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L'enseignement de l'économie

 

 





UNE  CHRONIQUE

d’Alain Lemasson

(Capital.fr le 7 juin 2020)

 

 

L'enseignement de l'économie dans nos lycées n'est ni objectif ni impartial

 

L’économie est partout, dans l’entreprise, dans l’actualité, dans la vie des États, dans la vie politique même. Le bac ES (Economie et Sociologie), le dernier du genre,  est l’aboutissement de plusieurs  années d’études de cette matière.

On peut se demander ce qu’ont appris les futurs bacheliers comme d’ailleurs, avant  eux, les nombreuses générations qui les ont précédés.

Temps libre et curiosité aidant, l’analyse des manuels et des fiches de révision permet de se faire une bonne idée de la manière dont l’économie est enseignée en France.

La conception d’un tel enseignement n’est certes pas chose facile. Il s’agit de choisir les connaissances indispensables, la juste proportion entre la théorie classique et l’explication de ce que l’on pourrait appeler la nouvelle économie. Donner aux jeunes élèves les outils de compréhension du monde et en même temps la confiance dans ce monde.

La réalité est éloignée, très éloignée de ce modeste idéal. Disons-le d’emblée, l’enseignement de l’économie dans les lycées français, que l’on pourrait croire objectif et neutre, ne l’est pas. L’Éducation Nationale, et particulièrement le Conseil Supérieur des Programmes ont fait leur choix.

La sociologie plus que l’économie

Ce  qui frappe dès l’ouverture des  manuels est le regroupement, le couplage pourrait-on dire, de l’Économie et de la Sociologie. L’on découvre aussi que la partie « Sociologie » occupe plus de la moitié du programme, une répartition quelque peu déséquilibrée qui fait craindre une couverture insuffisante des sujets économiques et financiers

Mais il y a pire, puisqu’un même professeur enseigne le monde de l’économie et … la critique de ce monde à l’aune de la pensée de Marx, Weber et Bourdieu qui sont les auteurs choisis pour la partie sociologie.

On imagine difficilement  que les jeunes élèves ne soient pas déstabilisés par ce mélange des genres et puissent en retenir  une vision objective de l’économie.

Une vision négative de l’entreprise et de la finance

La partie proprement économique du programme est tout aussi décevante. Le lecteur qui a l’expérience concrète des entreprises de production et de services, des banques et des marchés, ne reconnait pas le monde réel dans les différents chapitres du cours. 

L’image donnée des entreprises est partielle et peu attrayante. Ces élèves qui ont l’âge des startups dont ils suivent les développements avec passion découvrent une science  économique statique, hélas de peu d’utilité pour comprendre la nouvelle donne de l’économie. 

Les chapitres d’économie font l’impasse sur plusieurs sujets indispensables à cet égard.

Ainsi, rien n’est dit du rôle du financement pour la croissance. Rien n’est dit d’un changement majeur à cet égard, le fait que les besoins d’investissement des entreprises ont dépassé depuis lontemps leurs capacités d’autofinancement et même les capacités du système bancaire. Et que les marchés ont pris le relais des banques en recyclant en permanence l’épargne disponible vers les entreprises et les États.

Comment comprendre le système bancaire en l’absence d’une explication rigoureuse de ce que  sont le marché interbancaire, ce poumon des banques qui est aussi leur fragilité, et la banque centrale, dont le rôle est devenu primordial ces dernières années.

Quant au marché, il fait l’objet d’un traitement superficiel et emprunt de méfiance. Source de crises récurrentes, il souffrirait d’une absence de régulation. Une manière surprenante de passer sous silence la toute puissance des commissions de contrôle des opérations de bourse dans le monde, aux États-Unis et en France par exemple. Il est vrai que Keynes, quoique spéculateur en bourse lui-même, n’aimait pas les marchés.

Rien n’est dit surtout d’une caractéristique incroyable de la bourse : la fourniture aux entreprises de ressources que celles-ci ne sont pas obligées de rembourser. Rien n’est dit des dividendes, tellement décriés, et qui sont tout simplement l’équivalent des intérêts d’un prêt.

Tous ces sujets, et l’analyse de la notion de risque, seraient certainement plus stimulants et utiles pour eux que les notions parfois obscures d’aléa moral, d’externalités négatives, de croissance endogène ou de dotation factorielle.

Et pourquoi ne pas mettre sur la table le fait que nombre des fondements de la science économique vacillent, que les interrogations sur l’inflation et les taux négatifs partagent le monde des économistes.

Savoir ce que l’on ne sait pas est peut-être plus formateur que la répétition de lois d’un autre temps.

Il  faut aussi aller plus loin pour aider les élèves à comprendre le monde. Répondre par avance  à la question de  savoir  pourquoi il n’y a pas de gafas européennes, et pourquoi la BCE et le quantitative easing ont bousculé les conceptions anciennes. Expliquer le rapport de force  de l’euro  avec  le dollar, le rôle positif  de la monnaie européenne dans l’affrontement économique des blocs, et l’importance à cet égard  de développer le marché européen des capitaux.

Le nouveau programme est la copie de l’ancien

On pourrait penser que le programme de la future option publié en juillet 2019 corrigerait les choses. De bonne augure, le préambule de ce nouveau programme insiste sur la notion de « neutralité axiologique », qu’il définit ainsi : « les sciences sociales s’appuient sur des faits établis, des argumentations rigoureuses ... et non pas sur des valeurs ». Il s’agit  « d’aider les élèves à distinguer les savoirs scientifiques de ce qui relève de la croyance et du dogme. »

Le sentiment positif induit par cette déclaration s’efface en fait dès la lecture du programme qui parait être peu ou prou le copié-collé du précédent.

Tel qu’annoncé, ce nouveau programme persiste et signe dans la place donnée à la sociologie. Certes les inégalités sociales et la pollution environnementale existent et doivent être corrigées. Mais est-on vraiment dans la neutralité axiologique lorsque l’on instille dans l’esprit de jeunes élèves le sentiment diffus que l’organisation actuelle de l’économie est à revoir complètement ? Que l’économie et la finance sont la cause première des problèmes sociaux et environnementaux, en clair des inégalités et du dérèglement climatique. En bref que rien ne va dans ce monde économique qui a échappé au contrôle des États.

Nous devons  ce désastre silencieux aux concepteurs du programme, en clair le puissant Conseil Supérieur des Programmes.

Le rôle des professeurs

Un détail retient toutefois l’attention. Le préambule parle en fait de « l’insistance des professeurs » à propos d’un enseignement plus objectif. Il faut peut-être voir ici la trace d’un désaccord de fond des professeurs ES quant au programme qui leur est imposé.

Quoi qu’il en soit, il est vain d’espérer un changement rapide et une vraie mise à jour des programmes. Il serait en revanche possible de stimuler l’intérêt des élèves pour l’économie avec une autre manière d’enseigner, en profitant de la liberté pédagogique dont disposent les professeurs de Sciences Économiques et Sociales.

Ces professeurs sont en effet explicitement encouragés à prendre les initiatives qu’ils jugent bonnes, du moment que sont respectées les grandes  lignes du programme.

Plusieurs pistes peuvent dès lors se concevoir, susceptibles de rendre leur enseignement plus attractif pour les élèves, et .. plus motivant pour eux-mêmes.

On peut citer par exemple, l’intervention croisée de professeurs d’autres matières, les recherches sur internet ou  la venue d’intervenants externes.

L’intervention des collègues sur des thèmes choisis pourrait être très profitable par le relief inattendu donné au « discours » économique. Il y aurait par exemple de multiples occasions de solliciter sur ce plan les professeurs de mathématiques ou d’histoire.

On pourrait imaginer aussi que de petits groupes d’élèves soient par exemple invités à faire des recherches précises sur internet  prétexte à une utilisation intelligente et guidée des outils du net en complément de l’enseignement plus traditionnel. Il serait facile, enfin, de demander à des intervenants extérieurs, étudiants, banquiers, financiers  ou créateurs de startups, de venir s’exprimer sur les thèmes étudiés dans le cours.

Ces quelques exemples montrent le profit que pourraient tirer les jeunes élèves des regards  différents sur la chose apprise, créant ainsi une motivation accrue et une confiance nouvelle dans le monde économique et financier. Tout cela en donnant à leurs professeurs des possibilités nouvelles d’exercice de cette précieuse liberté pédagogique, qui est aussi leur fierté.   

 

 

 

 

 

Voir la chronique sur le site de Capital (cliquer sur l'image)  


 

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23/06/2020
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