3-Grandes Écoles
Titre original: Casser le plafond de verre des diplômes français
Réformer les Grandes Écoles, les diplômes, les enseignements: autant de sujets récurrents, auxquels la proposition de suppression de l’ENA a donné une actualité nouvelle. Symboles de réalités que beaucoup qualifient d’inégalités, les Grandes Écoles se doivent d’évoluer, mais leur suppression n’est sans doute pas la meilleure idée.
Un regard apaisé sur le système français suggère d’en évaluer l’efficacité à l’aune de sa contribution au bien commun. Et sur ce point, le bilan est effectivement mitigé. La comparaison internationale permet d’observer que les Grandes Écoles n’ont pas permis à notre pays de briller particulièrement sur le plan des réussites industrielles. Mais surtout le système a créé une multitude de plafonds de verre nocifs dans les entreprises et dans les administrations françaises.
Hors de France, l’ascension interne au mérite va souvent de soi. Il n’est pas rare qu’un « simple » technicien allemand ou américain devienne chef de projets et dirige à ce titre une équipe d’ingénieurs diplômés, chose inconcevable en France. Combien de cadres ou de fonctionnaires talentueux sont chez nous privés d’une progression de leurs responsabilités, faute de posséder le parchemin ad’hoc.
Le corollaire de cette « bunkerisation » du statut des diplômés français est la quasi-absence de ces derniers dans les PME. Il faut voir ici l’une des raisons de la supériorité des PME allemandes, plus nombreuses et plus actives à l’export que leurs homologues françaises.
Le deuxième enseignement de la comparaison concerne la notion très française de tête bien faite. Nous sommes fiers de la « culture générale » de nos diplômés.
C’est vrai que la littérature et la philosophie ont leur place dans les « prépas » françaises. Mais non moins vrai aussi que cette culture générale quelque peu mythique s’évapore dans le cursus d’école et que par exemple la finance, les langues et le droit sont les parents pauvres des formations d’ingénieur.
Mais plus grave, l’ambition du diplômé français s’éteint dès lors qu’il a touché le sommet de l’édifice. Réputé intelligent à vie, il a rejoint le peloton de tête des meilleurs, son positionnement professionnel est peu ou prou garanti. Un sentiment qui existe en fait dès le succès au concours d’admission à l’École. Et les deux ou trois années d’École qui suivent sont au mieux une détente propice à l’exploration des curiosités personnelles, et au pire un gâchis.
Ainsi, pour quelques happy few qui ont accès aux précieux talismans et que le système protège, notre économie se prive de nombreux talents qui n’ont pas le label « diplômé de Grandes Écoles ». Aucune échelle de secours ne permet de percer ce plafond de verre paralysant inscrit dans les faits et dans les esprits.
Il existe certes des entrées parallèles, souvent confidentielles, dans la plupart des Écoles. Sous l’effet des accords européens, elles ont été contraintes d’ajouter la filière Licence-Master-Doctorat au cursus traditionnel. Un changement bienvenu car susceptible d’amorcer la dissipation de l’ « entre-soi » caractéristique de leur univers.
En fait, la solution d’avenir pourrait bien venir de l’exemple d’une institution … établie en France, l’INSEAD.
Le fameux Master of Business Administration, le MBA, y est obtenu en dix mois d’études, sans concours et sans obligation de diplômes antérieurs. Et pourtant cette école dépasse régulièrement HEC et l’ESSEC dans les classements internationaux !
L’admission à l’INSEAD repose sur les capacités intellectuelles des candidats, mesurées par le test standard des business schools américaines, et sur la personnalité, appréciée à l’aune du parcours professionnel. Vivacité, ouverture aux autres, originalité et cohérence des expériences, humilité et ambition sont quelques-uns des critères évalués par le jury d’admission.
Le contraste est frappant entre les populations d’élèves de cette École et ceux d’une Grande École française. A l’INSEAD le mélange savamment dosé des nationalités, des formations et des expériences antérieures va de soi. Le juriste allemand, l’économiste argentin, cotoient l’ex-officier anglais, l’ autodictate français créateur d’entreprise, ou l’héritier d’un empire industriel américain.
On imagine sans peine la différence avec les Grandes Écoles françaises et leurs élèves « formatés ».
Sans aller aussi loin qu’à l’INSEAD, la recherche de la diversité pourrait inspirer à ces Grandes Écoles une première étape, certes modeste mais ô combien souhaitable, l’admission parallèle de cadres trentenaires à « haut potentiel » issus des entreprises. Il leur serait ainsi donné la chance de percer le plafond de verre, pour leur plus grand bien, celui des Écoles et de notre société.
Alain Lemasson |