Une vision pour la France
La vision de l'avenir fait défaut dans le discours politique. Acteur de transformations importantes pour l'humanité, notre pays incarne un art de pensée et de vivre reconnu. Il nous serait douloureux de perdre ce statut envié. Or que sera la France dans un siècle ou deux, si nous n'y prenons garde ? Très probablement une paisible région d'Europe, appréciée pour son climat et ses agréments.
Tel semble être en effet le sens de l'histoire. Notre pays s'est lui-même construit dans la fusion de régions autrefois prestigieuses, devenues à présent de belles endormies. Qui se souvient de la Normandie inspirée du Moyen-Age, de la Bourgogne éclairée du XVème siècle?
Tout laisse penser que l'Europe se construira ainsi, dans la fusion de pays au passé prestigieux. Qui se souviendra de la France des Lumières, de l'Allemagne de Goethe et de Bach, de l'Italie, de l'Espagne ou du Portugal? Qui se souviendra des cinq octrois, pardon, frontières de la ligne Nord Sud de l'Europe, de ses innombrables monnaies, de ses langues ?
Nous sommes les acteurs de cette fusion inexorable. Le train silencieux de l'intégration européenne avance chaque jour davantage. Les frontières juridiques, sociales et réglementaires tombent peu à peu. Dans deux ou trois générations, nos populations d'Europe seront mêlées. Le brassage des peuples aujourd'hui esquissé se généralisera. Les étudiants bougeront en masse, les cols bleus et blancs aussi. La formidable immigration des décennies à venir sera celle des pays voisins. La fameuse spécificité française sera balayée et, pour ce qu'elle a de meilleur, récupérée çà et là. Le tissu européen sera cousu de fils français, allemands, belges et autres.
Au plan politique, il semble inéluctable que l'exécutif européen se renforcera tôt ou tard. L'obligation de structurer l'Europe en pôle d'influence mondiale s'imposera. Le Président d'Europe sera un jour élu au suffrage universel. L'importance de la nationalité d'origine des élus européens s'estompera. Un Président d'Europe Français ou Danois sera alors aussi naturel que l'est aujourd'hui en France un président Lorrain ou Savoyard.
Pouvons-nous faire obstacle à ce lent mouvement de dissolution de notre pays dans un ensemble qui le dépasse ? La mentalité des hommes aux commandes demeure pour le moment tournée vers l'hexagone. Mais les choses comme les générations changeront. Alors résister ou anticiper ?Devons-nous nous accrocher à notre drapeau? Préserver à tout prix notre spécificité nationale, ou négocier? Négocier dès maintenant notre siège au Conseil de Sécurité, notre bouton nucléaire, notre outil diplomatique?
Nous ne garderons pas indéfiniment ces symboles de notre souveraineté. Mieux vaut discuter aujourd'hui de leur partage avec nos partenaires. Certains le souhaitent discrètement. Profitons d'une situation qui nous est favorable. Si nous n'entrons pas dès maintenant dans cette négociation, le temps et l'évolution des esprits joueront contre nous.
Que pouvons-nous obtenir en échange? Une meilleure représentation dans la gouvernance européenne et, pourquoi pas, des privilèges durables. Tous les traités fourmillent d'exceptions âprement négociées. Défendons bec et ongles l'avenir de nos descendants. Battons-nous dès maintenant pour inscrire l'héritage français dans les murs de la cathédrale européenne.
( Publié par Les Echos)
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