Goethe et Chateaubriand
UNE FANTAISIE
d’Alain Lemasson
(LinkedIn le 14 juillet 2020)
La Révolution internet
On a retrouvé les mails échangés par Goethe et Chateaubriand …
5 mai 1806 - Cher René, je ne sais que vous n’aimez point trop l’usage de cette invention nouvelle, mais je ne résiste pas au plaisir de vous parler dès maintenant de votre empereur. Figurez-vous qu’il m’a fait venir à lui hier, à Iéna, dans son camp de commandement. Et vous ne croirez pas quel fut l’objet de notre conversation . Werther ! Oui, mon premier livre, écrit il y a presque trente ans et qui me suit comme une malédiction. « Monsieur Goethe m’a-t-il dit sans préambule, j’ai lu et relu 5 fois « Les souffrances du jeune Werther »… Et il s’est ensuite lancé dans un long monologue. Voulait-il m’impressionner, était-il vraiment à ce point passionné par le livre, je vous avoue ma perplexité et voudrais vous demander votre avis. Votre Johann.
5 mai 1806 – Cher Goethe, j’admire, quoique sans la partager, vous le savez, votre juvénile passion pour les techniques nouvelles de communication. Mais comment pouvez-vous ne pas percevoir la terrible menace qu’elles recèlent, la fin de l’écriture, la fin de la pensée profonde, le triomphe de l’immédiateté, en bref, la lente déliquescence de la culture….
Oui Napoléon ! Il a rétabli l’ordre et restauré l’âme d’un pays que les révolutionnaires avaient détruite. Sa déclaration d’amour à propos de Werther ? Hubris et calcul. Je pense qu’il a voulu préparer la prochaine émission de la Grande Librairie qui lui est consacrée. J’ai oui dire qu’il y serait question de la parution imminente de ses mémoires et qu’il y participerait d’une manière ou d’une autre. Vous savez que je me méfie du personnage, tout en reconnaissant son génie ! Votre René
6 mai 1806 Ah René ! Je vois que vous savez recourir aux techniques honnies. A contre-cœur sans doute, ou, devrais-je dire, à contre-esprit. Je ne désespère point de vous convaincre de leur magie, et plus que cela, de leur part d’humanisme. Humanisme, oui.. La culture, le savoir, la connaissance ne sont plus le fait de quelques-uns. Nul besoin de se déplacer pour s’en nourrir. Pensez, René, que les plus beaux écrits, les plus belles poésies, les œuvres d’art viennent chez vous, chez tous ! La fin d’une forme d’éloignement élitiste. Le concert résonne dans votre salon. Votre parole touche directement les lecteurs de vos livres ! Pensez-y ! Votre Johann
6 mai 1806 Cher Goethe Je crains que votre passion sincère pour les choses techniques, que dis-je, votre émerveillement devant les prouesses de la science ne détournent votre esprit de sa capacité critique. Comment pouvez-vous ne point voir les dangers de cet éparpillement annoncé de la culture ? Les plus grands trésors de notre civilisation déposés partout, au gré des vents, pour un usage incontrôlé. Ne craignez-vous point le détournement des pensées hardies de nos philosophes par des mécréants à des fins misérables de domination et de manipulation ? ,A l’instar de l’hostie sacrée déposée sur la langue du croyant, la culture ne se dépose pas sans préparation dans les esprits! Regardez les dégâts immenses de la révolution qui a coûté tant de vies et détruit tant de richesses. Les civilisations peuvent mourir, et de grands peuples ont disparu dès lors que le pouvoir a été pris par des mécréants. Songez que ces techniques que vous admirez tant véhiculent autant de mal que de bien. Et comment voulez-vous que, sans préparation, le bon peuple distingue le bon grain de l’ivraie ? Vraiment, ce sujet me tourmente ! Votre René.