’est-à-dire au niveau des reventes des titres de dettes.
En septembre 2016, la BCE déclarait avoir racheté 1000 milliards d’euros de dettes souveraines, c’est-à-dire entre dix et quinze pour cent de la dette globale. Un montant suffisant pour envoyer un signal de confiance aux marchés et surtout orienter l’évolution vers la baisse des taux d’intérêt.
PARTIE III - POUR ALLER PLUS LOIN
Chapitre 13 – Quantitative easing et taux négatifs, le bilan
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A- Les problèmes posés à la BCE
La mission BCE est depuis sa création la stabilité des prix et le maintien de l'inflation "en dessous mais proche de" deux pour cent. Elle n'est pas censée agir dans le domaine de l'économie, mais elle le fait quand même, indirectement, en assurant le bon fonctionnement du système bancaire pour la distribution du crédit à l’économie.
Il faut trois conditions pour que le crédit parvienne aux entreprises:
1 - que les banques aient accès au marché interbancaire (lieu d'échange permanent des liquidités entre les banques) et en cas de difficultés, qu’elles disposent de nouvelles ressources.
2 - que ces banques disposent de fonds propres suffisants (leur matelas de sécurité) au regard des règles internationales (accords de Bâle)
3 - qu'il y ait des clients solvables ... (et qui aient envie d'investir)
De tous ces points, seul le premier est de son ressort. En fait, subtilement, la BCE s'est également emparée du second avec le quantitative easing. Le catalogue des actions entreprises est impressionnant.
Les problèmes du marché interbancaire
Dès l’origine, les prêts directs aux banques ont relevé du souci de la BCE de pallier au mauvais fonctionnement du marché interbancaire.
Il faut bien voir l’importance de ce marché pour les banques, et les conséquences de son dysfonctionnement. Comme expliqué au début du livre, les crédits bancaires proviennent des dépôts de la clientèle, instables par définition, Les ajustements sont faits par complétés par des emprunts des banques sur le marché interbancaire et la rotation permanente des excédents des unes dans les besoins des autres.
En temps "normal", la banque centrale n'intervient qu'épisodiquement sur ce marché pour agir sur les taux par exemple. La crise des subprimes a cassé cette mécanique bien huilée, contraignant la BCE à intervenir. En fait, depuis cette époque, le marché interbancaire ne s'est pas complètement rétabli du fait d’un manque de confiance persistant entre les banques. L’état réel de certaines banques (Italie et Allemagne notamment) n’a cessé d’inquiéter.
Cibler le crédit sur les PME
Il y a ensuite la volonté de la BCE d’encourager la distribution du crédit aux PME, principalement celles du Sud de l'Europe.
Pour cela, la BCE a baissé en plusieurs étapes les taux des ressources générales mises à disposition des banques par l'intermédiaire du marché interbancaire - les fameux taux directeurs aujourd'hui presque nuls. Elle pénalise de plus en plus les banques qui se portent bien, mais refusent de prêter, et propose une solution inédite pour aider les banques en position difficile.
Les premières mesures
Les programmes LTRO et TLTRO consistent en des prêts directs de la BCE aux banques et destinés au financement des PME. LTRO signifie « opérations de refinancement à long terme ». Ce programme lancé en 2014 n’a pas atteint ses objectifs. La BCE l’a corrigé avec le dispositif LTRO qui signifie "opérations de refinancement ciblé à long terme", assorti d’un taux particulièrement bas de 0.25%.
Le TLTRO est donc plus limitatif que LTRO. La BCE veut freiner l'achat des obligations étatiques par les banques (voir plus haut) et limiter strictement l'usage de ces fonds aux prêts aux entreprises. Elle est dans son rôle, qui est d'envoyer des signaux positifs à l'économie.
Pour agir, la BCE a classé les banques en trois catégories:
A – désigne les banques qui ont accès au marché interbancaire et disposent de fonds propres suffisants pour prêter aux entreprises. En 2013-2014, beaucoup ont préféré des placements plus lucratifs et moins risqués que des crédits aux entreprises.
B - désigne les banques qui ont des capacités de prêts (au sens des fonds propres suffisants) mais qui ont peu de ressources, faute de pouvoir accéder au marché interbancaire du fait d'un manque de confiance des autres banques à leur égard. La BCE leur prête directement, à condition qu'elles accordent des crédits aux PME.
C -désigne les banques qui elles non plus n'ont pas accès au marché interbancaire et qui en plus ont atteint leurs limites de crédit (fonds propres insuffisants). La BCE leur rachète des crédits en cours (titrisés, c'est-à-dire transformés en obligations) pour qu'elles puissent en faire de nouveaux à des PME.
B- Les subtilités du quantitative easing
Le quantitative easing - en abrégé QE - désigne l'un des outils à disposition des banques centrales pour agir sur la circulation monétaire. Un outil en fait peu utilisé à ce jour : si la banque centrale américaine, la FED, y recourt avec succès depuis 2008, il n'en est pas de même de son homologue, la Banque Centrale du Japon, qui a obtenu des résultats beaucoup plus mitigés.
En annonçant son lancement sur la période mars 2015 - septembre 2016, la BCE a surtout communiqué sur l'objectif de lutte contre la déflation. Mais cet objectif, n'est pas le seul !
L'étude du quantitative easing se situe au carrefour de l'économie, de la banque et des marchés. C'est un sujet technique mais susceptible d'être abordé de manière globale. Pour bien comprendre, il faut voir dans le QE un coup de billard à plusieurs bandes. Les trois objectifs "officiels" abritent trois autres objectifs "secondaires", qui sont en fait plus importants que les premiers.
OBJECTIFS OFFICIELS : combattre la déflation, faciliter le crédit, faire baisser les taux Du côté de l'activité économique, le phénomène le plus redouté est la déflation, c'est à dire une baisse des prix progressive qui fait penser à chacun qu'il vaut mieux retarder ses achats pour dépenser moins. Présent dans l'esprit de millions d'individus, ce sentiment freine la consommation et pénalise l'économie toute entière.
Pour les entreprises, un autre élément fondamental est le crédit. En effet, même s'il y a peu de demande du fait du mécanisme décrit ci-dessus, il y aura toujours des entrepreneurs qui veulent investir parce qu'ils ont une idée, parce qu'ils pensent que la demande va revenir, etc... Mais sans crédit ils ne peuvent rien faire.
Le quantitative easing agit à ces deux niveaux: empêcher la déflation et faciliter le crédit. On va voir comment ces buts sont atteints....
Pour combattre la déflation, il faut encourager son contraire, l'inflation. Pour cela il est nécessaire de desserrer les freins habituellement utilisés pour la contenir. Pour limiter l'inflation, la banque centrale utilise deux leviers: le premier est le taux d'intérêt, c'est-à-dire le prix de l'argent fourni aux banques pour que celles-ci puissent accorder des crédits à leur clientèle. Le second est plus direct puisqu'il concerne le volume des ressources mises à disposition des banques.
Globalement, la banque centrale va augmenter la quantité de monnaie par la création monétaire. En augmentant massivement le volume des crédits à l'économie, on augmente la demande potentielle de biens et de services, ce qui fait monter les prix dès que les limites de capacités de production sont atteintes. Le mécanisme d'augmentation des crédits disponibles repose en grande partie sur la création monétaire qui s'ajoute aux dépôts dans les banques pour "nourrir" les crédits.
OBJECTIFS SECONDAIRES: aider les banques, aider les États, développer les marchés de capitaux C'est l'aspect sans doute le plus intéressant - et le plus discret - du dispositif. L'aide aux banques consiste à leur permettre de faire des plus-values importantes sur la cession des obligations qu'elles détiennent et que la BCE propose de racheter. Ces plus-values seront en partie utilisées pour augmenter leurs fonds-propres. Le calcul des plus values est simple. Par exemple, le rachat d'une obligation ayant un taux nominal de 4% sur 15 ans avec un taux de rachat de 3% crée une plus-value de 7% pour le vendeur! Ce calcul est explicité dans la suite du cours.
L'aide aux États est indirecte à travers le rachat des obligations souveraines détenues par les banques. Les traités européens interdisent le financement direct des États par la banque centrale. Il s'agit ici d'opérations sur le marché secondaire des dettes souveraines. La controverse allemande sur l'illégalité des opérations a échoué après l'arrêt de la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe, confirmé en juin 2016.
Quant aux marchés, ils vont grandement bénéficier de la montée en puissance de la titrisation. La BCE ne va pas racheter la totalité des crédits titrisés, comme elle a commencé à le faire, mais elle va évidemment amorcer la pompe. Il est clair que, comme aux États-Unis depuis des dizaines d'années, le financement du crédit aux entreprises et aux particuliers va être progressivement partagé entre les banques et les marchés. Cette action est nécessaire car le système bancaire ne suffit pas à couvrir tous les besoins en financement de l'économie. On note ici la prudence de vocabulaire de la BCE qui ne parle pas de titrisation, mais de rachat d'ABS, c'est à dire le rachat de titres issus de la titrisation.
BAISSE DE L'EURO C'est, pourrait-on dire, l'objectif "tertiaire". En fait, deux éléments s'ajoutent. Le premier est le différentiel des taux entre le dollar et l'euro. Ce différentiel entraîne la hausse du dollar, plus attractif pour les investisseurs. Le deuxième est la création monétaire. L'impact inflationniste de la création monétaire devrait diluer la valeur de l'euro donc entraîner là aussi son affaiblissement par rapport aux autres devises.
Cela dit, il ne faut pas perdre de vue que l'évolution de l'euro par rapport au dollar reflète le déséquilibre des flux acheteurs et vendeurs de ces deux devises. Ces flux sont multiples. Globalement le commerce européen est excédentaire, ce qui constitue un facteur d'appréciation de l'euro. Il faudrait regarder la balance des investissements industriels dans la zone euro, la balance des services, du tourisme, les investissements boursiers.
Tout cela pour dire qu'il ne faut pas surestimer les capacités d'action de la BCE. La baisse de l'euro depuis juin 2014 est tout autant le résultat de la politique de la BCE que celle .... de la FED, son homologue américaine. Les hésitations de sa présidente à relever les taux d'intérêts, donc à augmenter le différentiel des taux avec l'euro montre bien que les Etats-Unis veulent contrôler l'appréciation du dollar.
Les conséquences de la baisse de l'euro sont doubles. Outre l'impact sur le commerce extérieur de la zone euro, très progressif dans le temps, il y a l'effet immédiat du renchérissement des importations, donc une inflation "importée". La baisse simultanée du prix du pétrole a atténué l'effet de l'inflation importée, une conjonction très heureuse pour l'acceptation politique du plan de la BCE. Comme on sait, les opinions sont très sensibles au prix de l'énergie
C- Les taux négatifs
De semaine en semaine, la France emprunte à taux négatifs. Une bonne affaire pour l’État, qui gagne en empruntant, mais a contrario c'est aussi une interrogation à propos de ceux qui perdent en prêtant, en fait les banques européennes.
Il est important de savoir que les banques n'ont pas le choix dans la gestion de leurs disponibilités, en dehors des billets de banque. Ces disponibilités - c’est-à-dire les sommes qui ne sont pas investies ou prêtées - sont obligatoirement déposées dans leur compte auprès de la BCE. C'est là que, depuis quelques années, cette dernière les pénalise avec un taux d’intérêt négatif.
La comparaison des taux montre qu’en prêtant à la France, les banques perdent un peu moins qu’en laissant leurs avoirs auprès de la BCE. Mais elles perdent quand même!
L’explication conduit à s’interroger sur l'origine de ces disponibilités. La réponse se trouve dans une autre mesure de la BCE, les achats de titres de dette souveraine. Ces achats, composante-clé du quantitative easing, se traduisent pour les banques par un paiement versé sur leur compte, … où il subit un taux d’intérêt négatif. Les banques acceptent de vendre à la BCE les titres de dette souveraine qu’elles détiennent, parce qu’elles y gagnent et que les gains réalisés sont bien supérieurs au taux d’intérêt négatif qui frappe les liquidités issues de ces opérations.
Les ventes de titres à la BCE génèrent en effet une marge proportionnelle à la différence entre le taux d’intérêt de ces titres et le taux proposé par la BCE, inférieur au précédent. Le facteur durée décuple la marge globale. Pour fixer les idées, si la BCE propose de racheter au taux de un pour cent des crédits (des obligations) au taux facial de quatre pour cent sur dix ans, la banque touche 115% de la valeur des crédits dans ses comptes ! Une plus-value de quinze pour cent donc, immédiate et en cash. Pour la banque, le calcul est évidemment très rentable. Quinze pour cent de revenu pour un intérêt négatif au plus égal à 0.4 pour cent.
Il faut bien voir que cette opération ne coûte rien à la BCE, puisqu’il s’agit de création monétaire. Au contraire, même, puisque dans cet exemple, elle va toucher un pour cent d’intérêts au titre des crédits qu’elle a rachetés et dont, par ailleurs, les conditions ne changent pas pour les emprunteurs d’origine.
Une aide aux banques
C’est surtout l’ensemble du dispositif qui est vertueux, doublement vertueux même. D’un côté la BCE lutte contre la déflation par la création monétaire, et de l’autre elle permet aux banques de reconstituer leurs fonds propres grâce aux profits réalisés. Cerise sur le gâteau, celles-ci sont incitées à acheter les obligations des Etats européens en difficulté, puisqu’elles peuvent les revendre avec profit ... tant que le dispositif perdure, naturellement. De cela, la BCE est seule à décider, d’autant que confirmation lui a été donnée de l’orthodoxie du dispositif au regard des accords de Maastricht et de la constitution allemande.
Chapitre 14 - La titrisation existe depuis les années 1930
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Principe de la titrisation
Pour expliquer ce principe, il faut imaginer un groupe d'amis ayant ceci de particulier que tous ont consenti un prêt personnel à un tiers (on suppose, pour simplifier, que les prêts ont les mêmes caractéristiques de montant et de durée).
Chacun a donc signé un contrat de prêt avec un emprunteur. Partant du principe qu'une gestion commune des prêts serait plus efficace qu'une gestion individuelle, ils décident de transférer l'ensemble des prêts dans une société créée pour la circonstance et qui va jouer le rôle d'un pool. En contrepartie de son apport dans ce pool, chacun reçoit un certificat d'un montant correspondant à la valeur du prêt apporté. Ces certificats, appelés titres, sont au porteur.
On voit déjà un premier avantage: avant cette opération, chacun était "lié" à son emprunteur par un contrat de prêt. Après, il n'y a plus de contrat, mais un "titre" donnant droit à remboursement de la part du pool.
C'est alors qu'une discussion s'engage. Certains des participants proposent de se retirer, d'autres sont prêts à racheter les parts disponibles. D'autres, enfin, réfléchissent à une revente possible, mais en dehors du groupe d'amis.
Ils viennent d'inventer la titrisation, c'est à dire la transformation de crédits nominatifs en titres anonymes et donc cessibles.
Les emprunteurs d'origine sont toujours les mêmes, à savoir les bénéficiaires des prêts. Ils ne sont plus endettés vis-à-vis des prêteurs, mais vis-à-vis du pool, ce qui, pour eux est sans conséquence.
Pour les prêteurs d'origine, c'est comme si le pool s'était substitué aux emprunteurs. Pour dire les choses autrement, les prêteurs d'origine détiennent à présent des créances sur le pool. Pour eux la différence est grande, à double "titre". D'abord ils n'ont plus à se préoccuper de la gestion administrative des prêts (collecte, relance, ...). Mais surtout, ils ont la possibilité de sortir à tout moment de leur engagement. En contrepartie de ce service, naturellement, ils consentent à l’administrateur du pool, l’un d’entre eux ou un tiers, une petite rémunération.
Les prêteurs sont devenus des investisseurs. Ce n'est pas qu'un changement de vocabulaire. L'investisseur est en effet libre de retrouver sa mise à tout moment et de choisir un autre placement. Le prêteur n'a pas ce choix, il est lié par contrat à l'emprunteur et n'est libéré de cet assujettissement qu'à l'expiration du prêt.
Une passerelle entre la banque et le marché
Voici le schéma de la titrisation pour les banques.
Les crédits distribués par la banque s'inscrivent à l'actif du bilan. Ce qui est important est la visualisation de quelque chose de très abstrait: la vente des créances (les crédits) à l'acheteur lequel, pour payer "vend" à son tour des obligations à des investisseurs. L'acheteur est une structure intermédiaire, appelée SIV en jargon anglais. C'est l'équivalent du pool évoqué ci-dessus.
L'actif du bilan de la SIV comporte les crédits achetés à la banque. Le passif indique comment cet actif a été financé, en l'occurrence par une dette obligataire matérialisée par des obligations.
Sur le plan juridique
Un simple contrat de cession B est passé entre la banque et la SIV. Ce contrat définit la liste des contrats de crédits cédés, et le montant total payé par la SIV à la banque. Il est important de voir que pour l'emprunteur, le contrat de crédit initial A ne change pas. Le nouveau contrat B est un contrat de vente des crédits et de cession des droits du prêteur, comme par exemple les garanties attachées aux crédits. A noter qu'au sens juridique l'actif de la SIV n'est pas constitué de "crédits" mais de créances, une précision qui ne change rien à la dimension financière de l'opération.
Sur le plan financier
Les emprunteurs continuent leurs remboursements à la banque qui les transfère aussitôt à la SIV. La banque est devenue un simple collecteur d'argent pour le compte de la SIV.
La SIV est le prêteur juridique qui supporte dorénavant les risques de non-paiement des emprunteurs mais reçoit leurs paiements et bénéficie des contrats d'origine. Les emprunteurs sont notifiés du transfert des droits et obligations du prêteur - la banque - vers la SIV. Les crédits sont devenus des titres adossés à des crédits. Ces titres sont négociables, c'est à dire qu'ils peuvent être facilement vendus et revendus.
Intérêt pour les banques
La signification profonde de la titrisation n'est pas le désir des banques de simplifier leur gestion. Ou de se "débarrasser" des mauvais crédits, comme cela a été hâtivement commenté dans le contexte des subprimes. Une interprétation étrange au demeurant, car on peut se demander qui aurait envie d'acheter des mauvais crédits.
Les
motivations des banques pour céder une partie de leurs crédits sont multiples. Comme le montre le schéma, l'encours des crédits "portés" par la banque a baissé, manière de d'améliorer le ratio encours/fonds.
Par ailleurs "dette bancaire" correspond au fait que les banques se prêtent entre elles en permanence (voir le cours sur le fonctionnement des banques).
- La principale est de réduire leur encours - c'est-à-dire le volume de ces crédits - au regard des contraintes réglementaires imposant un certain niveau de fonds propres par rapport aux crédits accordés. Si les fonds propres baissent, après des pertes par exemple, la banque doit réduire ses engagements pour respecter les ratios imposés. Pour cela elle va vendre une partie de ses crédits à un tiers, une banque ou ... une structure de titrisation. Pour les clients de la banque qui ont bénéficié de ces crédits, rien ne change. La banque continue de percevoir les remboursements, qu'elle reverse ensuite à la structure de titrisation.
- Une autre raison tout aussi importante est le souci de modifier le profil de risque du portefeuille de crédits. Dans ce dernier cas, la banque vend les crédits d'un secteur économique donné et redistribue de nouveaux crédits dans un autre secteur.
- La troisième raison parait contredire la première: en allégeant le bilan des banques, la titrisation leur donne la possibilité de prêter plus. Comment ? Tout simplement en titrisant chaque nouveau crédit, ce qui n'augmente pas leur encours et donc ne modifie pas les équilibres prudentiels. Il n'est donc pas étonnant qu'en Europe on cherche à développer la titrisation, "on" étant les banques et certains gouvernements. Ce qui motive la banque dans le fait de prêter plus est la perspective de gagner plus. En effet, elle perçoit une marge sur chaque crédit vendu à une structure de titrisation.
Cette marge a atteint des niveaux incroyablement élevés. Le calcul actuariel, montre que le prix de vente d'un crédit est la valeur présente des paiements futurs. Plus le taux d'actualisation est faible, plus la valeur présente est forte. Il suffit de revendre un crédit à un taux d'intérêt inférieur au taux que connait l'emprunteur pour réaliser une marge importante: plus de 7% de marge par exemple pour un crédit sur 25 ans revendu avec un différentiel d'intérêt de 1%. La banque qui cède un crédit de 100 000 euros dans ces conditions touche 107 000 euros !
La titrisation donne donc aux banques une immense flexibilité dans la gestion de leurs crédits.
Intérêt pour les investisseurs
Pour les investisseurs aussi la titrisation est un facteur de flexibilité. C'est en effet pour eux la possibilité de choisir avec précision où ils souhaitent investir. Qui sont-ils ? Toutes les institutions de France et d'ailleurs qui ont durablement ou épisodiquement de l'argent à placer. Institutions privées ou publiques, ces investisseurs pourraient placer cet argent dans les banques. Beaucoup préfèrent faire des placements en bourse, acheter des obligations, prendre des participations dans des entreprises. Ou simplement confier leur argent à des organismes spécialisés qui feront des placements en leur nom.
On trouve ainsi des compagnies d'assurances, des fonds de pension, des Etats souverains détenteurs d'excédents, des fonds de placement, etc ...
L'ensemble des capacités financières des investisseurs est estimé à 70 000 milliards $ ! Ce chiffre astronomique explique la motivation des banques d'affaires proposant des solutions d'investissement.
Comme on l'a vu, la titrisation va permettre d'offrir de nouveaux "titres" d'investissement sur le marché financier. Ces nouveaux titres sont des obligations mélangeant des crédits d'origines diverses. Cette diversité joue au niveau des catégories d'emprunteurs. Elle joue aussi au niveau des catégories de biens financés. C'est précisément ce que veulent les investisseurs: choisir!
Ceux qui ont des affinités avec l'immobilier choisiront des obligations issues de crédits immobiliers. Il en sera ainsi pour ceux qui préfèrent tel ou tel secteur industriel ou tel type de biens (avions, voitures, bateaux, etc...). Le choix d'un investissement sur-mesure est dès lors possible ! Et à tous ces investisseurs, il apparaît qu'il est moins risqué de prêter à 100 ou 1000 emprunteurs, plutôt qu'à un seul.
On comprend la ruée des banques d'affaires, en aval de la titrisation. Elles ont exercé tous leurs talents pour diversifier au maximum les choix possibles.
Un outil de politique économique pour les États
La titrisation a été inventée aux Etats-Unis en 1934, dans le contexte du New Deal, sous Roosevelt. Le problème posé alors était la relance de l'économie après le désastre de la crise de 1929. Les banques, durement touchées par la crise, ne pouvaient pas fournir les crédits nécessaires, du fait des pertes subies. Pourtant il y avait des ressources disponibles. La titrisation a permis de capter ces ressources pour financer les crédits à l'économie sans charger le bilan des banques.
La titrisation est un moyen de développer le crédit sans charger les banques.
Il faut bien voir ce point: la titrisation entraîne un changement profond du mode de financement du crédit. Les crédits inscrits au bilan sont habituellement financés pour partie par les dépôts de la clientèle, et pour le reste, massivement, par appel au marché interbancaire, lui-même alimenté par les banques excédentaires en trésorerie et par les banques centrales.
Cette possibilité de financer les crédits en dehors des circuits bancaires est particulièrement recherchée lorsque les banques sont à la peine pour faire leur métier, faute de fonds propres suffisants.
La relance de l'économie européenne impose le développement du crédit aux entreprises. Or les banques ont atteint leurs limites, du fait de l'augmentation des faillites et des dispositions de Bâle III qui pèsent sur leurs fonds propres.
Chapitre 15 - Comment les banques sont organisées
Trouver le bon interlocuteur
La façade lisse et uniforme des banques abrite des réalités complexes qui les distinguent des entreprises à de nombreux points de vue. Voici un aperçu des nombreux métiers de la banque :
- gestion des comptes |
- crédits syndiqués |
- gestion d’actifs |
- marché de taux |
- financement export |
- fusions et acquisitions |
- marchés de change |
- courtage d’actions |
- titrisation |
- leasing fiscal |
- émission de titres |
- financement d’avions, de bateaux |
- introduction en bourse |
- financement de projets |
- émission de cautions |
- financement structuré |
- leveraged buy out |
- banque privée |
Ces métiers sont très spécialisés, au point que l’on puisse vraiment parler de cultures différentes. Le trader de la salle de marchés et son collègue des fusions et acquisitions appartiennent à deux mondes qui n’ont rien en commun. Tout les sépare, l’origine, la formation, la personnalité, le mode de rémunération. Il en est de même du banquier dit « privé », spécialisé dans la gestion des fortunes des particuliers, que tout sépare de son collègue du financement export, globe-trotter familier des institutions financières internationales.
Pour illustrer le problème du cloisonnement des métiers, il faut savoir qu'il est par exemple inutile de parler d’un problème de financement export à un spécialiste en crédits syndiqués, ou réciproquement.
La confusion la plus fréquente à cet égard concerne le rôle des représentants des banques à l'étranger. Ces personnages, par définition très "visibles", remplissent généralement des missions précises en relation avec les autorités locales, pour le compte de leur maison-mère. Par la force des choses, ils jouent aussi un rôle incontournable d'accueil des clients de passage, lesquels comptent aussitôt sur un soutien total en faveur de leurs dossiers particuliers. Or il est inutile d’attendre un tel engagement, ce n'est pas leur job. Pire même, une intervention ciblée et visible en faveur d'un client pourrait nuire à leur délicat travail de lobbying local. De même, ces personnages n’ont aucun pouvoir particulier vis-à-vis des « métiers » de la maison-mère. Comme tout cela est du domaine du non-dit, les situations de frustrations sont susceptibles de se multiplier.
On trouve par ailleurs des différences au sein de chaque métier. Des personnels hautement spécialisés côtoient des généralistes. Certains inventent de nouveaux produits, d’autres les commercialisent, d'autres enfin relient le métier à la « machinerie » interne de la banque, dans le domaine de la trésorerie, de la comptabilité et du contrôle des risques.
La diversité des métiers de la banque et leur cloisonnement impliquent de bien savoir qui fait quoi. Il se pose ici un petit problème d'identification. Si les contenus de ces métiers se ressemblent fortement d'une banque à l'autre, il n'en est malheureusement pas de même de la terminologie employée et surtout de l'organisation, ce qui peut entraîner une certaine confusion.
Problèmes d’organisation
Chaque métier a ses produits particuliers, son type de clientèle ou de partenaires, son modèle économique, son profil de collaborateurs, et on comprend dès lors la complexité des problèmes d'organisation.
L'organisation interne des banques est le résultat du regroupement des métiers selon des critères choisis en fonction de la stratégie de chaque institution. On distingue globalement trois types de critères, les critères « clients », « produits » et « marchés ».
Le problème est que les produits sont souvent multi-clients et qu’à l’inverse, les clients d’un groupe donné sont concernés par plusieurs produits. Il est ainsi fréquent d’isoler l’activité de "banque privée", ciblée sur les particuliers fortunés, ou de "banque d'affaires", ciblée sur les hauts dirigeants. Mais la banque privée doit s’appuyer sur d’autres métiers, comme « courtage actions » et « produits structurés ». De même, les clients de la banque d’affaires sont concernés par les métiers de marchés et les « financements structurés ».
Toute organisation est donc un compromis présentant d’inévitables zones de recouvrement. Par ailleurs les organisations évoluent dans le temps, parfois de manière soudaine.
Deux éléments sont à prendre en considération dans la relation avec un banquier: son métier et dans certains cas son « grade », qu’il ne faut pas confondre avec la position hiérarchique. Connaître le métier de son interlocuteur est capital du fait du cloisonnement rigoureux des activités bancaires et des responsabilités. Quant au grade, il est importante dès lors que l'on touche aux problèmes de prises de risques et surtout de rapidité de décision. C'est particulièrement vrai des métiers de crédit par exemple. A partir d’un certain niveau les cadres de banque disposent en effet de délégations de crédit personnelles qui leur confèrent une autorité accrue au sein des comités de crédit et surtout leur donne la possibilité de prendre des décisions en dehors du cadre formel des Comités des risques, sous conditions naturellement.
Les grands secteurs d’activité
On en distingue classiquement six :
1 Banque Commerciale |
4 Banque d'Affaires |
2 Marchés |
5 Banque Privée |
3 Financements |
6 Courtage Actions |
1 – Ce qu’on appelle la « Banque Commerciale » regroupe les services courants apportés aux entreprises : gestion des comptes et des flux, crédits de trésorerie, crédits d’investissement, émissions de cautions. L’interface avec la clientèle se réalise au niveau des Agences régionales.
2 - Les métiers de Marché sont spécialisés en fonction des produits considérés. On distingue les produits de taux d’intérêt, les produits de change. Sur leurs marchés respectifs, les intervenants achètent et vendent des produits classiques ou non, comme les couvertures de change, les swaps de taux ou de devises, des options. Ils le font pour le compte de leurs clients ou en compte propre. Leurs partenaires sont des courtiers ou leurs homologues des autres banques de la planète. Au sein des métiers de marché, l’organisation est à peu près la même. C’est ainsi que l’on distingue le front-office du middle office et du back office. Les opérateurs du front office sont en contact direct avec les partenaires extérieurs, avec lesquels ils négocient les transactions. Comme les choses se passent très vite, les opérateurs n’ont pas le temps de saisir ces transactions au plan comptable, et de modifier au fur et à mesure les limites d’intervention. Ces taches sont dévolues au middle et au back office. Dans certains cas, on trouvera un ou deux « traders » de front office dans la banque commerciale.
3 Les métiers dits de Financement présentent des profondes différences d’organisation d’une banque à l’autre. A la base, la notion de financements structurés regroupe un ensemble de sous-métiers comme les financements de projets, les LBO, acronyme de Leverage Buy-out, ou les opérations de titrisation. On peut y trouver aussi certains financements spécialisés comme les financements de bateaux ou d’avions. Ces deux métiers sont souvent regroupés, car ils s’appuient l’un et l’autre sur des technicités très proches dans le domaine du leasing, de la fiscalité ou de l’assurance. Ils peuvent être au contraire séparés dans les banques souhaitant mettre en avant une expertise reconnue dans l'un ou l'autre de ces domaines. La raison majeure du regroupement de tous ces métiers, plus que la complémentarité ou la proximité de certains d’entre eux, est leur liaison commune au comité des risques de crédit de la banque. Spécialisés ou non, ces financements engagent le risque de la banque, ce qui justifie leur centralisation.
4 Les métiers de Banque d’Affaires sont aussi appelés métiers de conseil ou de haut de bilan. Dans ce contexte, le haut de bilan désigne la partie Equity du passif, c’est-à-dire ce qui concerne le capital et les fonds propres de l’entreprise. L’activité du banquier d’affaires est une activité de conseil rémunéré. C’est lui qui aide par exemple son client à réaliser une émission d’obligations, une introduction en bourse ou une augmentation de capital, toutes opérations qui ont un impact sur le haut de bilan. Les « affaires » les plus recherchées sont les opérations de fusions et d’acquisition, Mergers and Acquisitions. Certaines grandes banques peuvent disposer d’un département entier consacré aux M&A. Pour satisfaire aux impératifs de la confidentialité et de l’éthique, ces départements sont entourés d’une « muraille de Chine ».
5 La Banque Privée est centrée sur la gestion des fortunes privées. C’est une activité de conseil, conseil fiscal et patrimonial, et de gestion des investissements des clients. Le savoir faire relationnel, fondamental, crée la réputation d'un établissement, plus que les produits ou les conseils apportés, qui ne diffèrent pas fondamentalement d’une banque à l’autre.
6 Le Courtage Actions constitue une activité particulière, isolée physiquement et juridiquement du reste de la banque. Les courtiers actions exécutent les ordres d'achat et de vente pour le compte des tiers ou pour leur compte propre. C’est surtout dans ce métier que s’élabore la « recherche », c’est-à-dire l’analyse en profondeur des forces et des faiblesses des entreprises cotées. Ces analyses font l’objet de publications, ce qui explique les risques de conflits d’intérêt avec certains clients de la banque et la nécessité d’une organisation indépendante. |
Les différences d’organisation les plus notables d’une banque à l’autre se situent au niveau du contour des métiers de financement et surtout de la banque d’affaires. Plutôt que de parler de banque d’affaires, certaines banques utilisent les concepts de Corporate Banking et de Investment Banking. Ces entités omniprésentes dans les organisations sont à géométrie variable. La confusion règne car si l'une d'elles peut contenir l'autre, dans certains cas, c'est le contraire.
Le chargé de relation
Comment s'y retrouver alors? Tout simplement en sachant qu'il est normal de ne pas savoir et donc et qu'il ne faut pas hésiter à interroger son interlocuteur. Pour l'entreprise cliente, la clé de la bonne orientation au sein d’une banque est le « chargé de relation ».
Ces chargés de relation, appelés aussi chargés de clientèle, credit officers ou senior bankers - la terminologie n’est là aussi pas toujours très claire – remplissent une fonction commerciale et de suivi de la relation avec les clients. Leur mission consiste à introduire ces derniers auprès des différents métiers pouvant répondre à leurs besoins, mais surtout à « défendre » les intérêts des clients devant les instances de crédit de la banque.
Le rôle du chargé de relation est donc capital pour le client. L'importance de ce lien n'exclut pas les contacts directs avec les opérationnels de tel ou tel métier. Dans certains cas comme, par exemple dans le contexte du financement export, ce lien direct est souvent la clé de la réactivité indispensable dans les phases d'accélération des négociations.
Chapitre 16 - Les finances d’une start-up
Les premiers pas d’une start-up : le bilan commode
L'exemple choisi est celui de deux amis qui décident de créer une petite entreprise d'achat-vente d'ordinateurs d'occasion.
Il est suggéré de suivre pas à pas ce qui se passe dans les premières étapes et, crayon en main, d'essayer de refaire les schémas. D'attendre ensuite quelques jours avant de recommencer, en ajoutant une ou deux étapes supplémentaires. Comme indiqué en introduction, ce qui est enseigné ici est un langage. Un langage limité certes, mais dont l'apprentissage demande néanmoins une certaine patience.
LES ASSOCIÉS VERSENT LEUR PART DANS LA SOCIÉTÉ
Chacun met 1000 euros dans l'affaire, en liquide. Le tiroir "caisse" contient ce premier versement, soit 2000 euros. Plus tard, on va puiser dans cette caisse pour faire des achats, et, il faut l'espérer, encaisser des ventes.
Pour s'y retrouver, il faut bien noter quelque part le montant de la mise initiale des deux associés. C'est à cela que sert le tiroir "capital". Dedans il n'y a pas d'argent, mais deux papiers indiquant seulement qui a versé quoi initialement.
Le schéma symbolique ci-dessous représente l'état de la commode
Total colonne de gauche: 2000 euros - colonne de droite: 2000 euros
Voilà, nous avons passé nos premières écritures !
ACHAT D'UN ORDINATEUR POUR LA GESTION
Les deux amis achètent un premier ordinateur de 1500 euros. La caisse va baisser du même montant, mais l'entreprise possède à présent un ordinateur. Pour faire état de cette acquisition, on place la facture (payée) dans le tiroir supérieur gauche.
La nouvelle physionomie de la commode est donc comme suit:
Total colonne de gauche: 2000 euros - colonne de droite: 2000 euros
DE NOUVELLES RESSOURCES SONT NÉCESSAIRES
Un ordinateur, c'est insuffisant. Par ailleurs il faut pouvoir acheter les ordinateurs d'occasion qui se présenteront. De nouvelles ressources sont nécessaires. Un ami de la famille est disposé à mettre 5 000 euros dans leur affaire.
Les deux amis réfléchissent: quel statut donner à cet ami, actionnaire ou prêteur ? S'il devient actionnaire, ses 5000 euros lui donneront la majorité et le pouvoir de décider seul ou presque. S'il prête les 5000 euros, il faudra commencer à le rembourser alors que l'entreprise n'aura peut-être pas fait de ventes. Ils décident donc une solution moyenne: un prêt de 3500 euros et l'achat d'une part de 1500 euros.
Le versement global du nouveau partenaire, soit 5000 euros vient dans la caisse qui passe donc à 5500 euros. En ce qui concerne la colonne de droite, le tiroir capital augmente de 1500 euros, soit la part de Mr zzz.
Un nouveau tiroir est créé, intitulé "crédit". On place dedans le contrat de prêt des 3500 euros, souscrit entre l'entreprise et le même M zzz.
Le bilan "commode" devient le suivant:
Total colonne de gauche: 7000 euros - colonne de droite: 7000 euros
ACHAT D'UN DEUXIÈME ORDINATEUR
Un deuxième ordinateur a été acheté 1000 euros. Le vendeur a spontanément proposé de payer dans les quinze jours.
Voici le nouveau bilan après cette opération:
Total colonne de gauche: 8000 euros - colonne de droite: 8000 euros
Il n'y a pas eu de paiement, donc pas de changement au niveau de la caisse. En revanche la colonne de droite voit apparaître le crédit du fournisseur de l'ordinateur Dell. Ce n'est pas un emprunt, c'est une forme de crédit. Pour dire les choses autrement, l'entreprise a une dette vis-à-vis du fournisseur.
PREMIÈRE VENTE, PAYABLE DANS UN MOIS
La première vente a été réalisée!
Plus exactement un achat d'ordinateur d'occasion, payé comptant 300 euros, revendu quelques jours après, dans le même état, pour 500 euros. Une facilité de paiement de 30 jours a été accordée à l'acheteur qui ne pouvait pas payer comptant.
Total colonne de gauche: 8200 euros - colonne de droite: 8000 euros
La caisse a baissé de 300 euros, le prix de l'ordinateur d'occasion payé comptant.
En revanche, les autres transactions (la revente de l'ordinateur d'occasion et l'achat du Dell n'ont pas donné lieu à des mouvements de cash, puisque tout s'est fait à crédit.
On constate à présent que le total des colonnes n'est plus identique. La différence est de 200 euros. C'est précisément le bénéfice réalisé sur l'opération d'achat-vente de l'ordinateur d'occasion. A qui appartient ce bénéfice ? Aux actionnaires. Donc il figure à droite.
Voici comment le bénéfice est exprimé:
Total colonne de gauche: 8200 euros - colonne de droite: 8200 euros
Remarquons que la Caisse désigne en fait les liquidités, c'est-à-dire le "cash" et surtout les avoirs bancaires courants. On a compris dans l'exemple ci-dessus que ces liquidités n'ont rien à voir avec la rentabilité ou le bénéfice.
LE CLIENT EST VENU RÉGLER SON ACHAT
L'acheteur d'ordinateur d'occasion est venu régler son achat, soit 500 euros. En conséquence, le crédit "client" est effacé et la caisse augmente à hauteur de cet encaissement.
Total colonne de gauche: 8200 euros - colonne de droite: 8200 euros
Différence entre capital et fonds propres: le bénéfice appartient aux actionnaires, c'est leur entreprise. Ils peuvent le retirer pour eux (ce qu'on appelle un dividende) ou le laisser dans l'entreprise. Ce bénéfice vient alors s'ajouter au capital. L'ensemble capital plus bénéfice constitue les fonds propres. Cette notion de fonds propres sera amplement discutée par la suite dans le contexte de l'entreprise et de la banque.
Pourquoi cette importance ? Les fonds propres rassurent tous ceux qui prêtent à l'entreprise, banques, fournisseurs et autres créanciers. Les fonds propres sont un élément-clé pour l'attribution des crédits. En ce qui concerne les banques elles-mêmes, les ratios de fonds propres sont au coeur du contrôle de leur activité par les autorités chargées de leur régulation.
DISTRIBUER LE BÉNÉFICE OU LE LAISSER DANS LA SOCIÉTÉ ?
Nos actionnaires ont décidé de ne pas distribuer de dividendes et donc de garder le bénéfice de 200 euros dans l'entreprise.
Avant l'affectation des bénéfices, le capital était de 3500 euros. Après affectation, ce qu'on appelle dorénavant les fonds propres s'élèvent à
3500 + 200 = 3700 euros
Total colonne de gauche: 8200 euros - colonne de droite: 8200 euros
- - - - - - - - - - -
En résumé, le bilan est à chaque instant la photographie à l'instant t des avoirs et des dettes de l'entreprise. Il change donc au fur et à mesure des transactions.
Le bilan est une manière condensée de décrire les choses, mais il ne dit pas tout. Difficile de savoir par exemple comment le bénéfice de 200 euros a été généré si l'on s'en tient au dernier bilan. Pour en avoir le détail, il faudra regarder le compte d'exploitation.
Comme il est dit en introduction, le bilan est un formidable outil descriptif de l'activité des entreprises et des banques. Un coup d'oeil renseigne sur les forces et les points faibles. Un coup d'oeil !
On voit tout de suite ce qui différencie les entreprises, les banques. Les déséquilibres financiers, les problèmes de réglementation bancaire. On voit tout de suite ce que "fait" un hedge fund ou une société d'investissement.
Chapitre 17 - Les hedge funds
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Placer son argent dans un fonds est plus simple et plus efficace que d'acheter soi-même des actions ou des obligations. Les fonds sont des sociétés ultra-légères et qui fonctionnent un peu comme des banques. Les hedge funds sont une catégorie de fonds, qui prennent des risques plus élevés dans des secteurs que délaissent les autres fonds.
Les fonds dits"classiques" sont créés par les départements spécialisés des banques, qui en gèrent des centaines. En France on parle d'OPCVM par exemple. On parle aussi d'assurance-vie pour désigner des fonds assortis d'avantages fiscaux au niveau de la succession. Certains fonds sont spécialisés, dans l'immobilier, par exemple, les devises, ou les matières premières. L'activité des fonds est proche du métier bancaire, mais ne prenant pas de dépôts publics, ils ne sont pas régulés comme des banques.
Les hedge funds sont plutôt le fait des grandes banques d'affaires anglo-saxonnes et des professionnels indépendants. Leur caractéristique est leur modèle d'investissement plus complexe que celui des fonds "classiques". C'est pourquoi on parle de shadow banking ce qui veut simplement dire que leur activité n'est pas contrôlée aussi sévèrement que celle des banques. La crise des subprimes a accrédité dans l'opinion l'idée de leur responsabilité et donc une volonté politique de régulation. La réalité est en fait beaucoup plus nuancée.
Il faut bien voir l'importance des fonds et des hedge funds dans l'économie. Ils prennent des risques que ni les banques ni les investisseurs traditionnels, comme les fonds de pension ou les sociétés d'assurances, ne voudraient prendre. Il est par exemple très simple de comprendre qu'une banque de dépôt ne peut pas risquer les dépôts de ses clients dans ce qu'on appelle le capital-risque par exemple. On peut dire que les fonds sont à l'origine de la formidable vitalité du secteur des créateurs d'entreprises américaines. Sans les hedge funds, pas de success story comme les facebooks, google, amazone, etc ...
La France et l'Europe ont besoin de ce type d'investisseurs puissants et audacieux. Entre le crowd-funding (financement participatif), les business angels et l'entrée en Bourse, c'est le vide ou presque. La BPI, organisme d'État ne peut évidemment pas "trop" risquer l'argent du contribuable.
Ce vide explique l'incapacité des jeunes pousses à grandir vite, faute de capitaux. Il faut dire aussi que les hedge funds ne sont pas tous gagnants: beaucoup perdent et perdent beaucoup, certains disparaissent.
Les fonds
Il y a dans le monde une masse énorme de capitaux disponibles, estimée à 70 000 milliards de dollars. Qui détient cet argent ? Des États, des fonds de retraites, des fonds souverains, des entreprises (Apple aurait plus de 100 milliards de cash), de très riches particuliers etc...
Il y a en face de ces ressources des besoins immenses: les entreprises, les Etats en déficit, les créateurs d'entreprises.
Entre les deux, il y avait pendant longtemps deux intermédiaires possibles:
LES BANQUES
et LES MARCHÉS.
Une troisième catégorie d'intermédiaires est apparue, LES FONDS.
L'industrie des fonds s'est développée à l'initiative des banques et surtout des banques spécialisées (banques d'affaires, banques d'investissements) pour faciliter la vie des investisseurs et les aider à placer au mieux leurs avoirs, en bourse, sur les marchés ou directement auprès des entreprises.
Les fonds offrent aux investisseurs des produits de placement sur-mesure et simples à utiliser. Les plus courants: les SICAV, les Fonds spécialisés. Les plus sophistiqués des fonds et les plus prestigieux ont été créés par des banques d'affaires new-yorkaises, qu'on appelle globalement Wall Street. Ou par d'anciens gestionnaires de ces banques qui se sont mis à leur compte pour créer des hedge funds.
Selon le degré de risque des placements proposés, les fonds portent des noms différents. Les investissement sur les marchés d'actions et les produits dérivés sont les plus risqués, c'est le domaine privilégié des hedge funds.
Le schéma ci-dessous résume cette situation:
Ce schéma représente l'ensemble de la finance mondiale!
Les flèches montrent le sens de l'argent, qui va de ceux qui ont des ressources à ceux qui en ont besoin.
1 - Tout en haut, le CIRCUIT DES FONDS
2 - Plus bas le CIRCUIT DES MARCHÉS : les placements donnent les financements
3 - Tour en bas le CIRCUIT DES BANQUES : les dépôts auprès des banques donnent les crédits
Les fonds captent l'argent des investisseurs auxquels ils proposent des placements à haut rendement, supérieurs à l'intérêt servi par les banques et aux rendements boursiers. Et surtout, certains d'entre eux utilisent des techniques de couverture pour éviter de perdre lorsque les marchés d'actions se retournent, lorsque les devises baissent subitement, etc.
A noter que les marchés représentent ici tous les marchés. Non seulement la bourse et le marché obligataire, mais aussi les marchés des devises, des taux d'intérêts, des produits dérivés, des matières premières..
Concrètement, comment placer de l'argent dans un fond ? Tout simplement en s'adressant à une banque, ou, s'il s'agit de sommes importantes (millions d'Euros), en se tournant directement vers un fonds connu. Par exemple, Carmignac, en France, Black Rock aux Etats-Unis, etc ...
Les allemands "fortunés" sont très friands d'investissements immobiliers. Des centaines de fonds spécialisés dans ce domaine prospèrent en Allemagne.
Les hedge-funds
Appelés aussi fonds alternatifs, les hedge-funds sont aujourd'hui banalisés. Hedge en anglais veut dire couverture au sens de la couverture des risques. Hedger une position veut dire qu'en cas d'événement imprévu le risque de perte est limité par un mécanisme de couverture. Le point clé est le degré de risque du fonds. Un fond risqué, dit spéculatif sera rarement en risque total. Donc il y a toujours une couverture pour éviter la catastrophe.
Cette couverture a un coût, mais le bilan bénéfice/coût leur permet d'offrir in fine des rendements supérieurs à la moyenne.
Pour obtenir de hauts rendements, ils utilisent toutes les ressources possibles pour analyser à chaque seconde quels sont les meilleurs placements en action, en obligations, sur les marchés en devises, en matières premières, etc... ... ou pour investir directement dans les entreprises qui ne sont pas cotées en bourse.
Ces fonds ne sont évidemment pas toujours gagnants, mais les meilleurs obtiennent effectivement des rendements impressionnants. Il ne faut pas s'étonner d'apprendre de temps à autre que tel ou tel d'entre eux a fait des pertes abyssales.
Il existe des dizaines de catégories de fonds, selon les secteurs économiques dans lesquels ils opèrent, selon les marchés sur lesquels ils se spécialisent et selon les techniques d'investissement adoptées.
Certains travaillent dans le long terme, d'autres dans la ... milliseconde, dans ce qu'on appelle le trading haute fréquence. Certains utilisent l'effet de levier extrême (100 de dette pour 1 de capital investi). Certains se spécialisent par type d'activité, comme l'immobilier, ou l'industrie électronique etc...
Les paradis fiscaux
Les médias ont beaucoup fantasmé sur les paradis fiscaux et les fraudes massives commises en ces lieux. La réalité est plus prosaïque.
Il y a effectivement dans le monde un certain nombre de pays ou de micro-pays qui se sont fait une spécialité de l'hébergement de sociétés "papier". Ainsi on peut créer en dix minutes une société à Panama ou à Monaco, lui ouvrir un compte en banque, désigner un ou plusieurs administrateurs fictifs.
L'avantage ?
- les frais de tenue de l'Assemblée Générale annuelle sont minimes, quelques centaines d'euros. La même société créée en France entraînerait l'obligation d'un véritable Conseil d'Administration et une gestion se chiffrant à plusieurs milliers d'euros annuels.
- la fiscalité des bénéfices est faible, mais cet avantage joue peu car les banques qui créent ces fonds les déclarent au fisc de leur pays et les bénéfices "off-shore" sont finalement taxés comme dans le pays d'origine. Seuls subsistent des avantages fiscaux ponctuels pour qui sait utiliser au mieux et légalement les finesses du droit fiscal.
Pour une banque qui gère une centaine de fonds, l'économie de gestion et d'impôts réalisée en plaçant les fonds dans les paradis fiscaux peut atteindre quelques millions d'euros! En toute légalité!
A noter qu'au début de 2016, l'un des plus gros et plus anciens hedge funds, Bridgewater, gère des placements d'une valeur de 169 milliards de dollars. Un changement de PDG est prévu dans le courant de l'année: il s'agit de l'ancien bras droit de Steve Jobs, l'inventeur de l'ipod. Cela pour marquer le changement de stratégie du fonds, désormais soucieux d'investir dans le secteur "geek", selon les propres termes de l'intéressé.
Chapitre 18 - Comptabilité : limites et zones de flou
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1-Les provisions pour risques
En dépit d’un impératif général de rigueur, certains éléments essentiels de la comptabilité relèvent de la subjectivité. Il en est ainsi des méthodes de dépréciation d’actifs et surtout de calcul des provisions, les provisions pour risques par exemple.
Comment savoir qu’un risque a été surestimé ou au contraire sous-estimé, voire ignoré?
Les provisions ont un impact direct sur le résultat, et leur détermination fait en conséquence l’objet de la plus grande attention de la part des dirigeants. Il y a certes des mécanismes autorégulateurs. Ne pas provisionner un risque ou le sous-estimer volontairement peut être tentant en ce qu’il permet de maintenir un résultat d’exploitation flatteur,... à court terme. Mais si le risque se matérialise pendant l’exercice suivant, l’impact sur le résultat sera d’autant plus fort, et le dirigeant peut se voir reprocher un manque d’anticipation.
L’impact des provisions pour risque est particulièrement sensible au niveau du résultat des organismes de crédit puisque, par définition, le risque est inhérent à leur activité. Le problème est que la détermination du « juste » niveau n’a pas de réponse automatique. Dans une certaine mesure, la fixation définitive du montant des provisions relève de critères « politiques », disons de politique financière.
Certes le commissaire au comptes et .. le fisc s’emploient à vérifier le bien-fondé des provisions. Ils le font par l'observation des statistiques de retard de paiements, voire par sondage sur certains dossiers. Mais leurs conclusions sont plus qualitatives que quantitatives. Comment contester une décision de fixer un taux de provisions à 0,5% d’un portefeuille de crédits plutôt qu’à 0,75% ?
La différence de 0,25% peut paraître minime, puisque 0,25% d’un portefeuille de 100 millions d’Euros par exemple ne représente que 250 000 Euros Mais rapporté au montant des fonds propres, soit 8 millions d’Euros (8% du portefeuille), cette différence représente 3,1%. En clair, le ROE, le rendement des fonds propres, est amputé de plus de 3%.
2-Valeur comptable ou valeur de marché (la fair market value)
Dans certains cas, la recherche de l’objectivité a conduit paradoxalement à la déconnexion entre la réalité comptable et la réalité économique. L’exemple le plus frappant est celui de l’évaluation des actifs immobiliers. Ces derniers figurent au bilan en valeur comptable nette, calculée en retranchant de la valeur d’acquisition l’amortissement légal, en parfaite application de l’orthodoxie comptable.
Le problème est qu’au bout d’un certain temps, par le jeu de l’amortissement cumulé, ces actifs ne figurent plus que pour une valeur dérisoire au bilan ! Or dans la durée, leur valeur économique n’est jamais nulle, bien au contraire. Le plus souvent elle ne cesse d’augmenter, en dépit de leur caractère cyclique.
La recherche des plus-values latentes sur ces actifs explique la motivation de certains opérateurs spécialisés dans les rachats d’entreprise. Les actifs immobiliers d'une entreprise n'ont pas vocation à faire l'objet d'un commerce et ne sont donc pas susceptibles d'entrée et de sorties fréquentes au bilan.
Il n'en est pas de même des actifs mobiliers. La crise des subprimes a illustré la difficulté du choix de la bonne méthode d’évaluation, entre valeur d’achat, dite « valeur historique » et valeur de marché.
Dans un contexte de forte volatilité des cours, l’évaluation de certains actifs mobiliers selon le principe de la valeur de marché a causé de graves problèmes aux banques, car il n’y avait plus de marché. Certaines d’entre elles, contraintes de prendre comme référence des opérations de liquidation effectuées dans la panique, ont du procéder à de lourdes dépréciations d’actifs. Ces dépréciations d’actifs, ont bouleversé leur équilibre bilanciel au point de les précipiter dans la zone rouge des règles de solvabilité.
Mais il est tout aussi clair que même en période dite « normale », l’évaluation d’un portefeuille de titres à partir du prix d’origine n’a pas beaucoup de sens, ce qui a expliqué d’ailleurs le passage à la méthode de prix du marché (market value) ou de « juste valeur » (fair value). La crise des subprimes a montré la difficulté à trouver une règle « juste » dans les cas extrêmes.
3-Le hors-bilan
Certains éléments touchant au patrimoine de l’entreprise ou à des risques liés à des engagements financiers ne figurent pas au bilan. On parle ici du « hors-bilan ». En fait, il faut faire une distinction entre ce qui fait l’objet d’une mention annexée au bilan, le « bas de bilan », de ce qui n’apparait pas dans le bilan, le « hors-bilan ».
On peut citer ainsi l’exemple ancien du leasing, ou celui plus récent des engagements de retraite de certaines entreprises.
Pendant longtemps en France (et actuellement encore dans de nombreux pays), les financements en leasing n’apparaissaient pas au bilan des entreprises. C’est d’ailleurs une des raisons qui ont fait le succès de cette formule. Cela n'a pas empêché les banques faisant par ailleurs crédit à ces entreprises de considérer les engagements en leasing comme une dette. La prise en compte de cette dette « cachée » a en effet une incidence non négligeable en terme d’analyse de risque.
En France les règles comptables imposent à présent la mention des engagements au titre des contrats de leasing. L’encours résiduel des contrats en cours doit être précisé explicitement..
La même chose se produit actuellement ou va se produire en ce qui concerne le problème de retraites. Les engagements des entreprises à ce titre sont progressivement révélés, et les montants qui apparaissent sont souvent considérables, en valeur absolue et au regard de leurs fonds propres. Ce problème, qui touche des entreprises moyennes et pas seulement de grands groupes est moins sensible en France où la notion de retraite "maison" est moins répandue qu'ailleurs dans le monde.
Le problème le plus délicat du hors-bilan est lié à aux situations de déconsolidation. Les exemples abondent de situations où la reconsolidation s’est imposée, ce qui a pour conséquence une modification profonde de la structure du bilan.
La crise des subprimes en fournit à nouveau l’illustration, dans le domaine de la banque. certaines d'entre elles avaient créé des structures juridiques indépendantes, en dehors de leur périmètre de consolidation. Ces structures ont finalement dû faire l’objet de réintégration comptable avec à nouveau un effet de bouleversement des ratios de bilan.
4-La dispersion juridique
L’effet de flou est particulièrement marqué dans le cas de la dispersion de l’activité de certaines entreprises. Ce phénomène, qui n'est pas seulement le fait de groupes internationaux, touche également des PME. Il semble concerner les ensembles familiaux, quelques soient leur taille.
Toutes les entreprises, à des degrés divers, ont recours à l’optimisation fiscale. Ces pratiques conduisent certaines d'entre elles à créer des sociétés plus ou moins fictive de concentration des flux de trésorerie, ou à transférer ailleurs le siège de l’une de leurs activités. On peut citer à titre d’exemple les centres de coordination en Belgique ou l’attrait particulier de la Hollande comme siège principal. Ces « délocalisations » juridiques partielles n’affectent pas vraiment la lisibilité comptable et financière de l’ensemble.
Un vrai problème d’opacité apparaît en revanche dans certains groupes, par une sorte d’effet champignon. Une multitude de sociétés sont créées, sociétés de patrimoine, sociétés de services ou sociétés à vocation financière. Ceci peut même concerner l’activité industrielle du groupe, littéralement "éclaté" entre plusieurs entités juridiques. L’ensemble repose sur un système de prestations inter-entreprises. Chaque unité reçoit et apporte - contre rémunération - des biens et/ou des services aux autres.
Certes les entreprises pratiquent la fusion des comptes de l'ensemble des sociétés, ce qu'on appelle la consolidation. Mais là aussi les méthodes sont différentes d'un continent à l'autre. L'image résultante de cette consolidation peut être trompeuse.
Dans ce contexte l’analyse de crédit devient un véritable casse-tête. Ce n’est pas seulement le calcul des agrégats comptables et des ratios qui pose alors problème, mais surtout la détermination de la contrepartie juridique la moins risquée.
Chapitre 19 - Le cash-flow
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Principe
Le concept de cash-flow répond à une question simple : quelle est la "vraie" marge créée par une entreprise? Qu'est-ce que cette entreprise gagne vraiment ?
La réponse à cette question n'est pas évidente. Le premier réflexe est de se référer au résultat net tel qu'il ressort de la comptabilité. Ce résultat comptable a le mérite d'exister et d'être publié. C'est d'ailleurs la référence du calcul de l'impôt et des dividendes. Mais ce n'est pas si simple.
Le problème est qu'il n'est pas un bon indicateur de la rentabilité, car il y a des éléments qui "perturbent" son calcul. C'est le cas des provisions et surtout de l'amortissement, qui ne représente pas une dépense réelle, mais qui peut le devenir, lorsque l'entreprise change son matériel.
Pour permettre d'apprécier pleinement la performance d'une entreprise, ou pour comparer des entreprises entre elles, on a donc recours au cash-flow qui est un bénéfice net retraité, c'est-à-dire calculé comme s'il n'y avait pas d'amortissement.
A noter qu'il existe une autre interprétation du cash-flow, au sens de l'analyse de la trésorerie de l'entreprise sur une période donnée.
Calcul
Voici la première définition du cash-flow. C'est la plus courante, celle qui est par exemple enseignée aux étudiants des business schools et utilisée par les analystes de crédit.
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Cette formule est plus "parlante" si l'on regarde la place de l'amortissement dans la séquence de calcul du bénéfice. Comme le schéma ce suggère, on a en quelque sorte extrait l'amortissement de l'ensemble des dépenses pour ne faire apparaître que les "vraies" dépenses.
Si l'on fait un nouveau calcul du résultat avec seulement ces VRAIES DÉPENSES , on obtient le cash-flow.
Il y a donc deux manières de calculer le cash-flow :
de HAUT en BAS : CASH-FLOW = VENTES - "VRAIES" DÉPENSES |
de BAS EN HAUT: CASH-FLOW = BÉNÉFICE + AMORTISSEMENT |
Ainsi, ajouter l'amortissement au bénéfice, c'est la même chose que ne pas le retrancher des ventes. Dans les deux cas on a considéré que l'amortissement n'était pas une dépense comme les autres, ce n'est pas une dépense opérationnelle.
Avant d'examiner pourquoi l'amortissement n'est pas considéré comme une "vraie" dépense, voyons la deuxième définition du cash-flow, consistant à tenir compte aussi des provisions comptables.
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Ces deux définitions du cash-flow peuvent être illustrées comme suit:
Dans ces définitions le point central est en effet la notion d'amortissement.La raison d'être du cash-flow est donc que le bénéfice comptable de l'entreprise ne rend pas vraiment compte de sa rentabilité. Le cash-flow résulte d'un recalcul de ce bénéfice.
Notion d’amortissement
Le bénéfice, tout le monde "voit" ce que c'est, mais l'amortissement, c'est moins clair. Pour comprendre il faut faire une incursion dans la comptabilité.
L'amortissement est un drôle de concept, c'est un concept flou. Plus précisément, son calcul est flou dans l'univers rigoureux de la comptabilité. Il y a d'ailleurs d'autres concepts de même nature (comme les provisions évoquées ci-dessus).
Cet aspect des choses n'est pas explicité aux étudiants. Le discours convenu et l'usage comptable indiquent que l'amortissement est lié à la durée de vie, donc à l'obsolescence des investissements. Sauf que personne n'est capable de déterminer cette durée de vie avec exactitude.
Pour expliquer l'origine de l'amortissement, un petit détour. Le bénéfice est grosso modo la différence entre les revenus et les coûts. Le bénéfice du boulanger, par exemple, est ce qui reste quand on retire du produit des ventes de pain les dépenses liées à cette activité, l'achat de farine, le salaire de la vendeuse, l'électricité, etc... Mais supposons qu'un jour le boulanger décide de changer son four. Grosse dépense, énorme dépense même, susceptible de bouleverser le calcul de son bénéfice. Ce bénéfice va fortement diminuer, peut-être se transformer en perte l'année de l'achat, même si les ventes de pain connaissent un bel essor. Donc le bénéfice calculé de cette manière ne rendrait plus compte de la performance économique.
Pour se rapprocher de la réalité "économique", "on" a eu l'idée d'étaler la dépense d'investissement dans le temps. Plutôt que la considérer en totalité, cette dépense est fractionnée sur plusieurs années successives. Et pour rendre comparables les calculs de bénéfices, on a défini des durées-types par catégories d'investissements. Le critère retenu a été celui de la durée de vie estimée des investissements concernés. On" c'était les associations de normalisation comptables. Le fisc s'en est mêlé, puisque l'étalement change le calcul de l'impôt annuel sur les bénéfices.
Résultat: une mesure de bon sens, mais des interprétations multiples. Ceci explique pourquoi la plupart des entreprises ont au moins deux comptabilités, une comptabilité disons "économique" et une comptabilité fiscale. Le but n'est pas le secret ou la fraude. Cela résulte simplement des différences d'interprétations de certains concepts - par exemple l'amortissement - entre l'administration fiscale et les normes comptables. Quand on sait que les normes ne sont pas encore harmonisées au plan fiscal et que chaque fisc a ses "particularités", on imagine le casse-tête des auditeurs chargés de faire les états consolidés d'une multinationale...
Utilité du cash-flow
Le cash-flow est utile pour évaluer la rentabilité et la valeur des entreprises. Cet élément dérivé de la comptabilité intéresse donc au premier chef les banquiers qui prêtent, les agences de notation et les banquiers d'affaires impliqués dans les opérations en capital: ventes d'entreprises, introduction en bourse, fusions, etc...
Les banquiers qui prêtent, et les Agences de Notation, utilisent les ratios de Cash-Flow, comme par exemple le ratio Cash-Flow / Chiffre d'Affaires, mais ce n'est qu'un ratio parmi d'autres. L'analyse de risque est une discipline qui demande une technique rigoureuse, bien-sûr, mais aussi la capacité de jugement. Et cette capacité de jugement s'acquiert avec l'expérience. Un peu comme le médecin qui se doit d'ajouter un "vécu" à ses connaissances théoriques.
Les banquiers d'affaires et les sociétés de conseil utilisent la très populaire méthode dite des Cash-Flows Actualisés - Discounted Cash-Flows - qui est l'une des méthodes d'évaluation de la valeur d'une entreprise. En pratique cette méthode est utilisée conjointement avec d'autres, comme la valeur comptable, la valeur en bourse, ou la valeur actualisée des dividendes. Comme toujours, en matière de prix, le "vrai" prix est celui qui est effectivement payé à un moment donné par un acheteur.
Ebitda, cash-flow et free cash-flow
L' ebitda (earning before interest, tax, depreciation and amortization ) est un concept proche du cash-flow qui ne tient pas compte des intérêts payés. Il est notamment utilisé pour la valorisation des entreprises, avant une introduction en bourse par exemple. Cela dit, il présente des variations de calcul d'une banque à l'autre. ...
Le free cash-flow intéresse particulièrement les banquiers sollicités pour de nouveaux crédits et les actionnaires, car il mesure l'argent réellement disponible pour rembourser de nouveaux emprunts et payer des dividendes. Pour le calculer, on tient compte des dépenses "nécessaires" pour maintenir en l'état l'appareil de production. Le free cash flow est inférieur au cash-flow. En pratique, ce free cash-flow est calculé par l'entreprise elle-même, et il est mentionné dans son rapport annuel.
Cash-flow et négociation
Comme cela a été dit, le cash-flow est principalement utilisé pour le calcul de ratios dans le cadre de l'analyse de risque ou pour le calcul de la valeur d'une entreprise. On est alors dans le domaine de l'incertain, de l'estimation et surtout de la négociation.
Les analystes de crédit s'efforcent de déterminer le "vrai" risque d'une entreprise, ce qui est évidemment impossible à mesurer. Pour donner à cette mesure une apparence d'objectivité, on va utiliser les mêmes critères, les mêmes ratios d'une entreprise à l'autre.
On peut imaginer par ailleurs les batailles de banquiers conseils d'entreprises en pourparlers dans une opération de fusion-acquisitions. Les uns vont essayer de minimiser la valeur de l'entreprise, les autres de maximiser cette valeur. Les calculs et recalculs de cash-flows "corrigés" ou pas de certaines provisions, sont l'une des armes de ces négociations.
Flux de trésorerie
Il existe une autre interprétation du cash-flow au sens des flux financiers, et de l'analyse de la trésorerie.
Cette interprétation ne contredit pas vraiment la précédente mais elle risque de semer le trouble. Dans cette lecture, il est considéré que l'activité de l'entreprise génère progressivement un flux de liquidités tout au long de l'année. Ce flux n'apparaît pas dans la comptabilité car il est disséminé dans l'entreprise. Une partie est notamment absorbée par les variations de stocks, le crédit-client et le crédit fournisseur (ce qu'en jargon comptable on appelle le Besoin en Fond de Roulement, le BFR ). Le point le plus déroutant relève et de la terminologie et de l'apparente confusion des concepts.
Un directeur financier d’une entreprise mobilise parfois ses troupes sur le thème: "Il faut réduire le BFR". Dans les mêmes circonstances, le discours de son homologue d'un groupe américain aurait été: "we have to increase our CASH-FLOW".
Dans les deux cas, il s'agit en fait du même message, exprimé différemment. Le but recherché est d'améliorer la trésorerie de l'entreprise, de manière à produire deux effets: réduire l'endettement et donc réduire les frais financiers.
Le calcul du "flux de trésorerie" figure dans les rapports annuels des sociétés. Le point de départ est le cash-flow de "rentabilité", auquel on ajoute, ou retranche tous les éléments ayant affecté la liquidité.
Ebitda
La formule signifie earnings before interest, taxes, depreciation and amortization, ce qui se traduit par "marge avant frais financiers, impôts et amortissements". L'idée est de savoir ce que l'entreprise a gagné AVANT ses amortissements (comme le cash-flow), AVANT de payer ses impôts (qui varient d'un pays à l'autre), AVANT ses provisions et les frais financiers (qui , l'un et l'autre, ne sont pas liés à l'activité).
L'ebitda se calcule à partir du cash-flow (ebitda= cash-flow (bénéfice net plus amortissement) + impôts+intérêts+provisions). L’ebitda intéresse surtout les marchés. Dans un secteur donné, la comparaison des ebitda des entreprises permet d'identifier celles qui sont promises aux meilleures performances boursières..
Une harmonisation internationale n'a pas pu être trouvée sur l'utilisation et le sens du mot cash-flow. Il faut donc s'habituer à la coexistence de termes et de concepts différents, dont chacun correspond à un contexte professionnel particulier: ebitda, marge d'autofinancement, cash-flow libre.
Cette diversité de points de vue explique la difficulté à codifier cette notion de cash-flow. On comprend la complexité des rapports annuels sur ce point. Ces rapports annuels sont destinés à un large public: les banques prêteuses, les analystes de bourse, les investisseurs futurs, les actionnaires du moment, etc .... Les rapports annuels donnent tous les éléments permettant à chacun de faire ressortir l'agrégat qui l'intéresse.
PARTIE III – COMPLÉMENTS
Chapitre 20 - S’informer, se former : où, comment ?
L’impossible objectivité des médias
Bien s’informer est bien-sûr souhaitable, c’est une question de temps et d’organisation. L’information idéale, complète et objective n’existe probablement pas. Intentionnellement ou pas les médias colorent toujours l’information d’une part variable d’interprétation. C’est ainsi.
D’un commentateur à l’autre les analyses sont différentes. Il y a bien-sûr les lignes éditoriales, marquées et reconnues. Il y aussi des différences moins apparentes. Ainsi, d’un média à l’autre, d’un journal télévisé à l’autre, les titres sont différents, l’ordre des sujets, la mise ne valeur des faits, les citations sont différentes.
Dans l’univers franco-français, des nuances sont peu perceptibles au premier abord. Tout change au contraire lors d’un changement de contexte. Sur des sujets identiques, la presse non-française n’a pas les mêmes angles, les chaines de télévision européennes ou américaines n’ont pas les mêmes angles. Les titres, le choix des sujets sont différents.
Le biais incontournable dans la restitution de l’information grandit naturellement en fonction de la complexité ou de l’abstraction des sujets abordés. L’économie, la banque et la finance sont particulièrement concernées
Plusieurs sources
On peut néanmoins s’affranchir de ces difficultés par le recours à plusieurs sources.
La représentation du réel, la « vérité » du monde pourrait-on dire, est quelque part au centre, dans l’intersection des points de vue juxtaposés. Cette juxtaposition est une manière de réduire les inévitables distorsions d’information.
Il faut lire chaque jour au moins deux journaux « papier », suivre plusieurs journaux étrangers en ligne. Ecouter chaque semaine plusieurs émissions radio et télé. Ce programme, à première vue difficile à suivre suppose une discipline stricte, et principalement la séparation des genres.
On ne peut pas tout lire d’un support donné, journal ou magazine, et il ne faut surtout pas tout lire, sous peine de perdre un temps précieux. L’exception à la règle est le voyage intercontinental. Faute de mieux, ayant épuisé toutes les autres possibilités de distraction, la tentation est grande de lire de A à Z et à la suite tous les magazines de bord. La vie de tous les jours laisse à peine le temps d’une information minimale. Le surplus de temps disponible à l’occasion du voyage donne le sentiment épisodique de combler cette frustration.
Ce problème d’organisation est important car il s’agit de préserver un élément capital qui est l’envie, et ce qui est lié, le plaisir. Le travail sur papier et le travail sur internet se complètent harmonieusement. a raison de la multiplication des sources est simple.
Comment faire ?
Mais comment faire, puisque le temps de chacun est limité. Il suffit d’adopter une discipline très simple. S’interdire la lecture des faits divers ou de l’actualité. Pour rester au courant, la radio en voiture suffit. Le temps précieux de la lecture doit être efficace. Donc choisir ses sujets, deux ou trois. Politique intérieure, relations internationales, économie. Ajouter à cela quelques dossiers particuliers, certaines entreprises, conseils boursiers, suivi d’un secteur industriel
Le programme idéal
Tôt le matin:
NEW YORK TIMES, SPIEGEL, ILSOLE24ORE – 30-45mn
La @-revue de presse internationale
C’est le moment de la revue de presse, personnalisée, sur internet. De préférence sur grand écran voire tablette, genre ipad mini. L’écran permet la vue d’ensemble et la sélection rapide des articles du domaine « éco-fi ». Il faut faire l’effort de ne pas s’attarder sur l’actualité « ludique » et privilégier les grands sujets d’intérêt mondial donc susceptibles d’être abordés dans chaque journal, ce qui permet les comparaisons. Si le temps manque, il est facile de « marquer » un article pour une lecture ultérieure. La manière la plus simple de faire est de s’envoyer un mail à soi-même ou via sa page facebook. Il est très facile de créer un compte facebook dédié, qui devient une sorte de bibliothèque personnelle et partageable des meilleurs articles, consultables à tout moment.
Quels journaux internet ? Pour les étrangers, New York Times, Spiegel, El Pays et Il sole24ore sont les plus agréables à parcourir et surtout gratuits ou à peu près. Il faut compter quelques six mois de pratique patiente pour être à l’aise dans le vocabulaire économique de chacun d’eux. A l’exception du Spiegel, qui demande une vraie connaissance de la langue. On peut faire l’impasse sur les versions internet des journaux français. Le Monde et Le Figaro réservent les analyses de fond aux abonnés. Les Echos deviennent payants après quelques articles consultés et le site, trop touffu, ne permet pas une « revue de presse » rapide.
Matinée : Les Échos
Le journal papier
Le quotidien économique français est incontournable, son format agréable. Les Échos sont le quotidien de référence en France pour ce qui est de l’économie et de la Finance. Comme ailleurs l’autocensure est bien présente Il ne faut pas mécontenter son électorat de base, cadres et dirigeants de banques, ou d’entreprises.
Midi : BLOOMBERG 1heure
Le moment de qualité « universitaire »
Ce moment de la journée est susceptible d’être le plus riche, à condition de disposer d’une plage d’environ une heure. C’est le moment de la chaine « Bloomberg ». Cette chaine de télévision peut être suivie en direct partout, en 3G et a fortiori en 4G sur n’importe quel support, y compris le smartphone. Dans ce dernier cas, les graphiques ne sont pas très lisibles, mais ce n’est pas fondamental. On peut la suivre également en version internet, avec en prime, le différé. Un must, disponible en chaîne Télé ou via internet. L’intérêt de cette chaîne est multiple. Une forme d’objectivité, d’abord qui résulte d’une attitude de questionnement permanent. L’équipe de journaliste fait défiler une suite d’ « experts » d’origines différentes. Ce sont des CEO ou des CFO de grandes sociétés ou de grandes banques. Les choix sont faits naturellement en fonction des problématiques d’actualité. Sont également sollicités des universitaires. Entre deux interviews, menés à plusieurs, les journalistes discutent entre eux. Ils le font sur la base des données économiques et financières du moment et leurs explications sont illustrées par de très nombreux graphiques. Le niveau est élevé, les discussions sont techniques. C’est vraiment une chaine de « pros ». Une sorte de cours d’université en continu.
Bloomberg TV mérite une mention spéciale. La chaîne est de niveau quasi-universitaire. Il y a vraiment un cap à passer avant d’en apprécier toutes les vertus. Il faut bien connaître le sens des mots et des concepts « basiques » comme IPO, hedge fund, leverage, swap, etc… tous éléments expliqués dans le site de e-learning de l’auteur, Et avoir aussi une culture économique elle-même « basique ».
Le principe du programme en continu est simple. Trois ou quatre journalistes discutent tour à tour entre eux et avec des invités. Les sujets sont ceux du moment. Les invités sont avant tout des personnalités éminentes du monde des affaires: CEOs d’entreprises ou de grandes banques, ministres, représentants des banques centrales, fondateurs de hedge funds, écrivains spécialisés, universitaires. Le rythme est rapide. A droite de l’écran, en colonne, l’actualité économique et financière défile en boucle. En bas de l’écran, les cotations remarquables des marchés, en temps réel.
La diversité des intervenants, la qualité des journalistes donnent au moment Bloomberg une dimension inégalée. Il n’y a pas de vérité affirmée, mais un questionnement permanent et une atmosphère de courtoisie. L’impression de recherche de la vérité fait penser à un monde universitaire idéalisé, où le discours serait multiple et non plus dépendant d’un seul « professeur censé détenir le savoir universel. C’est mieux qu’un MOOC.
Le soir : les journaux papiers Français 30mn
Les journaux français En revanche, on peut y trouver des analyses plus libres du camp adverse. Le Figaro en France renseigne mieux sur ce qui se passe à gauche que son grand concurrent du soir. … à condition d’éviter les tribunes polémiques. Le Monde excelle en pépites inattendues, reportages insolites, biographies ou autres. L’économie et la finance ne sont pas son point fort. Encore moins que Le Figaro, dont les pages saumon n’ont de l’imitation du FT, le Financial Times, que le point commun de la couleur.
Le week-end : The Economist 30mn
C’est l’hebdo le plus vendu dans le monde. La langue est impeccable. Les articles ne sont pas signés et sont tous censés représenter l’opinion du journal. Une opinion « pro-british », comment en douter donc prompte à mettre en exergue les défauts réels ou supposés de l’Europe. Le magazine vendu en dehors du Royaume-Uni est dépourvu de publicité, ce qui le rend particulièrement agréable. La ligne est « pro-british », ce qui ne doit pas surprendre. Les contenus sont plus politiques qu’économiques. La particularité de ce magazine est que les articles ne sont pas signés et donc expriment l’opinion unanime de la rédaction.
Chapitre 21 - L’enseignement de l’économie et de la finance
L’enseignement de l’économie en France ne parait pas en rapport avec l’importance du sujet dans le monde actuel. Du Lycée à l’Université, en passant par les Écoles de l’enseignement supérieur, ce domaine est loin d’occuper la place qu’il mérite dans les programmes de l’Education nationale. L’économie, au sens large c’est-à-dire incluant la banque et la finance, est le parent pauvre de l’enseignement.
Et quand il est effectivement question d’économie, la manière de présenter les choses fait apparaître de nombreuses lacunes. Ainsi, du Lycée à l’Université en passant par les Écoles d’ingénieurs ou les Écoles commerciales, il n’est vraiment question ni des banques, ni de l’euro, ni de la BCE. Ceci bien-sûr en dehors des enseignements bancaires spécialisés délivrés ici et là.
Dans les Écoles de l’enseignement supérieur par exemple, l’enseignement de l’économie met l’accent sur deux volets, la pensée économique et la modélisation mathématique, ce qu’on appelle l’économie quantitative.
Quant à la partie « entreprises », cet enseignement aborde des sujets très spécialisés, comme l’étude de la liasse fiscale ou du cash-flow. Entre macro-économie et micro-économie, le gouffre est béant. Le rôle des banques et des marchés dans le financement de l’économie, la problématique des entreprises confrontées à la globalisation sont des sujets à peine évoqués. La pensée économique et la modélisation mathématiques ne sont pas sans intérêt, mais un enseignement réduit à ces sujets manque l’objectif pédagogique principal qui est de donner aux apprenants les outils d’une compréhension du monde.
Ce qui manque sans doute le plus est certainement une approche globale des différents sujets. Dans le monde réel, il n’y a pas d’un côté les entreprises, puis la banque et par les banques et plus loin les marchés Dans le monde réel, ces sujets sont liés. Il ne suffit pas de nommer les choses, il faut aussi les expliquer et les mettre en perspectives en relation avec l’actualité.
L’article ci-dessous, écrit par l’auteur du livre, résume la situation en France.
L’économie, parent pauvre de l’enseignement
Article paru dans le journal LES ECHOS le 25 juillet 2014
« L’économie et la finance figurent parmi les sujets d’actualité les plus commentés et … sans doute les plus méconnus des Français. Dans ces domaines comme en d’autres, la substitution de l’émotion à l’analyse est l’indice de cette méconnaissance. C’est ainsi que la finance, l’euro, les marchés financiers ou les banques sont régulièrement qualifiés d’ « absurdes, spéculatifs, atteints de folie, débridés » et ainsi de suite.
Difficile cependant de blâmer ceux qui se prêtent à ces facilités de pensée. L’économie, la banque et la finance sont, avec le droit, des matières quasiment absentes des programmes scolaires. On peut d’ailleurs aller plus avant dans le diagnostic : la compilation des programmes d’études de grandes écoles de commerce françaises ou étrangères est pleine de surprises. L’économie et la finance y sont effectivement enseignées, mais de manière étonnamment abstraite.
L’économie est ainsi confondue avec l’histoire de la pensée économique ou les modèles mathématiques. Quant à la finance, l’enseignement couvre généralement deux volets de ce vaste domaine, la finance de l’entreprise et la finance des marchés. Mais outre la comptabilité, considérée de manière plus ou moins synthétique, il s’agit surtout de mathématiques financières et de modélisation statistique des risques appliquée à la gestion de portefeuille. Cela se comprend au regard de la qualification des enseignants-chercheurs, dont les cours dérivent des recherches.
Un diplômé d’HEC, de l’INSEAD, de la Nanyang Université de Singapour ou de Bocconi n’ignorera rien du calcul des taux internes de rentabilité et pourra commenter intelligemment le concept d’efficience des marchés. Mais de la crise des subprimes, de la titrisation, des eurobonds, de Bâle III, du marché monétaire ou de la problématique de l’euro, il ne connait en revanche que les flashes d’actualité zébrant par instants l’écran de son smartphone.
Il suffirait pourtant de si peu de choses ! Prenons la titrisation, sujet d’actualité récurrent et sujet mystérieux s’il en est. Moins d’une heure suffit pour l’expliquer à un élève de terminale. Or la titrisation est encore dans les esprits du plus grand nombre une boîte noire, plus ou moins responsable de la crise des subprimes, alors qu’elle n’a été à cet égard que l’un des maillons d’une chaîne.
Des banques françaises, la BCE et plus récemment le commissaire français à Bruxelles évoquent prudemment l’introduction de cette technique en Europe. C’est en effet le moyen de compléter les capacités limitées des banques en matière de crédits aux entreprises. Comme l’ont fait les Américains, il y a bien longtemps, dans le cadre du New Deal ! La prudence des responsables financiers et politiques en France et en Europe est à la hauteur des craintes de l’opinion sur des sujets qui lui sont étrangers. On pourrait évoquer de même des sujets plus familiers et non moins méconnus : comment fonctionne une banque, comprendre les chiffres d’une entreprise.
Il faut le dire et le redire, l’acquisition du bagage élémentaire permettant le décryptage des sujets économiques et financiers les plus importants est l’affaire de quelques heures d’étude seulement, voire de quelques jours. Le rapport bénéfice - effort d’acquisition de ces connaissances serait considérable, pour les citoyens comme pour la puissance publique. Il est temps d’agir pour combler ce déficit d’éducation! »
Conclusion
Tout n’a pas été dit dans ce livre car tel n’est pas son but. Celui-ci était de montrer que la finance n’est pas le domaine obscur voire hostile que l’on peut imaginer. Mais au contraire, que la banque, la finance et l’économie se mélangent en un paysage unique que le lecteur est invité à parcourir.
Le récit est celui d’un survol paisible de régions peu ou mal connues et dont on perçoit peu à peu les contours et la réalité. Un survol agrémenté de plongées occasionnelles pour des observations précises mais sans jamais perdre de vue le contexte.
Le lecteur est invité à poursuivre seul le chemin dont les grandes lignes lui ont été tracées. Les moyens ne manquent pas. La presse, internet, les journaux spécialisés et Google constituent autant d’outils à la disposition de chacun. Il pourra consulter utilement le site de e-learning de l’auteur infofi2000.com.