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Le Vatican et la finance

 

 

  

  

 

 

 

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Il faut lire et relire les considérations pour un discernement éthique sur la finance, publiées en 2018 par les plus hautes autorités de l’Église. La forme y est admirable, lyrique même dans l’évocation des principes éthiques devant régir l’action humaine. Dans le droit fil d’écrits antérieurs, ces “considérations” fustigent les comportements avides et cupides des hommes et des institutions financières. L’élément récurrent du propos est la condamnation des marchés “déconnectés de l’économie réelle”.

Le ton est donné : le monde financier incontrôlé, nourri de l’avidité d’un petit nombre, prive l’humanité de richesses qui lui reviennent. De manière étrange, l’argumentation est émaillée de références techniques pour le moins inattendues. Çà et là surgissent des termes comme Libor (London Interbank Offered Rate, taux d'intérêt de référence du marché monétaire interbancaire à Londres, NDLR), titrisation, CDS (produit dérivé permettant de s'assurer contre le risque de non-paiement d'une dette émise par un Etat ou une entreprise, NDLR), ou swaps (produits dérivés permettant à deux contreparties de s'échanger une série de flux futurs, NDLR). Leur présence inopinée interroge. Ce sont, nous dit-on, des exemples concrets d’objets financiers dont l’usage incontrôlé est responsable des dernières crises.

Dans la solennité du propos éthique, ces mots de la finance claquent étrangement. Il est probable qu’en l’état, les “considérations” seront plutôt de nature à inquiéter les croyants. Le marché est en effet réputé coupable, et conclure en exhortant les pouvoirs politiques à sa régulation est un aveu implicite d’impuissance. Le salut, qui ne peut pas venir d’un appel à la morale du bon et du bien, serait dans la création d’une autorité supranationale… Une telle conclusion sied mal au contexte du discours éthique. Et surtout, son irréalisme est source de malaise.

Plutôt qu’une vaine condamnation, le dicastère aurait pu développer une leçon philosophique et morale d’une toute autre envergure. Le marché - ou disons le plus connu : la Bourse - est en effet le lieu de rencontre de deux éléments antinomiques, le vice et la vertu. Le vice, c’est l’avidité des spéculateurs. La vertu, quant à elle, découle d’une caractéristique de la Bourse aussi simple que peu connue : les entreprises qui vont en Bourse obtiennent de l’argent sans l’obligation de rembourser. Grâce à cet argent “gratuit”, elles peuvent investir, se développer et recruter. Là est la vertu de la bourse.

Et son génie, pourrait-on dire : les investisseurs-spéculateurs savent que l’entreprise ne remboursera jamais les fonds levés à l’origine. Mais ils savent aussi qu’ils peuvent obtenir dès le lendemain le remboursement des actions acquises… par leur revente en Bourse. Une certitude d’autant plus forte qu’il y a un grand nombre de ces investisseurs… spéculateurs.

Ce regard positif porté sur la Bourse permet incidemment de faire un sort à l’idée fausse qu’un euro qui va en Bourse “sort de l’économie réelle”. Loin de sortir, cet euro revient aussitôt dans les mains de celui qui a vendu ses actions, et réintègre donc l’économie réelle. On peut ajouter que le temps court du spéculateur permet le temps long pour l’entreprise. De façon paradoxale, l’activité frénétique, voire cupide de la Bourse est indispensable à son fonctionnement harmonieux.

On imagine la puissance de ces observations de bon sens. Sans aller jusqu’au pardon donné aux marchés, le dicastère pourrait dès lors mettre tout son talent au service d’une tâche éminemment positive : donner du monde économique moderne une image optimiste et féconde. Chacun serait invité à aller plus loin, à mieux comprendre l’univers jusque-là honni des marchés et des banques, un univers tellement présent et tellement nécessaire dans la vie de tous : individus, entreprises, États...

Dans une perspective idéale, l’enseignement classique prendrait alors le relais d’une éducation générale dans ces domaines. Pour le plus grand bien de notre pays, et pourquoi pas, dans l’espoir d’un affadissement des tentations populistes.

 

Alain Lemasson

 

 

 

 

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16/09/2019
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